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Automobiles et compétitions

Dès les premiers tours de roues de tout engin mû sans l’aide de la force animale, c'est-à-dire propulsé par un mécanisme quelconque, l'homme a songé à la compétition. Cette dernière est restée dans ce domaine, comme dans les autres domaines sportifs où seuls les muscles interviennent, une source d'énergie et de volonté. Bien mieux, les mécanismes en ont tiré profit.

C'est que, dans les courses de vitesse pure ou d'endurance, toute la mécanique s'emploie au maximum, et nombreux ont été les progrès et améliorations qui, du bureau d'études des courses, ont trouvé une amélioration immédiate à la construction de série. Nous pourrions citer les soupapes en tête, le graissage sous pression, l’emploi des coussinets régulés, les freins avant, etc. ...

Avant 1900, les tractions à vapeur, à l'essence et à l'électricité s'opposent. Aucune n'a encore imposé sa loi aux autres. En 1894, Pierre Giffard crée la première compétition automobile sur le parcours Paris-Rouen. Son succès est considérable avec quelque cent engagements. On peut voir, sur la ligne de départ, une trentaine de véhicules utilisant le pétrole, une vingtaine la vapeur, dont les réalisations semblent parfaitement au point, et quelques châssis équipés à l'électricité, dont les ambitions sont immenses.

Le moteur à pétrole, avec ses brûleurs de platine, ses transmissions à chaînes, ses paliers qu'il faut huiler à la burette, se classe premier avec Panhard sur Peugeot, devant de Dion, qui se défend à la vapeur. En 1895, c'est le triomphe total de l'essence dans Paris-Bordeaux-Paris, soit 1.200 kilomètres sans étape. Peugeot décroche la palme en 59 heures 48 minutes, sur châssis à quatre places. La régularité de marche se précise l'année suivante avec Panhard, qui couvre Paris-Marseille et retour — 1.720 kilomètres — à une moyenne dépassant 25 kilomètres à l'heure.

On procède ensuite par bonds prodigieux sur la voie du progrès au cours des quelques années qui suivent. La moyenne passe, en 1898, à 45 kilomètres-heure avec Charron sur Panhard ; 54 kilomètres-heure avec Knyff en 1899, toujours sur Panhard ; 65 kilomètres-heure avec Levegh sur Mors, en 1900.

Au début du nouveau siècle, l'ambition des organisateurs ne connaît plus de limite, et l'on aspire à la création des grandes courses intercapitales : 1903 voit se disputer le Paris-Madrid de fâcheuse mémoire. Deux cents concurrents se lanceront sur la route en direction de Bordeaux, but de la première étape, à une minute les uns des autres. Le public est en délire.

La vitesse des concurrents est considérable, puisque Gabriel, montant une Mors, couvre la distance de cette première étape en 5 heures 13 minutes, soit à la moyenne fantastique de 105 kilomètres à l’heure, suivi à quelques minutes par Louis Renault. Mais, à de telles vitesses, sur des routes poussiéreuses, rendant les dépassements dangereux, avec des tenues de route assez précaires aux grandes allures et des freinages périlleux, plusieurs concurrents, perdant le contrôle de leur direction, capotent. On déplore des accidents graves. Cinq ou six concurrents restent sur le terrain, blessés sérieusement. La course est interrompue à Bordeaux. L'Automobile-Club de France décide dès lors l'organisation de courses en circuit fermé sur route goudronnée.

