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La chasse en A.O.F.

Dans les régions où l'élevage est rendu difficile ou impossible par la présence de la mouche tsé-tsé, la chasse est un besoin impérieux qui satisfait les estomacs les moins difficiles quant au choix du gibier. La capture des rats, par exemple, est un métier qui nourrit assez bien son homme en lui laissant un petit bénéfice.

Elle se pratique avec de petites trappes en roseau, placées à l'entrée des terriers, à la tombée de la nuit, et visitées le matin.

Aussi bien pour les rats que pour une grande quantité d'animaux plus gros qui n'ont pas leur équivalent à la métropole, mais que l'on pourrait désigner par l'appellation générale de « bêtes puantes » ou rongeurs, on la pratique au nœud coulant et à l'affût.

L'engin est constitué par un arc, bandé avec une corde terminée par une boucle coulissante qu'on place en collerette à l'orifice du terrier. Le chasseur attend patiemment que sa victime éprouve les mêmes besoins que lui ; dès qu'elle engage le cou dans la boucle traîtresse, il déclenche par une gâchette le dispositif de tendage de son appareil ... Avant de partir, il recouvre le trou de quelques brindilles, dont la disparition ultérieure indiquera qu'un paresseux est venu occuper le logement du « défunt ».

Au cours de longues randonnées je fus, une fois, fort impressionné par le spectacle suivant :

Dans la pénombre verdâtre d'une clairière étaient pendus en cercle une dizaine de cadavres écorchés, que je pris d'abord pour des corps d'enfants. Sous leurs pieds, un feu fumant de brindilles humides commençait de les boucaner. Au bout d'un moment, des branches craquèrent. De ma cachette je vis apparaître quelques « anthropophages » qui ne traînaient derrière eux que des singes « cynocéphales » ... Ouf !

N'ayant entendu aucun coup de feu, je leur demandai comment ils les avaient capturés ...

Autour d'un petit champ de maïs, ils avaient disposé de grosses courges desséchées, à moitié pleines de cailloux recouverts d'une couche de cacahuètes fraîchement grillées. Par un orifice qui ne laissait passer qu'une main allongée, les singes avaient introduit la leur pour saisir la délicieuse friandise. Le charivari des guetteurs les avait donc surpris « la main dans le sac » ; cette dernière, paralysée par l'émotion d'un cerveau qui, en d'autres circonstances, ne manque pas de « présence d'esprit », ne pouvait que rester le « poing dans la poche ». Vous devinez la fin du drame ...

De la chasse au singe, que je n'ai pratiquée qu'une seule fois, au fusil, avec quelques amis à qui un village avait fait appel, j'ai rapporté une impression si pénible que l'essai m'a suffi. Elle est pourtant nécessaire parfois.

En effet, ces demi-animaux déprédateurs saccagent en peu de temps toute une récolte. Lorsqu'ils s'abattent sur une bananeraie, ou un champ de mil, fruit après fruit, épi après épi, ils mordillent chaque chose, puis la rejettent aussitôt, ne la trouvant jamais à leur goût. Ils excellent aussi à déterrer le manioc.

C'est avec des gestes tout maternels que les guenons allaitent leurs petits ou surveillent leurs ébats pendant que les mâles restent aux aguets jusqu'à ce que toute sécurité rassure la prudence.

Lorsque la fusillade crépite, faisant des hécatombes, le spectacle est poignant. Les petits sautent sur le dos de leur mère, qui leur passe un bras sous les fesses et s'enfuit dans les fourrés, en tournant vers le danger une tête apeurée. Quelques mâles font front, tandis que d'autres s'efforcent d'entraîner des morts ou des blessés qui gémissent et se cramponnent à eux ...

Dans d'autres régions, la chasse, tout en étant un apport non négligeable, satisfait aussi un certain instinct souvent inhérent à l'homme ; c'est un palliatif au goût et à l'habitude atavique de la guérilla ...

Les animaux « de brousse » ne sont pas doués d'un courage excessif, tant qu'il n'y a pas d'effusion de sang, tout au moins ; et, si vous les laissez tranquilles, ils vous le rendent bien. La position verticale de l'homme, qui les domine, ainsi que l'impondérable qui émane de son regard et de son intellectualité semblent les mettre dans une position d'infériorité.

En ce qui nous concerne, on ne conçoit guère un individu de faible taille, obligé de lever les yeux pour tenir tête à un autre de haute stature, pouvant lui en imposer avec un regard qui a l'air de demander pardon, à moins que son intellectualité soit plus forte.

Vis-à-vis des animaux, il y a bien la girafe qui pourrait hypnotiser certains d'entre nous qui voudraient la photographier, mais, comme je vous le dis, c'est une question de « matière grise », ce qui ne dément point ma « docte » théorie.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas rare que les pasteurs nomades poursuivent à coups de trique, en vociférant, le lion ou tout autre fauve qui leur emporte un veau. Ils leur font lâcher prise, et la « bête » part lentement « en dérive », l'oreille basse et la queue entre les pattes. C'est exactement ce qui se passe avec nos « toros d'arène », qui, de simplement sauvages, ne deviennent féroces que sous l'effet d'exactions. Bien que ces exactions aient pu se manifester en dehors de la responsabilité de celui qui rencontre un fauve, il y a très loin de la réalité aux films « rentables » qui font vibrer d'émotion. Je vous assure que, chaque fois que l’« accident » arrive, la victime ou son compagnon n'a jamais le loisir de sortir son calepin pour en noter les péripéties.

Lorsque je suis passé pour la dernière fois à Kantchari (Niger), un de mes amis en était à son cinquantième lion, sans compter les fauves moins spectaculaires qui sont souvent bien plus dangereux que le soi-disant roi des animaux.

C'est un drôle de coin par là. Ce brave garçon s'est toujours demandé ce qu'on lui faisait faire en ce lieu déshérité. Il était seul Blanc au milieu de populations presque complètement « éteintes » et semblant entretenir un relent de vie avec « l'air du temps » et quatre grains de mil de temps à autre. En dehors de son travail, la chasse et la méditation étaient ses seuls plaisirs. Le premier surtout se doublait d'une action vraiment philanthropique, autant par les destructions d'animaux domestiques qu'il évitait que par l'alimentation carnée et gratuite qu'il octroyait à ces fainéants de Djermas, dont il berçait aussi la somnolence, par un juste retour des choses.

Chaque fois que cet homme s'est trouvé en présence d'un fauve, ce n'a jamais été la bête qui a déclenché la bagarre. Par contre, il savait ce qui l'attendait s'il avait tiré comme un enfant de troupe ...

Quant à l'ami Routier, qui a dû dépasser, depuis notre dernière poignée de mains, sa trentième panthère, il est à peu près du même avis.

Joseph GRAND.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 331