Le Parlement vient de voter une loi, non encore publiée au
moment où ces lignes sont écrites, portant encore une fois prorogation de
certains baux industriels, commerciaux ou artisanaux.
On sait que les baux industriels, commerciaux ou artisanaux
ont fait, à plusieurs reprises, l'objet de prorogations instituées par les lois
des 18 avril 1946, 3 septembre 1947, 31 décembre 1948. Tout
récemment encore, une loi du 29 décembre 1949 a reporté du 1er janvier
1950 au 1er avril 1950 la fin de ces prorogations.
Le Parlement a été ainsi amené à différer, à plusieurs
reprises, le retour au droit commun de la législation sur la propriété
commerciale, pour pouvoir procéder auparavant à la refonte de la loi du 30 juin
1926 sur la propriété commerciale et des lois subséquentes, qui l'ont modifiée
et complétée.
Ce projet de réforme a été suscité par les réclamations des
intéressés. Ainsi que l'a déclaré le Garde des Sceaux au Parlement : « Il
n'est pas possible de laisser propriétaires et locataires dans la situation où
ils se trouvent. Ils ne sont satisfaits ni les uns ni les autres des
dispositions en vigueur. »
Malheureusement, l'importance des travaux législatifs et les
discussions d'urgence n'ont pas laissé au Parlement le temps nécessaire pour
procéder à l'étude et à l'adoption de ce projet de réforme de la propriété
commerciale si vivement attendu par les intéressés.
C'est pourquoi il a été amené à voter une nouvelle loi
reportant au 31 décembre 1950 la fin de la prorogation, qui avait été
fixée au 1er avril 1950 par la loi du 29 décembre 1949. Ce
répit permettra ainsi aux Chambres d'adopter, après étude, le nouveau statut de
la propriété commerciale.
Il y a lieu de signaler que, au cours des débats
parlementaires, la répétition de ces prorogations a été critiquée à plusieurs
reprises : « Compte tenu de l'expérience passée et récente, qui nous
prouve qu'au 31 décembre 1950 il ne faudra pas procéder à une nouvelle
prorogation ? Cette éventualité est loin d'être absurde. Nous sommes
hostiles à de telles méthodes. Nous protestons, une fois de plus, non seulement
en notre nom, mais aussi au nom des commerçants intéressés et des
propriétaires, qui sont mécontents des textes actuels et de ces prorogations
continuelles. »
L'Assemblée Nationale, saisie en premier lieu, a eu à
se prononcer sur trois textes : le projet du Gouvernement tendant à la
prorogation jusqu'au 31 décembre 1950 ; un amendement tendant à
limiter cette prorogation au 31 juillet 1950 ; un autre amendement
laissant subsister la prorogation jusqu'à la promulgation de la loi modifiant
et codifiant les textes concernant la propriété commerciale. Finalement, c'est
le texte du Gouvernement qui a été adopté.
Le premier amendement a été repoussé parce que fixant, comme
fin de la prorogation, une date limite trop rapprochée.
Le second amendement a été également rejeté en raison de son
caractère indéterminé, parce qu'il paraissait constituer un renvoi sine die.
Donc l'Assemblée Nationale a adopté le texte de loi suivant :
« La date du 31 décembre 1950 est substituée à celle du 1er avril
1950 dans l'article 1er de la loi du 29 décembre 1949 relative
à la prorogation de certains baux de locaux ou d'immeubles à usage commercial,
industriel ou artisanal. »
Le Conseil de la République, appelé à se prononcer,
s'est rallié au texte adopté par l'Assemblée Nationale et a voté ainsi le
principe de la prorogation des baux commerciaux et industriels jusqu'au 31 décembre
1950.
Il avait rejeté auparavant un amendement identique à celui
soutenu devant l'Assemblée Nationale et tendant à la prorogation de plein droit
des baux industriels et commerciaux jusqu'à la promulgation d'une loi modifiant
et codifiant les textes concernant la propriété commerciale.
