Le Cameroun est un des pays africains les plus curieux par
les coutumes qui y subsistent. Encore faut-il distinguer ses diverses régions,
car i1 ne saurait être question de « nation » avec tout ce que cela
comprend d'esprit d'unification sur l'ensemble du territoire.
Le Cameroun affecte la silhouette d'un canard dont le bec
ouvert pointerait vers le nord. C'est en cette région que se situent des tribus
que les ethnologues rattachent à une source commune de civilisations antiques
du Centre-Afrique. Au-dessous d'elles, on trouve un autre groupe, tout
différent, venu en ces lieux il y a cent à cent cinquante ans et ayant adopté
la religion de l'Islam. Pour les premiers, ceux-ci sont qualifiés de païens ou,
en termes locaux, de « habe ». Ils vivent à l'écart les uns des
autres et repliés sur eux-mêmes.
C'est dans la montagne que l'on trouve les us et coutumes
les plus curieux, en particulier chez les « Falis ». On les ignorait
jusqu'à il y a une quinzaine d'années et on doit à M. Griaule et à J.-P. Lebœuf
d'avoir étudié leurs mœurs.
Celles-ci sont extrêmement instables et les explorateurs
rapportent qu'entre deux voyages certaines coutumes avaient cessé d'être
pratiquées, tandis que d'autres avaient essaimé dans des régions circumvoisines.
Chez les peuples préhistoriques, comme chez ceux sauvages
actuels, les rites funéraires sont extrêmement importants, car ils sont la
manifestation concrète la plus expressive qu'il soit de la croyance en une vie
future, et l'on peut en déduire le concept qu'ils ont de l'au-delà et du monde
entier, dans le temps et dans l'espace.
Dans ces villages isolés de la montagne, dès qu'un habitant
vient de mourir, ses proches se soucient d'en avertir les voisins, puis les
tribus de la région. On n'envoie aucunement des délégués ou des amis. Un rite
est établi : dès que le malade a rendu son dernier soupir, le doyen d'âge
du village apporte une immense corne de bœuf, creusée et utilisée comme cor
d'alarme. Le fils aîné du mort, ou à défaut ses proches ou ses amis, souffle
dans l'instrument de toutes ses forces et en tire des sons lugubres et
lamentables.
Simultanément les vieilles femmes du village se mettent à
courir en tous sens d'une manière désordonnée, en remplissant l'air de leurs
lamentations. On les voit également pincer jusqu'au sang ou mordre les enfants,
pour que ceux-ci, à leur tour, se mettent à hurler. Dès que les habitants des
cases voisines ou des autres villages ont entendu le son funèbre, tout le monde
se réunit sur la place publique, c'est-à-dire sur l'aire autour de laquelle
s'élèvent les cabanes. Et chacun se met à crier et hurler, puis on revêt le
costume de cérémonie, ce qui se réduit à un pagne neuf, mais en ornant cou,
poignets et chevilles d'anneaux aussi riches et artistiques que possible.
Les adolescents se font teindre les cheveux en rouge, s'ils
ne sont pas parents, ou, dans le cas contraire, se font raser totalement le
crâne. Les hommes d'âge mur se confinent dans un silence absolu, à l'inverse de
leurs femmes, qui crient à la fois pour elles et pour leurs époux. Tout le
village défile alors à la case du défunt, et pour le recevoir les proches
enlèvent leurs colliers et bracelets, qu'ils remplacent par un simple crin
blanc, en même temps qu'ils tournent leurs pagnes à l'envers pour en cacher les
ornements et décorations.
Vis-à-vis du mort, étendu sur une natte, la coutume est
encore plus étrange. Le défunt reçoit de chaque visiteur un coup de fouet fait
d'une lanière de peau de chèvre. C'est à la force du coup que se mesure
l'amitié sincère du visiteur.
Quand le défilé est terminé, on se préoccupe du cadavre,
plus ou moins mis à mal par ces fustigations. On fait sa toilette avec beaucoup
de soin, et le rituel veut que cette opération soit effectuée par des gens de
même sexe et de même âge que le mort.
On procède ensuite à l'enveloppement, qui est double. Avec
des bandelettes de toile blanche, en commençant par la tête, on dissimule le
corps aux yeux des siens. Puis la momie est transportée dehors, et les femmes
sont alors seulement admises en sa présence. Les hurlements recommencent
jusqu'à ce que la nuit soit totalement tombée. C'est alors que l'on termine la
toilette éternelle par le second enveloppement dans des peaux de bête,
généralement de bœuf. Si le défunt est resté longuement malade, ou est mort de
vieillesse, c'est lui-même qui a pris soin d'acheter lesdites peaux à son goût.
En tout état de cause, dans cet enveloppement général, les mains et les pieds
ne sont jamais recouverts.
Dans certains villages, la tradition veut que l'on procède à
la ligature entre eux des pouces ou des gros orteils.
Ces enveloppements se font la nuit, à la lumière d'un feu de
bois en plein air, et le cadavre adossé à un arbre.
Le jour revenu, les travaux sont suspendus jusqu'au soir, où
l'on revêt le mort de pagnes et tuniques lui ayant appartenu.
En certains lieux, les indigènes ont adopté une coutume
venue de l'extérieur : celle de coiffer la tête du mort d'une peau de
panthère.
C'est alors le tour des danseurs professionnels et du
sorcier ; celui-ci pénètre dans une sorte de cloche de jonc ou d'osier et
se livre pendant des heures à des simulacres d'inhumation « dans l'au-delà ».
Les assistants mâles se soucient peu de ces manifestations. Leur présence
suffit. Eux vaquent à leurs affaires en profitant de cette assemblée funéraire
comme d'un marché. Mais les femmes continuent leurs lamentations.
L'inhumation n'a lieu qu'en fin de soirée à la tombée de la
nuit, dans une fosse en pleine terre, mais constituant une sorte de siège, car
le mort doit rester assis.
On jette dessus de la terre et l'on procède à des aspersions
d'eau de mil ou de riz, puis on coiffe la tête restant au-dessus du sol d'une
poterie. Quand c'est fini, on trace un cercle à une petite distance de ce point
et l'on plante des bâtons pour empêcher les animaux sauvages d'approcher.
Si le mort était une femme, elle est inhumée face à l'est,
et si c'était un homme, face à l'ouest. Ceci est un symbole : la femme,
chargée des soucis ménagers, se lève avant l'époux, et c'est elle qui dans sa
vie a vu quotidiennement le lever du jour. Inversement l'homme ne rentre de son
labeur que la nuit venue et contemple surtout le soleil couchant.
La durée du deuil est fonction de l'importance du
personnage. Mais toujours une grande fête de famille, avec un immense repas
d'apparat, est célébrée en hommage aux mânes du mort.
A et C. COTTIN.
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