La perdrix, qui symbolise la plume dans les régions de plaine,
est une pièce très en vue,
Le pouvoir qu'elle exerce ajoute encore à ses moyens de
défense par la convoitise qu'il engendre. Cette cupidité, plus ou moins
passagère, magnifie ou étrangle le tir selon qu'elle éclaire ou qu'elle trouble
le tempérament qu'elle étreint.
Vouloir ne point manquer, surtout lorsque les occasions sont
rares, retranche en grande partie le naturel dont on peut disposer. Chercher à
trop bien faire a toujours conduit le bien faire dans une fausse direction,
plus étriquée, si l'on peut dire, en la privant de l'aération dont n'importe
quel travail a besoin pour s'épanouir. L'application ne favorise que les bons
élèves qui ne seront jamais que de bons élèves ! Elle ne vaut rien pour l'initiative
parce qu'elle l’enrégimente. C'est pourquoi, à force de rétrécir ses élans pour
s'emparer plus à coup sûr de ce qu'on ne veut pas laisser fuir, on arrive à ne
pas le saisir. On s'entête, on s'énerve, on se maîtrise mal à propos, et plus
on s'acharne à forcer la réussite, moins on l'obtient.
La perdrix vaut bien ce déploiement d'envie, ne serait-ce
que sportivement parlant. La grise, qui est l'oiseau-type de son travail,
semble avoir été créée à l'intention du chien d'arrêt. Volant, piétant,
courant, tout en ne refusant pas de ne se laisser jamais bloquer, elle provoque
l'éclosion de toutes les qualités canines, ce qui, lorsque le chien est digne
d'elle, offre le plus beau spectacle du monde.
Elle est l'amie de l'homme par ricochet, puisqu'elle l'aide
à dresser son compagnon, service d'un gré fort incertain, dont il la remercie
par l'acharnement d'une poursuite impitoyable.
Heureusement pour elle, ses ailes ne sont pas seules à
battre au-dessus des champs. Ceux-ci reçoivent aussi des invités qui traînent
leur destin dangereux d'un pays à un autre, où les chasseurs les accueillent
comme on sait.
Cailles, râles, canepetières, oiseaux de rencontres trop
rares, n'en font pas moins diversion en coupant opportunément la régularité du
plaisir et la routine toujours prête à s'incruster sur un tir monotone. Gibiers
faciles ou de réputation telle en ce qui concerne les deux premiers, car la
troisième possède une tout autre notion des distances qu'il est prudent
d'étaler entre elle et les humains.
Les avantages semblent donc se ranger du côté du chasseur ;
malgré cela, il pousse la magnanimité jusqu'à la manquer de temps à autre sans
y mettre d'ailleurs beaucoup du sien, surtout lorsqu'elle part en cerclant !
Cependant la nature veille ! Quand elle semble désarmer ses créatures,
elle pourvoit toujours, par une particularité compensatrice, à rétablir
l'équilibre. Ainsi, pour la sauvegarde de la caille, elle a prévu le chien avec
les réflexes de son instinct et le chasseur qui ne sait pas s'en rendre maître.
Deux types de l'association chasseur-chien, qu'on rencontre tous les jours.
Si, à la rigueur, on peut chasser, ou plutôt pourchasser les
perdrix sans chien, il est bien rare de pouvoir relever, par ses propres
moyens, une caille qu'on a mise à l'essor par hasard. Elle préfère cent fois,
chacun le sait, user de ses pattes que de ses ailes, piéter, ruser, aller,
venir, tourner, retourner et ne pas quitter le sol sans nécessité absolue.
Personne n'ignore non plus combien il est mauvais, pour un
chien non cuirassé contre les tentations que lui fait subir cette coureuse
émérite et dodue, de suivre les méandres de sa défense.
Il s'excite à la fraîcheur de l'émanation si proche, qui
virevolte sans cesse ; il s'échauffe, perd la tête, et, le gibier
reposant, le gibier d'intermède s'avère, pour lui, de premier plan. La
rencontre de tout repos prend la tournure d'une mauvaise rencontre.