Mais le Conseil de la République a été amené à se prononcer
aussi sur un texte additif, tendant à autoriser expressément la révision du
prix du bail pendant la durée de la prorogation, ainsi accordée à partir du 1er janvier
1950.
Cette question présente un très grand intérêt pratique,
comme on va le voir.
L'innovation, ainsi proposée par la Commission de
Législation civile de cette Assemblée, était motivée par une certaine
jurisprudence : « Il y a, en effet, une jurisprudence qui ne permet
pas aux propriétaires de baux commerciaux qui subissent de la part de leurs
locataires une prorogation de bénéficier depuis le 31 décembre 1948 d'une
possibilité de révision du prix. Certaines juridictions estiment, en effet, que
la loi du 2 septembre 1947, dans son article 2, n'a permis une révision
que pendant la prorogation expirant le 31 décembre 1948. »
Le Garde des Sceaux est intervenu pour réfuter cette
affirmation : « La jurisprudence, à peu près unanime, interprète le
texte de la loi de 1947 en ce sens que la révision du prix du bail est possible
non seulement pour la durée de la prorogation prévue par cette loi de 1947
(année 1948), mais encore pour la durée des prorogations qui, en vertu des lois
des 31 décembre 1948 et 29 décembre 1949, ont succédé à cette
dernière. » Et il a poursuivi : « Que va-t-il se passer si le
Conseil de la République adopte le texte proposé par la Commission et aux
termes duquel le prix du bail prorogé pourra être révisé à la demande de l'une
des parties, à compter du 1er janvier 1950 ? Cette
disposition risque d'avoir une incidence regrettable sur les instances engagées
avant le 1er janvier 1950, en consacrant implicitement la thèse
consacrée par une décision de jurisprudence isolée, à savoir que la révision du
prix ne s'appliquait pas aux prorogations autres que celles ordonnées par la
loi du 2 septembre 1947. »
Le Conseil de la République s'est rangé finalement à l'avis
du ministre de la Justice et a accepté purement et simplement le texte déjà
adopté par l'Assemblée Nationale.
Ainsi le texte finalement adopté par les deux Assemblées
législatives reporte du 1er avril 1950 au 31 décembre 1950
la fin de la prorogation des baux industriels, commerciaux et artisanaux.
Les débats parlementaires dont il vient d'être donné un bref
résumé ont permis de constater :
a. Le regret quasi unanime des prorogations
successives instituées en cette matière, justifiées cependant par les
circonstances ;
b. La nécessité d'aboutir rapidement à la mise au
point du statut de la propriété commerciale, qui a soulevé de nombreuses
réclamations de part et d'autre ;
c. La possibilité, pour les parties contractantes, de
demander la révision du prix du bail pendant la durée des prorogations.
À cela il convient d'ajouter les précisions suivantes :
La prorogation bénéficie aux baux expirés ou arrivés à fin
de prorogation au moment de la publication de la loi et aux baux qui arrivent à
échéance avant le 31 décembre 1950, à la condition que leur renouvellement
n'ait pas été conclu et que les titulaires de ces baux ou leurs ayants droit
soient encore dans les lieux.
Cet avantage de la prorogation n'est pas subordonné à
l'existence du droit au renouvellement du bail.
Il ne porte pas atteinte au droit du commerçant ou de
l'industriel ou de l'artisan d'exiger le renouvellement de son bail à compter
de l'expiration de celui-ci ou, s'il est déjà expiré, à compter du 1er janvier
1951.
Les demandes en renouvellement et les demandes en reprise
formées antérieurement à la promulgation de la loi en question n'ont pas à être
renouvelées.
Nous suivons très attentivement l'évolution de ce projet de
codification et de modification des textes relatifs à la propriété commerciale ;
les lecteurs en seront tenus au courant.
L. CROUZATIER.
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