Le règlement ne prévoyait jusqu'alors qu'une limitation de poids. L'ingénieur déterminait le poids respectif du châssis et du moteur dans les limites fixées, et l’on tirait le maximum de chevaux de ce dernier. Mais on limite bientôt l'alésage. Le premier Grand Prix de l’A. C: F. se déroute en 1906 sur un circuit de 1.200 kilomètres, dans la Sarthe, qui est enlevé par Szisz sur Renault, à la moyenne de 106 à l'heure. En 1908, Fiat enlève le Grand Prix avec Felice Nazarro. L'année suivante, l'Allemagne, avec une Mercédès pilotée par Lautenschlager, s'adjuge la course. Cependant, la même année, les Américains, qui ne font rien à moitié, mettent sur pied la course New-York-Paris. Elle fut homérique. Le New York Times et Le Matin patronnent l'épreuve. De Dion et Moto-Bloc, avec leur 40 CV et la voiturette 12 CV, Sizaire Naudier défendent les couleurs françaises. L'allemande « Protos » pèse 3 tonnes avec ses 60 CV. L'américaine Thomas-Flyer utilise la même puissance, ainsi que la Zust (Italie). Sur des routes qui ne sont que des pistes, le plus souvent, les concurrents franchissent Chicago, San Francisco, embarquent à Seattle pour Vladivostok, passent Omsk ; mais la Protos arrive première à Moscou, quarante-huit jours après son départ de New-York, suivie à quatre jours par la Thomas. Cette dernière ne peut combler son retard, mais est proclamée, à Paris, vainqueur, la Protos ayant été pénalisée de quinze jours. La moyenne journalière du gagnant dépasse 173 kilomètres ; la durée de l'épreuve est de cent douze jours, et la distance parcourue de 19.375 kilomètres. Zust atteint Paris quinze jours après. Nos nationaux, hélas ! étaient restés quelque part sur les routes de Sibérie et des U. S. A.

Mais revenons au Grand Prix de l’A. C .F. De 1908 à 1911, l'épreuve cesse faute de concurrents français, mais est reprise en 1912, et Georges Boillot emporte la victoire, qu'il renouvelle d'ailleurs en 1913, avec 110 et 116 kilomètres-heure de moyenne. En 1914, Boillot, qui peut être considéré comme un de nos plus grands champions, victime d'accidents mécaniques, cède la première place à Lautenschlager sur Mercédès.

Pendant la guerre, les Peugeot de 1914 triomphent en Amérique, et à Indianapolis, en 1919, elles enlèvent les 1re et 3e places. En France, en 1921, le Grand Prix se court au Mans, ou l'Américain Murphy triomphe sur Duesenberg. La cylindrée est limitée à 3 litres. En 1923, le compresseur apparaît à Tours sur Fiat, qui est obligée de s'incliner devant la Sunbeam de Seagrave à 121 kilomètres de moyenne. En 1924, Campari, sur Alfa-Romeo, franchit la ligne d'arrivée en vainqueur à Montlhéry. Avec la formule des 1.500 centimètre cubes, en 1925, la bagarre entre Alfa-Romeo et Delage se termine par la victoire de Robert Benoist, mais Ascari, le champion italien, capote et se tue ; 1926 voit s'inscrire au palmarès le nom de Goux sur Bugatti, et 1927 consacre Robert Benoist champion du monde sur Delage, à Montlhéry toujours, avec 126 kilomètres de moyenne et un rendement de 120 CV au litre à 7.000 tours-minute. De 1928 à 1933, formule libre ; conséquences : on voit les voitures allemandes Mercédès et Auto-Union dépasser les 130 litres d'essence aux 100 kilomètres. En 1934, on adopte la formule au poids — maximum à vide : 750 kilogrammes ; on revient à la formule libre en 1938, avec le triomphe de Chiron sur Alfa-Romeo ; l'épreuve se déroule à Reims, où de nouveaux monstres consommant des quantités astronomiques de carburant prennent le départ. Cela coûte cher, mais les records sont pulvérisés, sans grande signification d'ailleurs. La guerre ... Depuis 1947, la grande épreuve a repris. Chacun de nous a pu suivre les péripéties et les enseignements.

Et, pour terminer, jetons un coup d'œil sur le tableau des records du monde sur le kilomètre lancé. En 1898, Chasseloup, sur Jeanteaud, atteint les 63 kilomètres-heure et, le 28 avril 1899, Jénatzy, sur voiture du même nom, atteint le 105. Dix ans plus tard, Hemery, sur Benz, passe les 200, cependant qu'en 1927 Seagrave, sur Sunbeam, atteint 326 kilomètres-heure. En 1932, Malcolm Campbell, sur Napier, passe les 400. Mais, le 19 novembre 1937, Eyston porte le record à 502 sur Thunderbolt. Enfin, dernier en date, en 1947, John Cobb, sur Railton de 2.400 CV, 4 roues motrices, pesant 3 tonnes, atteint 634km,037 à l'heure sur la piste du Lac Salé aux États-Unis. Attendons la suite.

G. AVANDO.

Le Chasseur Français N°639 Mai 1950 Page 303