Tout ce que nous avons pu dire au sujet de la plume
rencontrée dans une plaine à peu près nue se reproduit pour le poil sous
d'autres formes de tir.
Qui dit poil, quand il s'agit de plaine, pense au lièvre, au
lièvre Roi pour la plupart des chasseurs. Si la présence du lapin s'y montre
trop accidentelle pour qu'on la compte, elle est cependant assez commune, sur
certains territoires, pour ne pas tout à fait la passer sous silence.
Malgré sa couronne, et à cause d'elle aussi, le lièvre est
un mal partagé par sa nature et par sa taille. Sa classe de grand coureur ne
peut spécifiquement pas grand’chose, au déboulé, devant une bonne arme
convenablement pointée. Sa provision de ruses est inutile aussi. Sa meilleure
défense est de source indirecte ; comme nous le verrons plus loin, il la
doit aux circonstances.
Le tir du lièvre n'offre guère de difficultés, sauf aux
distances où il devient sage de ne pas le tirer.
Malgré les mauvais atouts de son jeu, il rencontre le
meilleur artisan de son salut dans l'émotion que son départ occasionne à
certains. Départ sans fracas cependant, incapable par lui-même, de causer un
trouble profond. Explicable seulement par la seule présence du fuyard au poil clair,
qui jouit du funeste privilège d'être lièvre. Combien disent adieu, à sa vue, à
tout contrôle d'eux-mêmes, au point de tirer précipitamment, n’importe où,
comme si quelque peur insensée leur tenaillait le cœur. Grâce à cette infirmité
qui les accompagnera jusqu'au tombeau, bien des lièvres s'en tirent sans
dommages.
La distance lui rend aussi d'inappréciables services. S'il
est gros, il va vite. Tiré à 30 mètres droit devant soi, sans les précautions
d'usage, c'est-à-dire en pointant hautement au-dessus de sa tête, on est à peu
près certain de ne point le revoir. De même en travers, d'un peu loin, il n'est
pas toutes les fois dans le sac.
Sa corpulence et la préférence dont il est l'objet font
qu'on tire le lièvre à des distances beaucoup trop longues et que, trop souvent
on l'envoie mourir en quelque coin hors de vue, au lieu de l'étaler net. C'est
absurde ; mais l'amour qu'on lui porte, en pensant à soi, est tel qu'on
n'en tient aucun compte, et qu'on n'en tiendra, volontairement, jamais compte.
Telles sont les maigres chances qui favorisent le lièvre
pendant les continuelles vicissitudes qui lui tiennent lieu d'existence ?
La meilleure de toutes apparaît lorsqu'il s'est laissé tuer.
Un peu tard, pensera-t-on ! Pour lui sans doute, mais pas pour ses frères ! ...
Cette aubaine à réaction posthume est son poids, qu'on peut considérer comme un
des plus lourds adversaires du tir. Son poids, qui se fait sentir
impérieusement après une heure ou deux, à ceux qui le portent, devient un
handicap de premier ordre pour la liberté de mouvement des épaules et des bras.
En plus, ce handicap se complète d'une fatigue générale plus ou moins
ressentie, dont le tir supporte encore les conséquences.
Lorsque, au lièvre de son carnier, on joint un compagnon de
son espèce, le succès se tourne rapidement en une corvée qui rejoint
l'ankylose, condition encore moins recommandée pour la franchise de la visée.
Les principes servant au pointage du lièvre à découvert sont
archi-connus : tirer haut, en cul, c'est-à-dire en couvrant ;-bas
pour le lièvre en pointe, c'est-à-dire devant les pattes; devant, en travers,
et en demi-travers.
Malgré des siècles de rabâcherie, ces vérités demeurent, aux
yeux de bien des débutants, des vérités imprécises, si l'on en juge par les
questions qu'ils posent. Viser en couvrant, en découvrant, en devançant ;
mais de combien ?
