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L'épagneul de Pont-Audemer

À la demande d'un lecteur de cette Revue, je m'empresse de consacrer la présente causerie à l'Épagneul de Pont-Audemer, avec d'autant plus de plaisir que j'ai plusieurs fois attiré l'attention des amateurs de chasse en marais, plus particulièrement des amateurs de chasse au canard, sur les mérites de cette race anglo-française. Sur le Water Spaniel, dont elle descend pour une part, — ce qui n'est ni contesté ni contestable, —elle a le mérite, tout en possédant ses vertus, d'avoir conservé la faculté de l'arrêt. Plutôt donc que d'aller rechercher à l'étranger un Water Spaniel quelconque, il eût été logique de s'en tenir à notre produit, puisqu'il a des indications plus nombreuses du fait qu'il est véritable chien d'arrêt.

S'il se trouve en difficulté depuis longtemps déjà, il le doit, dans quelque mesure, à notre goût pour tout ce qui est fabriqué en dehors de nos frontières. Mais, outre cet état d'esprit, il est d'autres causes. Avant la dernière guerre, mon regretté ami, le Dr Longin, grand supporter du Pont-Audemer, me faisait part de ses inquiétudes. La réduction du cheptel était dès alors marquée et la consanguinité faisait des siennes. Nous envisagions les moyens d'y parer, hésitant au recours à l'un ou l'autre ancêtre, penchant cependant du côté de l'ancêtre français, qui n'est autre que l'Épagneul dit Picard, variété de l'Épagneul français. En fin de compte, rien n'a été entrepris, et le Pont-Audemer est devenu rarissime. Je le déplore d'autant plus que j'ai eu la satisfaction, ces dernières années, de donner des C.  A. C. bien mérités à ceux, très rares, que j'ai eus dans mon ring. Il demeure donc quelques très beaux représentants de la race, si rares que leurs propriétaires m'ont prié de leur indiquer lice ou étalon pour leur préféré, sans grand succès.

La race souffre d'une crise d'effectifs et depuis longtemps. C'est le plus grand danger dont elle peut être menacée. Le courant sera-t-il remonté ? Nul n'oserait l'affirmer.

Les sources du mal sont anciennes. En premier lieu, la base de départ a été étroite. On est parti avec un effectif réduit et sans doute déjà apparenté. On m'objecterait en vain Korthals et les sept ou huit ancêtres, parce qu'on oublie l'admission postérieure de courants de sangs justement considérés comme orthodoxes. Le Griffon, en effet, est une très ancienne race dispersée sur une aire géographique étendue dont cet illustre éleveur a seulement obtenu le type idéal, tandis que le Pont-Audemer, produit de culture fixé, c'est entendu, a toujours été handicapé par la faiblesse de ses effectifs. Voilà une cause de l'état de marasme dont se plaint notre abonné.

En voici une autre. Le chien en cause n'est pas strictement chien à tout faire et, en le présentant comme tel, on lui à fait tort, tout comme à feu le Griffon Boulet, pour la même raison. Le Pont-Audemer, très désigné pour le marais à canards, n'est pas un bécassinier comparable aux chiens anglais, bien entendu, ni à la plupart de ceux des races françaises, ni à l'Épagneul français moderne, ni à l'Épagneul breton. Il faut convenir qu'il a rarement le nez des meilleurs de ceux-ci. S'il est supérieur en eau profonde à la majorité des Épagneuls bretons, il n'écrase pas sous ce rapport l'Épagneul français. Le chien international qu'est le Griffon à poil dur est complet pour le marais (bécassine et canard), supérieur comme bécassinier et chien de plaine.

Le Pont-Audemer n'est pas chien à tout faire pour autre motif. S'il est indiqué au marais et au couvert, la plupart de ses concurrents de race française lui sont supérieurs en plaine. En tout cas, il aurait tort de prétendre les surpasser. Quoi qu'en pensent ses tenants, il n'a jamais passé pour un capteur d'émanation directe à longue portée. S'il en était autrement, on le verrait quelquefois aux épreuves autres que celles données en grande plaine, tout au moins.

