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Tir à longue portée

Obtenir d'une arme quelconque des résultats dépassant sensiblement la normale a toujours été une des principales préoccupations des chasseurs qui, dans leur désir d'atteindre certaines pièces de gibier à grande distance, sont assez facilement séduits par les dispositifs susceptibles d'améliorer la portée efficace.

Chaque époque en voit éclore quelques-uns ; sont-ils vraiment nouveaux, sont-ils utiles ? Nous allons, en quelques causeries, essayer d'examiner les différents aspects de cette question, répondant ainsi à la curiosité d'un certain nombre de lecteurs du Chasseur Français qui nous interrogent assez souvent sur ce sujet.

Nous commencerons par faire justice des « fusils extraordinaires ». Il n'y a pas de fusils extraordinaires, ou plutôt il n'y en a plus ; à l'époque où les armes de chasse étaient presque entièrement fabriquées à la main, elles sortaient de chez l'arquebusier avec des caractéristiques très différentes sous un aspect sensiblement identique. Si la longueur des canons était la même pour les différents exemplaires d'un même modèle, l'alésage et le réglage étaient ce qu'ils pouvaient au hasard de la fabrication. Dans ces conditions, celui qui avait la chance de tomber sur une arme bien réglée et la patience de déterminer la charge qui lui convenait le mieux pouvait parfois obtenir en cible et sur le terrain des résultats dépassant sensiblement la moyenne.

Actuellement, la fabrication mécanique de haute précision a réduit à fort peu de chose les différences de rendement entre les armes d'une même série. Le prototype, une fois très soigneusement étudié et mis au point, est industriellement reproduit avec toutes ses caractéristiques de tir, et ses copies, lorsqu'elles donnent des résultats défectueux, n'en sont jamais responsables : il convient d'en rechercher la cause dans les munitions employées. Le général Journée, qui est peut-être l'expérimentateur dans les mains duquel ont passé le plus de fusils différents, a affirmé qu'à l'identité de profil intérieur et extérieur des canons correspondait toujours un tir identique au double point de vue de la pénétration et du groupement. Donc, rien à attendre de mystérieux secrets de fabrication produisant des résultats supérieurs à ceux que peut donner un choke bien étudié.

Nous n'examinerons pas ici le cas du tir à balle des armes de petit calibre avec l'emploi de viseurs optiques. Il a été fait de ce côté de grands progrès au cours des dernières années, et c'est évidemment une méthode très sportive que d'atteindre ainsi certaines pièces à grande distance. Toutefois ce genre de tir est forcément limité dans ses applications.

D'autre part, pouvons-nous améliorer la portée d'un canon ordinaire ? On sait que l'efficacité d'une charge dépend à la fois du nombre de grains qui la composent et de leur puissance individuelle. La théorie la plus élémentaire nous indique tout de suite que, pour augmenter la portée, il faut à la fois augmenter le nombre de grains et leur grosseur, étant entendu que, dans le tir de la grenaille, la vitesse initiale se trouve déterminée par des considérations d'emploi même du plomb.

La solution la plus simple est donc l'emploi d'une arme de plus gros calibre utilisant une charge plus forte, solution malheureusement limitée par les forces du tireur s'il s'agit de la poursuite du gibier en terrain varié. Certains chasseurs nous objecteront ici qu'avec des armes normales ils ont exécuté ou vu exécuter parfois des coups exceptionnels ; en réalité, ces coups exceptionnels sont des coups anormaux, et nous allons tout de suite en donner l'explication.

Lorsqu'un gibier est mortellement atteint, c'est que sa masse a absorbé la quantité d'énergie destructrice suffisante ; au delà des portées ordinaires, les blessures graves ne peuvent être causées que par des projectiles de masse anormale, puisque la vitesse restante diminue forcément avec la distance. Ces projectiles sont tout simplement constitués par des agglomérations de deux ou trois grains de plomb soudés par suite d'une fuite des gaz de combustion. Ce genre d'incident se produit d'autant plus facilement que la fusibilité du plomb employé est plus grande et que les bourres sont moins obturatrices.

Quant aux résultats obtenus, nous allons en donner une idée par un exemple. Un grain de plomb n°6 tiré à la vitesse initiale de 360 mètres ne possède plus, à 50 mètres, qu'une vitesse restante de 135 mètres correspondant à une énergie destructrice de 0kgm,146. Si trois grains de la charge viennent à se souder (cas assez fréquent), ils se comportent à une portée double (100 mètres) comme un projectile de poids triple, c'est-à-dire comme un grain de n° 1 possédant une vitesse restante de 110 mètres et une énergie destructrice de 0kgm,250. On voit qu'à une portée double l'effet peut être presque double en raison de la suppression partielle de la résistance de l'air et de la réunion des masses dans un seul impact. Bien avertis de cette particularité, nous songerons tout de suite à l'agglomération possible des grains lorsque nous constaterons sur le terrain un résultat nettement supérieur à la normale, et un examen soigneux de la pièce touchée, quand nous pourrons le faire, nous apportera la confirmation du fait.

Bien entendu, en raison de la dispersion, ces grains soudés sont rarement bien placés, mais, le cas échéant, leurs effets n'en sont que plus remarqués. Et, immédiatement, le fusil sera déclaré merveilleux ...

En réalité, il y a eu emploi d'une mauvaise bourre, tout simplement. Il n'y a pas de fusils doués de portées fantastiques, il y a simplement des coups anormaux qui sont en principe des coups défectueux.

Personnellement, nous avons toujours demandé la faveur d'essayer un peu longuement en cible les armes que l'on nous signalait comme supérieures. Nous en avons trouvé d'excellentes dans les mains de très bons tireurs, mais ne dépassant pas les possibilités connues ; la plupart des autres étaient très quelconques : un heureux hasard leur valait une réputation passagère.

Nous examinerons prochainement comment on a songé, dans la recherche de l'augmentation des portées, à tirer partie de l'agglomération des charges.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 321