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La cynophilie

Buts et moyens

Dans son essence vraie, en tant qu'il est un jeu, un exercice des organes et des muscles, une compétition, le sport est aussi vieux que le monde. Le mot, à peine âgé d'un siècle, a dépassé sensiblement l'objet. Il est paradoxal que, depuis qu'on l'a baptisé, le sport proprement dit tienne de moins en moins de place dans ce qu'il prétend exprimer, et si, pendant des siècles, les hommes ont fait du sport sans le savoir, à l'instar de M. Jourdain qui faisait de la prose sans s'en douter, ceux qui prétendent en faire aujourd'hui sont infiniment plus nombreux que ceux qui le pratiquent. Pour trente joueurs qui se disputent un ballon, on compte des milliers de sportifs qui les regardent bien assis, admirent leurs exploits dans leur pantoufles, et combien qui ne voient dans le sport des autres que le moyen d'en tirer des profits ! Et, cependant, allez donc dire aux amateurs du turf et des diverses pelouses, même s'ils n'ont jamais chaussé un éperon ou couru un cent mètres, qu'ils ne sont pas sportifs !

La vérité, c'est que le mot a dépassé la chose et englobé l'esprit, mais la réalité, c'est aussi, hélas ! que l'esprit se camoufle souvent de ce mot et exploite la chose au profit d'intérêts divers. Que le sport canin, frère cadet du sport hippique, n'échappe pas à cette évolution, c'est chose humaine. Que l'élevage et la présentation de loulous et caniches, savants ou non, relève de la même appellation que ceux des chiens de vénerie, cela ne peut surprendre. Le sport canin déborde l'utilisation du chien pour englober sa production, pour diriger et surveiller son élevage. C'est en ce sens que toutes les associations de cynophiles sont de caractère sportif. Les statuts de toutes sont formels : diriger, surveiller l'élevage et l'utilisation du chien. Elles ont aussi pour objet de propager cette utilisation ; mais si ce but, sportif aussi dans son esprit, dévie parfois vers des fins purement commerciales, ce n'est là qu'un aspect des abus que la nature humaine a toujours fait de ses institutions ; ils ne sont pas le fait des sociétés, qui ont pour mission de les combattre, mais des individus, qui essaient d'en profiter.

Dans l'intérêt du sport canin et des sociétés elles-mêmes, dans l'intérêt aussi, et peut-être surtout, des utilisateurs, particulièrement des néophytes, il y a sur ce sujet quelques choses à dire, qui doivent être dites. Mais là n'est pas l'objet de cet article, dont le modeste but est seulement d'exposer pour ceux qui l'ignorent (ils sont plus nombreux qu'on ne pense, que les autres nous en excusent) les buts et l'organisation de la cynophilie.

Les buts, nous les avons énumérés succinctement ; pour les atteindre avec le maximum de moyens, il faut une organisation. Le sport canin, comme les autres, a donc son administration centralisée ; mais c'est une administration privée et non une administration d'État.

Sur le plan national, chaque race a son club spécialisé ; en principe, un seul par race et pour tout le pays.

Sur le plan régional, les sociétés canines groupent tous les cynophiles, quelle que soit la race qui les intéresse. Ces sociétés ont généralement pour rayon les frontières des anciennes provinces ; mais elles sont subdivisées en sociétés locales ou départementales.

Les clubs et les sociétés canines ont un but différent ; tandis que les premiers ont pour objet les intérêts particuliers de chaque race sur le plan national, les sociétés canines ont pour rôle, sur le plan régional, de veiller aux intérêts généraux des cynophiles et de leur permettre de grouper leurs efforts communs pour perfectionner, sélectionner, faire mieux connaître le chien de race. Ce sont les sociétés canines régionales, par exemple, qui ont eu pour mission, pendant la guerre, d'aider les éleveurs à obtenir de quoi nourrir leurs chiens.

Clubs spéciaux et sociétés canines régionales sont affiliés à un organisme centralisateur : la Société centrale canine, dont le siège est à Paris, 3, rue de Choiseul.

La Société centrale a pour mission principale de définir les moyens d'action généraux, de les coordonner, d'en établir les règlements, d'en surveiller l'application, d'homologuer les récompenses, de nommer les experts (juges). Elle établit la liaison avec les pouvoirs publics ; elle relève, à cet effet, du ministère de l'Agriculture, qui la reconnaît comme seul organisme officiel de la cynophilie en France.

Enfin, sur le plan international, la Société centrale canine est elle-même affiliée à la Fédération cynologique internationale, qui groupe les organismes centralisateurs d'un certain nombre de pays. Le but de la Fédération internationale est d'unifier les méthodes et les règlements relatifs à l'attribution des récompenses.

Les clubs spéciaux et les Sociétés canines régionales s'administrent eux-mêmes et trouvent leurs ressources dans les cotisations des adhérents. La Société centrale est administrée par un conseil élu par les délégués des clubs et des sociétés régionales, dont le nombre est proportionnel à l'effectif de leurs mandants. Elle puise elle-même ses ressources dans les cotisations des clubs et sociétés affiliés et, éventuellement, dans les subventions qu'elle peut recevoir ou les profits qu'elle peut retirer des manifestations qu'elle organise pour son compte (Exposition canine de Paris, par exemple).

Pour atteindre ses buts, diriger, surveiller, aider l'élevage du chien de race et en propager l'utilisation, la cynophilie officielle dispose de trois principaux moyens : la tenue des livres des origines, les expositions et, pour les chiens d'utilisation, les épreuves pratiques, dites concours d'utilisation. Ces trois moyens sont, en principe, suffisants pour surveiller l'élevage et pour aider la sélection ; mais y parviennent-ils tels qu'ils sont mis en œuvre ? Il y a bien des motifs d'en douter et bien des suggestions à faire pour les rendre plus efficaces.

L'organisation elle-même est difficile à concevoir différemment ; telle qu'elle est, sur le papier, elle ne prête à aucune critique ; mais elle aussi, dans la pratique, pour atteindre son but dans un esprit vraiment sportif, en vue d'un résultat plus efficace, en ce qui concerne la mission des clubs spéciaux surtout, devrait avantageusement modifier quelques principes.

Car, en dépit du mot prêté jadis à l'un de ses principaux dirigeants, la cynophilie officielle n'est pas, ne doit pas être une organisation commerciale. La grande majorité de ceux qui la servent lui sacrifient loisirs, temps et parfois argent ; leur passion est un sacerdoce. Que le chien, d'autre part, soit animal marchand, c'est un fait. Sport et commerce sont des notions qui se heurtent et se détruisent dans la mesure où la seconde bafoue la première. L'orfèvre, l'artisan vendent le produit de leur art ; il appartient à la cynophilie de veiller à ce que l'élevage du chien soit et reste un pur produit de l'art.

C'est en ce sens qu'en ne perdant jamais de vue l'objet réel qui fait sa raison d'être la cynophilie doit faire en sorte que ses moyens s'adaptent ou se modifient, au risque de gêner des intérêts particuliers, pour ne pas être l'instrument innocent des trafiquants du Temple.

Jean CASTAING.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 338