Le contrôle médico-sportif est une excellente chose. Il
consiste à vérifier l'état physique, la constitution et la santé des personnes
qui veulent s'essayer aux compétitions athlétiques. Il est obligatoire pour les
adolescents et pour les femmes. À ces « assujettis », le médecin
qualifié peut interdire les pratiques sportives, s'il juge qu'ils sont malades
ou seulement trop faibles. Quant aux adultes, ils gardent leur droit de
s'abîmer la santé en faisant inconsidérément du sport, tout comme en buvant ou
fumant avec excès. Mais, comme le contrôle est à leur disposition, beaucoup
consentent à s'y soumettre, de sorte que le médecin peut appeler leur attention
sur les imprudences qu'ils commettent, et, le plus souvent, n'ayant péché que
par imprudence, ils tiennent compte de ses observations.
À vrai dire, quelques médecins, promus soudain contrôleurs
sportifs, ont fait preuve de plus de zèle que de compétence. Habitués à
diagnostiquer des maladies et à rédiger des ordonnances prohibitives, ils ont
eu tendance à chercher — et donc à trouver — des affections qui,
provoquées par le sport, en interdiraient la pratique. Le cœur des athlètes a
particulièrement ému leur sollicitude. Le trouvant volumineux et lent, ils
l'ont jugé forcé, et non pas très vigoureux comme il l'est en réalité. Mais la
pratique même du contrôle médico-sportif leur a fait connaître assez vite les
caractéristiques du gros et solide cœur athlétique, fort différent du gros cœur
dilaté, aux frêles parois amincies, dont meurent, en effet, bien des cardiopathes.
Il n'est donc plus guère d'adultes que l'on « terrorise » en leur
apprenant qu'au lieu de se maintenir en bonne santé par le sport ils ont tout
bonnement claqué leur cœur.
Quant aux jeunes gens, rien de plus nécessaire que de leur
signaler l'insuffisance des moyens physiques avec lesquels ils prétendent se
distinguer en compétitions sportives. Ils se sont enthousiasmés aux spectacles
athlétiques, exaltés aux prouesses des champions ; leur juvénile ambition
les porte vers ce qu'on leur a fait admirer. Il est bon de les arrêter un instant
à l'entrée de la carrière pour leur faire comprendre que, pour la courir
aisément et avec fruit, il faut bon cœur, belle poitrine et muscles vigoureux.
Même à quelques-uns, il faut dire qu'une maladie caractérisée, une tare
organique irrémédiable les empêchent à tout jamais de participer à ces jeux
violents ; mais ceux-là sont le très petit nombre, car il est rare que
l'on se trompe à ce point sur sa valeur corporelle. S'il est des sots qui se
croient intelligents, il n'est point de malingres qui s'estiment robustes.
Aussi le contrôle médico-sportif, exercé sur plus de cent
mille jeunes gens, n'a-t-il révélé qu'une infime proportion de malades, bien
inférieure à celle qu'on trouverait dans un nombre égal de non-sportifs. On
peut donc dire qu'il n'écarte pas des compétitions athlétiques un nombre bien
appréciable de jeunes gens ; rien que par le désir de faire du sport,
l'espoir qu'on a de s'y distinguer, il se fait une sélection de sujets
généralement vigoureux et bien portants.
Il vient donc à l'esprit qu'il serait aussi utile de pousser
au sport la plupart des jeunes gens qui n'en font pas que d'en écarter
quelques-uns qui en font.
Outre le contrôle médico-sportif, il s'est institué beaucoup
d'examens médicaux sur les écoliers et collégiens, étudiants, apprentis,
ouvriers, employés, assujettis à la Sécurité sociale. Tous ces examens
aboutissent à des diagnostics, à des catégorisations, à des conseils d'hygiène.
