Sous le titre : « L'art de trouver des truffes »,
les lecteurs du Chasseur Français ont pu lire, dans le numéro de
décembre 1949, un spirituel et substantiel article de M. J. Lefrançois, qui a
certainement intéressé les personnes qui habitent les régions calcaires maigres
où vit la truffe. À un autre point de vue que celui de la gastronomie, un
paragraphe de cet article doit spécialement retenir l'attention. Il concerne
l'habitat de ce tuber : « Dans une clairière ou, mieux, à la lisière
d'un bois soupçonné de receler des truffes, écrit M. Lefrançois, l'amateur
recherchera dans le vert des mousses et des gazons les tonsures rousses
à allure de terre brûlée. Ces plaques se voient de loin. »
C'est donc la tonsure, c'est-à-dire l'absence de toute
mousse et de tout gazon, de toute végétation, qui va caractériser l'emplacement
du tuber recherché. Rien ne pousse dans un certain périmètre, aucune vie
végétale n'est décelable et la stérilité du sol s'étend parfois à plusieurs
mètres carrés. Il en est ainsi non seulement dans le Périgord, mais aussi dans
cette partie de la Provence dont Uzès, où se tient le marché aux truffes, est le
centre. Ces tonsures ne se manifestent pas seulement au moment où la truffe
mûrit, de novembre à février, en période froide, mais aussi au cours de toute
l'année. Quelle est la cause de cette stérilité du sol ? Pourquoi
trouve-t-on des tonsures, des plaques sans aucune végétation ?
Il y a longtemps que de telles observations ont été faites.
Elles sont restées sans explications durant de longues années.
Il semble possible d'en donner aujourd’hui la cause à la lumière
d'une récente découverte ; il s’agit de la pénicilline.
L'historique bref de la découverte de la pénicilline va nous
être un enseignement : un savant anglais, Fleming, prépare un bouillon de
culture microbienne dans une boîte de Pétri. En quelques heures, des colonies
de microbes auraient dû se former uniformément. Or il constate qu'il n’y a pas
prolifération autour de l'endroit où, par mégarde, il a laissé tomber quelques
parcelles d'un champignon qu'il attribue à 1'espèce Penicillium notatum Westling.
Il renouvelle l'expérience et constate chaque fois que la projection de Penicillium
notatum dans un bouillon de culture ensemencé en empêche le développement normal.
Il se forme autour des débris de champignons une zone stérile qui apporte la preuve
qu'il contient un principe qui s'oppose à la vie. Ce produit, ou principe actif
du champignon, sera appelé pénicilline.
Cette découverte vient de mettre en lumière la propriété de
certains autres champignons qui, eux aussi, inhibent certaines vies. La science
leur attribue un nom : on les appellera désormais les « antibiotiques ».
Mais, en même temps qu'elle les classait ainsi, elle faisait connaître que ces
champignons n'avaient pas un pouvoir inhibitif général sur toutes les vies. La
pénicilline, elle, a un pouvoir limité. Son action ne s'étend que sur un
certain nombre de microbes. Depuis la découverte de Fleming, les recherches de
laboratoires aboutissent à ce résultat que tous les microbes dont le nom, selon
la systématique, se terminent par « coccus » ont leur développement
vital influencé par la pénicilline. Il en est de même de Bacillus anthracis,
B. subtilis, le bacille diphtérique, le clostridium du tétanos, la
salmonelle de la psittacose, le Treponema pallidum, etc.
Tels sont, actuellement, les résultats des recherches sur le
principe actif de la pénicilline qui, à son début, s'est révélé comme un
produit très instable et que les usines Rhône-Poulenc viennent de stabiliser
sous forme de cristaux blancs. Mais le champignon Penicillium notatum
n'est pas considéré comme une exception dans la nature. D'autres aussi ont ce
pouvoir. Afin de le déceler, de nombreuses recherches de laboratoire se
poursuivent actuellement sur quantités d'espèces de champignons antibiotiques.
Si elles n'ont pas encore donné des résultats aussi probants que la pénicilline,
il n'est pas défendu d'espérer qu'il en sortira des découvertes telles qu'elles
mettront en péril les développements de tous ces microbes qui s'attaquent à la
vie humaine.
En laboratoire donc, l'activité antibiotique du tuber des
vulgaires truffes n'a pas manqué d'attirer aussi l'attention des savants. On
commence à travailler in vitro. Mais doit-on délaisser les études in
vivo, dans la nature même, sur le terrain ?
En ce qui concerne Tubermetasporum Vittadini, nous savons,
à n'en pas douter, qu'il inhibe, dans un certain périmètre, toute vie végétale,
et ce durant le cycle annuel des quatre saisons, soit que le tuber soit
représenté par le bouquet de ses asques ou cellules-mères, soit par son fruit
depuis sa naissance, sa maturation, sa maturité ou sa putréfaction finale. Il
n'excepte de ses exhalaisons mortelles que le chêne pubescent, le chêne vert ou
le noisetier, dont les racines lui servent de support. Autour de son habitat, c’est
la « terre brûlée », la stérilité végétale. Mais ce serait encore
prématuré de dire la mort animale.
Ce pouvoir de mort, ou tout au moins d'inhibition vitale,
prend-il fin lorsque le tuber est déterré pour être livré à la consommation ?
Se continue-t-il encore pendant quelque temps, et pendant combien de temps ?
Comme il n’a été fait aucune observation à ce sujet, comme il n'a été procédé à
aucune étude, on ne peut émettre que des hypothèses, et ne les émettre qu'avec la
plus extrême prudence.
