Situé à la sortie de la mer Rouge, face à la côte des
Somalis française, de laquelle, normalement, il devrait dépendre, se trouve le
territoire de Cheik-Saïd, ou sultanat de Bab el Mandeb (French barraks on Red
Sea).
Particularité de droit international.
— Le 1er octobre 1868, le sultan
Ali Tabat Dourein vendait son territoire évalué à 165.000 hectares, constitué
par un arc de cercle de 42 kilomètres de rayon à partir de la pointe du Pilote
au golfe d'Aden, pour la somme de 425.000 francs (francs or, à ce moment-là), à
la société Rabaud-Bazin et Cie, de Marseille. Traité enregistré le
14 octobre 1868 par le vice-consul de France d'Aden. À cette époque se créa
alors la Société française du Bab-el-Mandeb. Cette convention fut reconnue
territorialement par la Turquie, qui, à ce moment-là, contrôlait à peu près
toute l'Asie Mineure. Le texte porte subrogation officielle de la République
française aux privés des Rabaud-Bazin. La Turquie occupa alors ledit
territoire, contrairement aux accords signés. En 1887, le fils de l'ancien
propriétaire, Mohamed Dourein, concédait un élargissement du territoire
comprenant les tribus Cataa et Dobaa. En 1906, le gouvernement britannique
envoyait un mémorandum (19 juillet) au gouvernement français pour déterminer à
l'ouest la frontière du territoire d'Aden. Celle-ci, arbitrairement, allait
jusqu'à l'ancien fort Mourad, alors qu'elle ne devait pas dépasser le Djebel
Barn, à l'est du village de Sekeya (Bir Hali) pour atteindre l'océan Indien au
Djebel Mudafar. Le ministre des Affaires étrangères de France n'a pas accusé
réception de cette pièce ; elle est donc nulle en droit privé comme en
droit international, puisque conclue entre des tiers. Les Turcs eux-mêmes
n'acceptèrent pas cette convention. En 1918, le traité de Sèvres détacha de la
Turquie toutes ses provinces arabes. Le Yémen alors occupa provisoirement le
territoire, mais cette occupation n'a jamais eu aucun fondement juridique et
devra cesser quand la France décidera de se réinstaller en vertu du premier
contrat privé subrogé par son gouvernement.
Considérations stratégiques et économiques.
— Un lac intérieur de 1.500 hectares, d'une profondeur
centrale de 65 mètres, communique avec la mer par une passe sablonneuse de 60
mètres de large et 6 mètres de profondeur. Il ferait une rade sûre et bien
mieux abritée qu'Aden. À l'intérieur, se trouvent des oasis, des puits, de la
lignite, du soufre, du pouzzolane, des traces aurifères et pétrolifères.
Cheik-Saïd est le seul port d'escale possible à la sortie de
la mer Rouge. Ni Aden, ni Djibouti, ni Massaouah, distants chacun de plus de
100 kilomètres du détroit avec un médiocre mouillage, ne peuvent lui être
comparés. Nulle part ailleurs, dans ces parages, un port en eau profonde ne
peut être construit dans des conditions d'économie comparable. Aden impose à la
navigation un déroutement de dix-huit heures et Djibouti de trente-six heures.
En outre, ces ports incommodes sont assujettis à des taxes qu'il serait facile
d'éviter en érigeant Cheik-Saïd en port franc.
Les recettes, d'ailleurs, ne seraient pas moindres, car il
est facile de suppléer à l'absence de taxes douanières par des droits de
magasinage et de manutention. L'eau, existant en abondance, pourrait être
fournie à meilleur compte qu'à Aden et Djibouti, où elle est chère. Le Yémen,
d'autre part, cultive en quantité des produits riches, tels que le café dit de
Moka, la gomme, l'encens, la canne à sucre, le caoutchouc, le sagou, le dourah,
le mil, etc., qui ne peuvent être facilement exportés faute de moyens
maritimes, Hodeida et Moka étant de mauvaises rades foraines. Enfin, une voie
ferrée reliant la ligne du Hedjaz pourrait être reliée d'Hodeida à Cheik-Saïd
par Moka.
La sécheresse de l'intérieur, surtout dans la plaine de la Tchama,
permettrait d'aménager des pistes pour camions qui pourraient transiter les
produits d'un prix élevé faisant l'essentiel du tonnage d'exportation. Il y a
en outre des possibilités d'exploitations minières (fer, magnétite de Taêz en
particulier).
Cheik-Saïd se prête à l'installation de pêcheries (poissons,
perles roses, ainsi qu'à l'industrie des trocas et à l'installation de salines.
Des cultures vivrières et maraîchères pour le ravitaillement des navires
seraient réalisables.
Conclusion.
— Il faudrait, pour réaliser rationnellement cette mise
en valeur, construire un port qui devrait comporter :
1° Dragages à moins de 9 mètres dans la passe et près des
abords des rives pour y construire quais et appontements.
2° Construction de quais et appontements.
3° Construction de magasins avec outillage.
4° Creusement, dans l'isthme de Tourba, d'un canal de 1.500
mètres de long pour navires de forts tonnages. Il n'y a que du sable à déblayer
et des murs de soutènement à perrayer.
5° Éclairage et balisage. Construction de réservoirs pour le
mazout et l'eau potable.
6° Adduction d'eau de Sekeya (12 kilomètres).
Cheik-Saïd pourrait alors devenir, outre un port d'escale
très important pour l'Extrême-Orient, l'Australie et l'océan Indien, un port de
transit considérable qui mettrait en valeur la partie la plus fertile de
l'Arabie.
A. E. V. R. GERONIMI DE SAINT-PÈRE.
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