La responsabilité, en matière d'accidents de chasse, est
soumise aux règles de droit commun. Pour pouvoir être condamné à supporter les
conséquences d'un accident de chasse, il faut, d'une part, s'être rendu
coupable d'une faute (imprudence ou négligence) et, d'autre part, il faut qu'il
existe entre la faute et le dommage souffert par la victime un rapport de
causalité directe.
Des accidents de chasse, il peut s'en produire d'un grand
nombre de manières ; mais l'accident le plus usuel, le seul dont nous entendions
nous occuper ici, c'est la blessure causée par un coup de feu tiré par un
chasseur, blessure causée le plus ordinairement à une personne participant à la
chasse (chasseur ou rabatteur), mais parfois aussi à une tierce personne se
trouvant dans le voisinage.
Dans les deux cas, il peut se faire qu'il soit difficile de
déterminer le chasseur dont le plomb a causé la blessure ; c'est alors là
un point à éclaircir préalablement à toute action en justice. Nous ne nous y
arrêterons pas aujourd'hui et comptons nous placer en présence du cas le plus
usuel, où il n'existe aucune incertitude au sujet de l'auteur de l'accident.
En présence d'une telle situation, il est normal qu'on
retienne comme responsable l'auteur du coup de feu ; et il n'est pas
douteux que, neuf fois sur dix, c'est lui qui sera en définitive retenu et
condamné à indemniser la victime. Cependant il peut se présenter tels cas où il
lui sera possible d'éviter la condamnation. Il en sera ainsi, particulièrement,
s'il prouve que la victime a, de son côté, fait preuve d'imprudence, en se
tenant à un endroit où elle n'avait rien à faire et où elle était
nécessairement exposée à se faire blesser par les chasseurs.
Dans ce cas, l'auteur du coup de feu peut échapper à toute
part de responsabilité s'il n'a personnellement commis aucune imprudence. Il
peut aussi se faire que la responsabilité de l'accident soit à partager entre
le chasseur et la victime si l'un et l'autre ont fait preuve d'une certaine
imprudence, si l'accident a été la conséquence d'une faute commune, par exemple
si la victime s'est imprudemment placée dans le champ de tir des chasseurs et
si le chasseur, qui était à même de voir la victime, a agi imprudemment en
tirant et aurait dû s'abstenir de le faire.
Un cas se présente fréquemment en pratique et mérite d'être
étudié particulièrement : c'est celui où le plomb n'a atteint la victime
que par l'effet d'un ricochet. Suivant les uns, le ricochet constitue
essentiellement un fait imprévisible, un cas fortuit, dont le chasseur ne
pourrait, en aucun cas, être tenu responsable. Suivant une thèse opposée, la circonstance
qu'il y-a eu ricochet n'enlève rien à la responsabilité du chasseur qui, hors
le cas de faute de la victime, est toujours responsable d'un accident causé par
son fusil. On fait reposer cette théorie sur la disposition finale de l'article
1384 du Code civil, suivant laquelle le propriétaire d'une chose répond du
dommage causé par la chose qu'il a sous sa garde. On considère, dans ce
système, que le propriétaire du fusil (ou celui qui s'en sert) répond
automatiquement de tous les accidents qui sont la conséquence de l'usage que
l'on en fait.
Cette dernière thèse nous paraît entièrement inexacte ;
elle repose, à notre avis, sur une fausse interprétation de la disposition de
l'article 1384 relative à la chose qu'on a sous sa garde. Nous
considérons que cette disposition n'est applicable que dans le cas où le
dommage a été causé par une chose sans aucune intervention humaine. Dès lors
qu'à la source du dommage il y a un fait de l'homme, ce n'est plus l'article
1384, mais les articles 1382 et 1383 qui s'appliquent. Cela apparaît nettement
à la lecture des textes en question : les articles 1382 et 1383 prévoient
expressément le fait de l'homme ; au contraire, l'article 1384 l'exclut et
envisage le cas où la responsabilité peut être engagée en l'absence de tout
fait de l'homme. Si donc le ricochet se produit à la suite d'un coup de feu
tiré volontairement, le tireur ne sera responsable que s'il a tiré
imprudemment. Ainsi, si la direction prise par le plomb à la suite du ricochet
ne pouvait entrer dans les prévisions normales, on ne devra pas faire supporter
par le chasseur les conséquences de la blessure causée.
Si le coup de feu ayant causé la blessure est parti sans
intervention volontaire du chasseur, par exemple à la suite d'un choc ou d'un
heurt de l'arme, dans ce cas, mais dans ce cas seulement, la responsabilité de
l'accident pourra reposer sur la disposition de l'article 1384 du Code civil.
Paul COLIN,
Docteur en droit, Ancien avocat à la Cour d'appel de Paris.
|