Il est probable que pour le tuber, comme pour le Penicillium
notatum, certaines conditions de température, de milieu doivent
obligatoirement être réunies pour lui conserver la stabilité de son pouvoir inhibitif.
Il semble probable qu'il disparaît lorsque le tuber est déterré. En effet, les
conserves de truffes qui s'effectuent soit en boîtes closes, soit, dans le Midi
de la France, dans du vin blanc recouvert de quelques gouttes d'huile, n'ont,
jusqu'à ce jour, donné lieu à aucune remarque particulière. À tort ou à raison,
on les tient pour indifférentes et sans aucune influence à l'encontre de ce qui
les entoure. Donc pas d’observation scientifique à ce point de vue. Fermentent-elles ?
Leur putréfaction s'accompagne-t-elle de colonisation microbienne ? On ne
sait rien.
C'est pourquoi toute une activité de recherches, dont les
laboratoires n'ont pas le seul monopole, pourrait s’instituer en de nombreux points
de notre pays, non pas in vitro selon la traditionnelle formule, mais
dans le champ même où vit et se développe le tuber, c'est-à-dire dans l'endroit
où se manifeste son pouvoir inhibitif, en station hypogée.
Personne n'a, en effet, encore procédé à des recherches méthodiques
sur les vies qu'annihilent, paralysent, détruisent ou même influencent les
émanations du tuber. Nous avons cette seule certitude que toute graine qui a le
malheur de tomber dans la zone d'influence maléfique de la truffe ne germe pas
ou n'offre, pendant un temps, qu'un aspect rachitique. Transplantée ailleurs,
va-t-elle se développer ?
Il sera possible, à ce point de vue, de trouver quelques
enseignements dans les tentatives de culture de la truffe : lorsqu'on a
préparé le terrain et semé les truffes, accompagnées d'un terreau qui comporte
certains éléments nécessaires à sa vie, on s'aperçoit vite qu’il peut
s'installer sur le terrain une pauvre vie végétale, mais qu'elle demeure
longtemps rachitique pour disparaître complètement lorsque la culture prend sa
plénitude de production, sept à huit ans après l’implantation. Et de ceci il
faut tirer cette conclusion que toute recherche sera probablement de longue haleine.
Il n'en reste pas moins qu'un vaste champ d'expérience va
s'offrir au désintéressement bien connu des botanistes, et il n'est pas exclu
que ces résultats puissent trouver, à l’avenir, des applications pratiques dans
des domaines inattendus.
Mais il est d'autres questions, d'autres problèmes, d’un
puissant intérêt anthropocentrique, qui peuvent et doivent retenir l'attention
d'autres chercheurs, et ceci s'adresse non plus aux botanistes, mais aux
médecins, aux biologistes et même à tous ceux qui aiment déceler les secrets de
la nature.
La question se pose donc de savoir si, en dehors de la vie
végétale, les vies animales (et quelles espèces dans la vie animale) sont
influencées ou arrêtées par les effluves encore mal connus du tuber. Un peu
partout, dans tous les pays où pousse la truffe, en Périgord comme en Provence,
il est indéniable que les tubers offrent à notre attention des millions de foyers
où s'exerce leur puissance : puissance permanente, naturelle,
active et actuelle d'inhibition vitale. Chaque tonsure pourra être
un champ d'expérience, selon la fantaisie ou la propension de chaque chercheur.
Pourquoi n'y exposerait-on pas soit un cobaye atteint de telle ou telle maladie,
soit une culture microbienne ? Des résultats pourront être ainsi obtenus et
enregistrés.
Peut-être faudra-t-il braver certain respect humain. Mais
que l'on comprenne bien, la santé de l’homme étant en jeu, qu’il n'est pas plus
ridicule d’exposer certains corps aux effluves inhibiteurs du tuber que de les soumettre
à l’influence des rayons ultra-violets ou infra-rouges du soleil. Seul le résultat
comptera. L'empirisme peut s’exercer parallèlement à la méthode scientifique du
laboratoire.
Certes, il est possible que certains résultats soient négatifs ;
en tout cas il est souhaitable qu'il s’en rencontre de positifs. Nul savant, nul
chercheur, nul curieux ne doit négliger sa chance.
Quels horizons suggestifs, surtout après les merveilleuses
applications de la pénicilline, ne s'offrent-ils pas à ceux qu'angoissent l’extension
de la poliomyélite, la prolifération anarchique de la cellule cancéreuse, et même
cette biologie multiple des microbes pathogènes qui pullulent autour et dans l’homme.
Sans vouloir viser à des découvertes aussi importantes (qui sait ?),
il faut bien se persuader que nulle vertu de plante, nulle force de la nature ne
doit être dédaignée pour lutter contre des milliards d'infiniment petits prêts
à nous attaquer.
La grande pitié de nos maux rejoint la solidarité humaine.
La truffe, au nom ridicule ou ridiculisé, la truffe, symbole
des nez épanouis à la Cyrano, ou de nos bons toutous compagnons de nos plaisirs
cynégétiques, la truffe, prisée des seuls gourmets de jadis, ne serait-elle pas
une espèce médicinale qui nous serait utile par sa nocivité même ? Il
appartient aux chercheurs de le dire et de le dire vite. Cet article aura atteint
son but s'il suggère à quelques lecteurs du Chasseur Français quelques
expériences fécondes.
Paul CORDIER-GONI.
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