Toute la question est là, et elle restera toujours là parce
qu'on ne peut raisonnablement y répondre. Les uns mesurent leur avance en
travers par mètres, les autres en centimètres, pour arriver au même résultat :
preuve qu'il s'agit d'une impression personnelle, impossible à repasser à son
voisin. La pratique, doublée d'un esprit d'observation toujours en éveil, peut
seule vous renseigner ; et plus facilement d'ailleurs pour le tir d'un
quadrupède près de terre, passant à découvert, puisqu'on a la possibilité de
remarquer la place de la gerbe par rapport à celle de la pièce manquée.
Un bon moyen de s'ouvrir les yeux consiste, en
arrière-saison, alors que le courant des larges rivières devient assez rapide,
sans atteindre toutefois son régime de grandes crues, à mettre à flots, aussi
loin que possible du bord, une vieille boîte métallique assez volumineuse pour
bien se détacher. On se place sur son passage et, lorsqu'elle arrive en face de
soi, on la tire à 35 mètres, avec différents numéros de plombs, en plein, sans
prendre aucune avance, le fusil arrêté, puis ensuite en suivant la boîte et en
tirant, toujours en plein, sans arrêter le mouvement des canons. Ces
expériences sont préférables à toutes les explications du monde. La gerbe, bien
visible sur l'eau, est muette, mais son silence en dit long.
En ce qui concerne la visée haute en couvrant, le nombre
impressionnant de lièvres non arrêtés, à partir de 25 mètres, devrait donner à
réfléchir. Lorsque ce phénomène se reproduit sans cesse, il est bon de lâcher
le coup sur un pointage donnant l'impression d'être trop élevé. Il n'est pas
inutile non plus, lorsqu'on se sait enclin à tirer bas, d'allonger la main
gauche, progressivement s'il en est besoin, autant qu'on le pourra.
Au contraire, à ceux qui se trouvent bien de la placer au
niveau de la charnière, quand ils ne la retournent pas dans le but qu'elle
enchâsse le pontet entre le pouce et les doigts allongés, nous ne
recommanderons jamais de changer leur manière, quoique cette prise tende, en
principe, à faire baisser les canons. Mais à ceux que cette position n'avantage
point, même s'ils l'ont trouvée d'instinct, au lieu de l'avoir subie d'un
conseilleur subjectif, nous ne dirons pas la même chose. Qu'ils adoptent la
montée à l'épaule en tenant le fusil horizontal, telle que nous l'avons
décrite. Comme elle comporte au départ la tenue fixe des deux mains, dictée
selon les possibilités du tireur, par la recherche du meilleur équilibre que le
fusil puisse trouver entre elles, et que cet équilibre coïncide généralement
avec leur écartement rationnel, cela leur facilitera la tâche pour commencer.
En revanche, la visée basse, en découvrant le lièvre qui
vient sur vous, est beaucoup plus facile. Peut-être parce qu'on le voit
arriver, et surtout parce qu'il est beaucoup plus aisé de découvrir,
c'est-à-dire de tirer sur une pièce sans la perdre de l'œil qu'en la masquant
dans sa totalité.
Tirer au bas des grandes pattes du lièvre, sur ses ongles,
comme disait Deyeux, qui devait avoir une bonne vue, n'a rien de compliqué.
Reste à prendre plus d'avance de près que de loin.
Tout ce que nous avons dit du lièvre s'applique en partie au
lapin.
S'il pèse moins lourd, on en tue davantage, et cela le met à
égalité avec le lièvre quant à la gêne apportée par son poids. Le peu d'émotion
causée par son départ, bien plus familier, contrebalance les effets de sa
course désordonnée. Sa moindre valeur marchande, et le goût moins savoureux de
sa chair aidant, on le tire sans grand souci de le manquer ; d'autant plus
qu'avec lui on n'a pas de peine à retrouver sa chance, et c'est un gros
avantage.
Tout cela fait que le tir du lapin à découvert, devant des
chiens utiles, n'est guère plus difficile que celui du lièvre dans les mêmes
conditions.
Raymond DUEZ.
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