La perdrix, qui fait de longs vols et dont les pattes sont
actives et endurantes, vous entraîne, à bon pas, vers ses remises. Elle
entretient ainsi, chez ses poursuivants, une excitation latente, ce qui n'est
pas un fonds très recommandé pour la rectitude du tir.
Avec la caille, rien de tout cela. Le pas qu'on adopte pour
sa recherche n'est point le même. Il est plus lent, plus calme, et s'approprie
à la nature et aux mœurs de l'oiseau dont les marches et les contremarches sont
plus circonscrites. Tout paraît donc s'organiser en vue d'une période détendue ;
mais ce qui devrait être, et qui est avec un bon chien connaissant son métier,
ne l'est plus hors de cette condition. La réalité apparaît, huit fois sur dix,
sous la forme d'une lutte crispante entre l'homme qui s'exténue à retenir son
chien et l'obstination de ce dernier à n'en rien faire. Cela ne prépare pas un
meilleur climat pour le tir que la marche ininterrompue dans le sillage des
perdrix.
En effet, le pauvre tir est bien malade dans cette bagarre. Quand
le fusil trouve un joint pour tenter sa chance, ou plutôt sa malchance, on est
fixé, comme nous l'avons expliqué au cours de ces causeries, sur ce qu'il peut
advenir. On voit à quelle distance du bon petit tir à l'oiseau facile cela peut
vous emmener !
Déjà, par lui-même, et malgré sa réputation, il n'est pas si
facile que cela ! La caille n'est pas volumineuse ; elle va vite, et
son vol se défend. L'avance qu'elle oblige à prendre soit en la couvrant, soit
en la devançant, est là pour le prouver. Si son habitude était de partir de
plus loin, elle serait une cible peu commode. Sa confiance, ou sa paresse,
ainsi que son départ quasi silencieux abrègent terriblement sa vie.
Quoi qu'il en soit, le vol de la caille n'a rien de bien
déroutant après celui de la perdrix. Tous deux sont de la même famille et ne
marquent pas de différence bien tranchée. Nous parlons, bien entendu, du vol
proprement dit, et non pas de sa direction.
Cela change avec le roi des cailles, titulaire de la
première place dans la catégorie des « immanquables ». Fléau des
chiens d'arrêt moyens, il doit la vie sauve à beaucoup d'entre eux, pour les
mêmes raisons, encore aggravées, que pour la caille.
Son tir proprement dit n'en est pas un, sur le papier. Dans
la pratique, son départ de pantin détraqué et sa lenteur lui deviennent parfois
un secours précieux. On ne se presse pas pour tirer, mais lui, sans en avoir
l'air, se presse autant qu'il peut. Et, qu'on se le dise, il va plus vite qu'il
n'en a l'air. Il y a opposition de cadence dès qu'il est un peu lancé, et l'on
passe derrière, car toute cette flaccidité emplumée prend du vif petit à petit,
il suffit d'économiser l'avance en travers pour se convaincre qu'il en fallait
davantage.
La transition de la perdrix au râle n'est pas sans
chiffonner les gens d'habitudes ; cela explique pourquoi celui qu'on voit
bien vivant au bout de ses canons n'est pas toujours un râle mort ...
Au physique et au moral, la canepetière est d'une autre
envergure, et, sans scrupules, elle éclipse un peu le prestige du perdreau.
Mais, comme quantité de chasseurs sont appelés à ne jamais la rencontrer, nous
ne la citerons qu'en passant.
De près, lorsqu'on a la chance d'en surprendre une jeune, sa
surface importante la rend facile à tuer. Mais ces occasions n'abondent pas :
elle est farouche et connaît la portée d'un fusil.
On assure qu'à l'instant même de partir pour l'éternel et
dernier voyage on se souvient principalement de ceux qui vous ont nui. Cela
paraît dans l'ordre, étant donné le nombre de ces gens-là par rapport à celui
des autres. Mais, par exemple, et de cela nous sommes certain : lorsqu'on
laisse derrière soi un doublé de longueur sur des canepetières, c'est
assurément lui qu'on doit revoir ...
Raymond DUEZ.
|