On sait, par contre, ses qualités au couvert et on se souvient que, jadis, la forêt de Lyons fut dépeuplée par des braconniers armés de leurs Pont-Audemer. Nous avons, comme on l'a dit, des bécassiers qui l'égalent et même le surpassent, compris les chiens anglais. En résumé, bon chien pour les marais à étangs, le bois, et convenable auxiliaire pour la plaine, avec même aimable caractère que l'Épagneul français et des dispositions naturelles à naître dressé, avec influx nerveux plus accentué. Tout cela, le regretté président Cunisset-Carnot l'a dit avec enthousiasme, passant sur les points faibles — quelle race n'en a-t-elle pas ?

Le chien à toutes fins, actuellement de plus en plus recherché, est représenté avant tout par les races des pays centraux où il fut inventé, bénéficiant ainsi d'une sélection ancienne. Cependant, la plupart de nos chiens d'arrêt ont les aptitudes voulues pour bénéficier du dressage spécial qui les réalise, l'objet de cette étude compris, mais absolument sur la même-ligne qu'eux et pas plus.

Il serait très désirable de voir le groupement qui s'y intéressait il y a peu d'années encore faire un effort pour le sortir de l'ornière dans laquelle il semble enlisé. Ce sera difficile, car il ne faut pas compter sur la seule sélection. La première opération consisterait à faire un recensement de tous les sujets primés, ensuite à rechercher tout ce qui mérite le dignus est intrare et voir les liens de parenté existant entre les représentants du premier groupe. Ceux du second ne peuvent être appréciés qu'à l'épreuve de la reproduction. De toute façon, on partira avec des bataillons réduits, ce qui n'est pas motif de ne rien entreprendre, bien au contraire.

La jeune génération ayant rarement eu l'occasion de voir le Pont-Audemer de classe, il n'est peut-être pas inutile d'en décrire le type si original, qui, vu une fois, ne saurait s'oublier. C'est un chien de taille moyenne entre 0m,52 et 0m,58, conçu pour plaire aux goûts de l'heure, d'aspect rustique sous son poil gros et bouclé qui lui vient du Water Spaniel. Sa tête, vue de profil, semble un peu pointue, surtout du fait du toupet frisé qui la couronne, dominant sa face rase. Ses oreilles, assez importantes et plates, garnies de poil frisé, achèvent de lui donner une physionomie à part. L'œil est malin et intelligent. L'encolure bien dégagée, l'épaule oblique, le dos un peu harpé et assez court, le flanc peu relevé le rangent dans la formule médioligne quelque peu refoulée. Le fouet peu frangé, souvent réduit au tiers, est porté dans la ligne du dos. La cuisse est musclée, peu frangée. Le jarret est large, peu coudé, le pied assez large et rond bien garni de poil. Dans sa formule trapue rappelant celle du cob, c'est un animal vigoureux, sans lourdeur, énergique, vif dans ses allures, particulièrement désigné pour les étangs couverts de végétation, les fourrés, partout où il faut un barboteur ou un broussailleur actif, intelligent et infatigable.

Comme l'on doit toujours ne rien cacher de ce qu'on estime être la vérité, je pense qu'après l'avoir sorti de la passe difficile où il se trouve il importerait de lui conférer des aptitudes pour la chasse en plaine, qu'il ne semble pas posséder au même titre que celles qu'il a par ailleurs. Voici quarante ans, nous avons eu à résoudre le même problème pour l'Épagneul breton, alors surtout bécassier, pour en faire un chien à perdrix et à bécassine. Comme nous osons dire y avoir réussi devant son succès en France et à l'étranger, on peut penser que d'autres que nous sont aussi capables de le faire. Nous disposions, il est vrai, d'un nombreux cheptel, et le croisement modificateur était, en outre, tout indiqué. Il suffisait de savoir en jouer. Ici, les difficultés à vaincre seront plus nombreuses. Il faudra sans doute user d'une alliance en dehors avec une race propre à compléter le lot de qualités et aptitudes déjà si nombreuses manifestées par un chien si attachant et original. Tous mes vœux vont à pareille réussite.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 336