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Le glapissement du renard

Quelques rares curieux se sont intéressés au glapissement du renard ; j'ai cru intéressant de leur communiquer mes propres observations, pensant les aider dans leurs constatations.

On admet en général que le renard se fait entendre dans les cas suivants : au cours d'une chasse ; pendant le rut ; en temps de grand froid et de famine ; au moment où la renarde dresse ses jeunes à la chasse.

Mais ceci ne veut pas dire que ce glapissement s'entend chaque fois que ces cas se présentent. On peut rester des mois sans l'entendre, bien que les animaux soient dans la zone observée. Quant à l'influence du temps ou de la lune, elle ne présente absolument aucun intérêt. Le renard glapit aussi bien par pleine lune que par nuit noire, et aussi bien par pluie que par sécheresse. Ce glapissement étant destiné à être entendu d'un autre renard (mâle ou femelle), il est vraisemblable qu'il ne se produit pas par tempête.

Les occasions d'entendre les renards dans une région où ils n'abondent pas sont assez rares. Il faut, de plus, avoir la chance d'être à même de pouvoir percevoir les cris.

En quatre ans, j'ai eu douze fois l'occasion de pouvoir noter cette observation. Voici le tableau résumé de mes constatations :

    18 février 1942, à 4 h. 30 : autour du parc de Cadarache (Bouches-du-Rhône) par neige et pleine lune. L'examen des pistes le matin, dès l'aube, indiquait deux renards chassant de compagnie un lièvre.

Toutes les observations suivantes furent faites dans la Vienne.

    10 mai 1942, à 23 heures, en dernier quartier : simples appels sans chasse, déplacement lent.

    10 juillet 1942, à 23 heures, en dernier quartier : appels sans chasse.

    8 décembre 1943, à 20 h. 45 en premier quartier.

    16 août 1948, à 5 h. 15, en premier quartier : mâle appelant.

    10 octobre 1948, à 22 heures, en premier quartier : mâle appelant.

    4 janvier 1949, à 21 h. 45, par nouvelle lune : femelle se déplaçant.

    22 mars 1949, à 22 h. 30, par dernier quartier : mâle en chasse.

    28 mars 1949, à 21 h. 45, par dernier quartier : mâle se déplaçant.

    31 mars 1949, à 22 h. 40, par nouvelle lune : femelle se déplaçant.

    9 septembre 1949, à 6 heures, par pleine lune : mâle se déplaçant.

    12 septembre 1949, à 23 h. 20, par pleine lune : mâle en pleine chasse.

Ce qui donne 4
2
3
3
observations en dernier quartier de lune.
en nouvelle lune.
en premier quartier.
en pleine lune.

Pour l'heure, nous trouvons trois appels au matin pour neuf entre 20 h. 45 et 23 h. 20 le soir.

Pour le mois : 1 en janvier, 1 en février, 3 en mars, 1 en mai, 1 en juillet, 1 en août, 2 en septembre, 1 en octobre et 1 en décembre.

Or le rut s'échelonne de fin décembre à fin janvier, les renardeaux naissent en mars-avril et commencent à chasser avec la mère fin juin ; enfin, la période de gel et famine (quand elle se produit dans nos régions) se place plutôt du 15 janvier au 15 février.

Rien, dans les douze constatations, ne semble confirmer une recrudescence de glapissements aux époques admises couramment. Par contre, trois observations seulement se rapportent indiscutablement à un acte de chasse en compagnie, les neuf autres étaient de simples appels d'un animal se déplaçant lentement, ce qui ne peut se rattacher avec certitude à un acte de chasse. Relativement au sexe, sur huit constatations, six ont porté sur le glapissement d'un mâle et deux seulement sur celui d’une femelle (en janvier et mars).

En résumé, il semble que le glapissement du renard s'entende principalement le soir, que le mâle est plus bavard que la femelle, et qu'enfin un renard qui glapit n'est pas forcément en train de chasser. Quant aux dates, à la lunaison, aux états d’âme des animaux, on ne peut absolument rien déduire de sérieux. Il en est du renard comme du chacal : une nuit, sans motif apparent, ce sont de véritables concerts, principalement au crépuscule, puis on reste des semaines, parfois des mois sans les entendre.

En ce qui concerne les chacals, i1 n'est pas rare, quand on les a entendus crier le soir, de les entendre de nouveau avant l'aube, donc au rassemblement et à sa dislocation.

Le glapissement du renard, comme le hurlement du chacal, n'a qu'un but : celui de rassembler deux ou plusieurs animaux de même sexe ou de sexes différents. Cependant d'autres mobiles peuvent provoquer ces cris. Parmi ceux-ci, nous trouvons la période de reproduction, pendant laquelle le mâle peut soit appeler les femelles (dans les régions où le nombre des animaux est restreint), soit marquer sa possession du canton pour prévenir les autres mâles de ne pas se trouver en travers de son chemin : donc avertissement ou provocation.

Par temps d'hiver très rigoureux et prolongé, avec grosse neige et gel, le renard peut crier, et il le fera non pas, à mon avis, sous l'influence de la famine, mais beaucoup plus pour obéir à un instinct de race qui fait qu’en cette saison les animaux s'assemblent pour chasser, comme le font les loups. Rien ne prouve, du reste, que ces rassemblements n'ont pas un autre but : celui de grouper les individus avant le moment de la reproduction.

Enfin il ne faut pas perdre de vue que, pour tous les animaux, la mère effectue un véritable dressage des jeunes. La renarde n'échappe pas à la règle. Quand les renardeaux sont aptes à chasser, elle les emmène faire leur apprentissage. Ces sorties en famille ne sont pas rares, j'en ai constaté de semblables pour le putois, la belette et le blaireau. Ce sont des remarques qu'on fait une fois dans son existence quand la chance vous favorise et qu'on aime à observer la Nature. Il est donc parfaitement logique d'admettre que la femelle cherche à un moment donné à rassembler sa « meute ».

Bien entendu, le glapissement du renard, ce cri rauque et traînant (1), n'a rien à voir avec ses cris de douleur ou de colère quand il est pris dans un piège, blessé au fusil ou attaqué par les chiens. Dans ces divers cas, ce sont surtout les jeunes qui se font entendre. Relativement à la question de la chasse du renard en compagnie, j'ai constaté plusieurs fois sur la neige que les empreintes de deux renards en chasse marquent souvent la présence d'un mâle et d'une femelle, ou d'une femelle et d'un jeune, mais je n'ai jamais observé la présence de trois animaux chassant de compagnie, pas plus que celle de deux mâles adultes. Il ne faudrait cependant pas déduire que cette chasse en groupe est une règle habituelle. J'ai eu l'occasion de guetter la sortie des renards au crépuscule, en Tunisie, pendant plusieurs mois, et je les ai vus quitter le terrain individuellement et prendre isolément leur parcours de chasse. La Chasse en groupe est donc beaucoup plus rare que la chasse individuelle.

A. CHAIGNEAU.

(1) Plus grave chez le mâle, plus aigu et plus bref chez la femelle.

Le Chasseur Français N°639 Mai 1950 Page 265