Lorsqu'ils révèlent une structure corporelle normale chez un adolescent ou un
homme encore jeune, pourquoi n'engage-t-on pas fermement celui-ci à pratiquer
un sport de quelque énergie ou, tout au moins, à s'entretenir en bon état par
la gymnastique méthodique ? Car ce n'est que par ignorance ou paresse
qu'il renonce aux bons effets qu'aurait assurément sur son organisme normal une
activité musculaire assez intense et bien réglée ; c'est un point
d'hygiène aussi important que ceux de l'alimentation et de l'habitat.
Revenons aux justiciables du contrôle médico-sportif. Comme
nous l'avons dit, le médecin en élimine peu pour maladie caractérisée et grave ;
mais beaucoup lui apparaissent insuffisamment développés pour se livrer aux
efforts violents qu'exigent les sports de compétition. S'il les leur interdit,
il leur enlève tout motif de faire partie d'une société sportive ; car de
telles sociétés, à de très rares exceptions près, ne s'intéressent qu'aux
jeunes gens qui leur font honneur par leurs exploits et sont capables de défendre
leurs couleurs sur le stade ou sur la route. Il faudrait donc écarter des
pratiques sportives un grand nombre de jeunes gens qui pourraient en bénéficier
s'ils y étaient initiés avec sagesse et patience.
Des verdicts médicaux aussi rigoureux réduiraient de plus de
moitié l'effectif des sociétés, tant y abondent les « manques » de
muscles, de poitrine et de cœur. Il faut composer avec cette médiocrité, en
permettant aux « moins mauvais » de s'élancer dans la carrière
sportive. Mais cette indulgence ne semble pas être méritée par la plupart des
dirigeants sportifs. Presque tous, obnubilés par la « championnite »,
ne s'intéressent qu'à leurs premiers sujets, ne s'occupent que de découvrir et
mettre en valeur les hommes de classe. Ils ne pensent jamais que beaucoup de
leurs « tocards » ont en eux des possibilités de développement et
d'entraînement qu'il est aisé de transformer en réalités par une culture
physique bien réglée. Disposant de tant de jeunes gens qui rêvent ingénument de
gloire sportive, ne serait-il pas plus utile et plus honorable de « fabriquer »
beaucoup de champions que d'en découvrir quelques-uns ?
Cette négligence des dirigeants sportifs est parfois bien
coupable. Dans certains sports individuels, la sélection des champions, par
compétitions de plus en plus sévères, se fait presque aussi cruellement que la
sélection naturelle des animaux, dont les plus forts dévorent les faibles. Dans
les écoles de boxe et sur les rings, il se fait une grande consommation de
jeunes ambitieux dont les « knock-out » répétés entraînent au combat
quelques douzaines d'étoiles à grand rendement financier. Pour extraire de la
foule des « piqués du vélo » les professionnels nécessaires à la
vogue du cyclisme, on lance sur les routes des milliers de débutants, chaque
dimanche ; la semaine, on les entraîne par des « sorties en groupe »
à grande allure, avec démarrages en côte et sprints forcenés. Une centaine
d'espoirs émergent chaque année de cette première sélection. Ceux-là seront
soumis au dur régime de la course chaque dimanche, de mars à novembre ;
après quoi il en restera trois ou quatre capables de devenir de vrais et
durables champions. Affreux gaspillage de forces et de bonnes volontés !
Le contrôle médico-sportif, maintenant qu'il est organisé,
pourrait remédier à ces déplorables coutumes. Son rôle ne devrait plus se
borner à examiner les jeunes qui désirent faire du sport ; il devrait
s'étendre à la vérification périodique de l'état physique de ceux auxquels il
aurait été permis de pratiquer un sport de compétition, sous réserve qu'une
culture physique convenable leur soit assurée en même temps que l'entraînement
sportif ; et si les examens ultérieurs révélaient des arrêts ou des
régressions de développement corporel, l'autorisation de participer à des
compétitions serait suspendue. Car, de seize à vingt ans, les jeunes gens
doivent augmenter régulièrement de taille, de poids, de musculature, de
capacité pulmonaire et de résistance cardiaque. On ne peut admettre que les
sports inconsidérément pratiqués entravent ce développement naturel, même si
l'on en obtient de transitoires satisfactions d'amour-propre.
Dr RUFFIER.
|