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Automobile

Le nouveau supercarburant

Depuis le 15 février dernier, les usagers de l'automobile ont à leur disposition un supercarburant ternaire. Ternaire, car le nouveau venu est constitué par un mélange d'essence, d'alcool, de benzol, dans la proportion de 75 p. 100 d'essence. 15 p. 100 d'alcool, 10 p. 100 de benzol. L'indice d'octane n'est pas inférieur à 78.

C'est moins le souci de mettre à la disposition des automobilistes un carburant supérieur à celui que nous possédions, et qui n'était pas fameux, que de faire « filer »  quelque 600.000 hectolitres d’alcool dont les distilleries ne savaient que faire.

Malheureusement, pour cette année, il reste encore 2 millions et demi d'hectolitres d'alcool à écouler, et l'on ne voit pas la façon dont on épuisera un tel stock. On peut être tenté de mettre sur le marché un carburant binaire, essence-alcool, la production du benzol ne pouvant suivre sur une pareille base. C'est là que les choses se gâtent.

Dans le mélange ternaire, le benzol, hydrocarbure qui, comme chacun sait, résulte de la distillation du goudron de houille, sert en quelque sorte de « liant » en donnant un carburant à peu près stable. Sa puissance calorifique élever vient en aide à celle de l'alcool, quelque peu déficiente. Le .benzol apporte au moteur une nervosité appréciable, alors que l'alcool, spécifiquement antidétonant, permet d'assimiler au mieux les taux de compression modernes, presque toujours calculés au maximum dans le but d'obtenir les plus hauts rendements.

Le super-carburant est d'un prix d'environ 5 francs au litre supérieur à celui de l'essence ordinaire.

Nous avons eu l'occasion, dans ces colonnes, de démontrer que l'État, même avec ce supplément de prix, ne faisait pas de bénéfice sur la solution première, en regard du prix de revient élevé de l'alcool et du benzol. On peut alors se demander pourquoi les pouvoirs publics persévèrent dans cette voie. Mais c'est là un aspect politique et économique de la question que nous n'avons pas à envisager ici. Laissons donc la betterave de côté, et examinons l'affaire sous l'angle mécanique, qui seul nous intéresse.

Les moteurs modernes à haute compression assimilent au mieux le nouveau mélange : traction avant, 203, 202, 4 CV Renault, Simca, etc. L'avance à l'allumage à main donne une gamme de réglage d'avance très étendue, et l'on remarquera que la présence de l'alcool permet au moteur de supporter sans inconvénient une avance beaucoup plus grande. Souvent, i1 faudra faire pivoter le boîtier du delco, le champ d'action du correcteur à main étant insuffisant.

Les départs à froid sont-ils plus difficiles ? Il ne semble pas, quoique, cette année, le nouveau carburant soit venu au monde à une époque où les grands froids étaient passés. C'est que, dans ce cas, la présence du benzol vient se faire sentir et donne des départs normaux. Certains craignaient de se trouver dans la nécessité d'accroître le diamètre des gicleurs — ralenti et principal — pour compenser précisément la présence de l'alcool. Modifications qui avaient été indispensables lors de l'apparition du fameux carburant national de jadis — carburant binaire, ne l'oublions pas, à 25 p. 100 d'alcool, puis 15 p. 100. Dans presque tous les cas, tout se passe bien. Même des moteurs réglés très « pauvre » ont très bien supporté le super-carburant. La « richesse » du benzol a donné encore là une compensation heureuse.

Ceci précisé, il faut envisager la lubrification rationnelle des hauts de cylindres. Il est incontestable qu'avec le nouveau carburant on assiste à un « séchage » plus accentué que la normale. Cependant cet inconvénient paraît sans risque pour un moteur qui a dépassé sa période de rodage. Les pompes à huile modernes sont puissantes, le graissage des rampes de culbuteurs — disposition presque générale actuellement — abondant et souvent réglable. Il règne au sein du moteur, durant la marche, un brouillard d'huile intense. En bref, il sera nécessaire d'utiliser seulement un super-lubrifiant durant les deux ou trois premiers milliers de kilomètres.

Mais le nouveau super-carburant intervient dans un sens favorable avec les moteurs modernes, sur cette maladie à la mode que les usagers connaissent bien, le cliquetis. La présence conjuguée de l'alcool et du benzol le fait disparaître presque toujours. Le moteur devient plus souple, les reprises sont plus franches et le comportement de la voiture, en côte ou en accélération, change du tout au tout. Pour les moteurs usagés, sur lesquels on a procédé à un réalésage, on se trouve très souvent en présence d'un cliquetis incoercible.

C'est qu'en effet la cylindrée a augmenté du fait de l'accroissement du réalésage, et cette cylindrée plus forte se trouve comprimée dans le même volume de la chambre d'explosions, d'où élévation du taux de compression et apparition du cliquetis. À cela, il y a deux remèdes : un mécanique, qui consiste à faire creuser, par un spécialiste du fraisage, les chambres de combustion de la culasse d'une quantité à déterminer en fonction du nouveau diamètre des cylindres ; l'autre, plus simple, moins dangereux — car il n'y a plus de crainte de crever les chambres d'eau — d'employer le nouveau super. Et, s'il y a des points chauds donnant naissance à l'auto-allumage, ceux-ci seront peu à peu éliminés par l'emploi de l'essence alcoolisée, l'alcool étant un antidétonant et un décalaminant.

Quant au carburant binaire, s'il se comporte particulièrement bien sous cet angle, il ne faut pas perdre de vue que le mélange alcool-essence est toujours quelque peu instable. Comme nous l'avons vu plus haut, le défaut de benzol entraîne des départs plus difficiles, une consommation plus élevée, une accélération moins franche.

L'emploi de tous ces carburants spéciaux nécessitant une avance à l'allumage plus grande, voir le montage d'avance à commande manuelle si l'on veut obtenir le rendement maximum. Il ne faut pas oublier de ramener, à l'arrêt, l'avance à zéro ; dans le cas contraire, on risque les fâcheux retours d'allumage préjudiciables au moteur et au « nez » du démarreur.

Il est à craindre, surtout avec certaines marques, de faire une consommation excessive de ces derniers, particulièrement s'ils sont construits en fonte d'aluminium, voire en fonte aciérée. On limite souvent les dégâts en montant des « nez » en bronze, plus résistants à la casse.

G. AVANDO,

ingénieur E, C. P.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 367