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L'intelligence des animaux

On a beaucoup parlé de l'intelligence des animaux en face de leur instinct, et les savants ne sont jamais arrivés à tomber d'accord sur ces thèmes.

Toutefois, on doit à un savant suisse, le professeur-docteur Édouard Claparède, des travaux remarquables sur ce sujet. S'ils n'ont point définitivement tranché la question, ils ont cependant fait avancer grandement le thème.

D'après lui, le mystère de l'intelligence des animaux se réduirait en quatre postulats  :

    1° L'intelligence découle de l'instinct ;

    2° Intelligence et instinct sont irréductibles l'un à l'autre ;

    3° L'instinct est au contraire la base même de l'intelligence, mais en découle  ;

    4° L'instinct n'existe pas et n'est qu'une vue de l'esprit.

Ces quatre postulats ont chacun leurs supporters et se trouvent défendus par des arguments scientifiques indiscutables.

Dans son ouvrage, La Descendance de l’Homme, Darwin soutenait qu'il n'y avait pas lieu de distinguer l'intelligence de l'instinct. C'étaient seulement deux étiages différents dans la hiérarchie des productions des cerveaux, et ces hiérarchies étaient elles-mêmes conditionnées par l'anatomie nerveuse correspondant à chaque espèce animale.

Un autre zoologiste, W. Kohler, alla même beaucoup plus loin en identifiant le comportement cérébral d'un singe avec celui d'un humain qui serait abandonné à la seule nature sauvage.

Les adversaires de ces théories font remarquer qu'il existe dans la nature de multiples variétés d'animaux qui n'ont aucun contact avec la civilisation humaine et qui, cependant, marquent une hiérarchie très différentielle d'intelligence. Un ver de terre, un loup, un sanglier, un cerf présenteraient la preuve qu'il existe une étroite relation entre la conformation de leurs cerveau et corps et leurs intelligences respectives.

Cependant des observations plus approfondies ont prouvé que l'intelligence ne croît pas parallèlement avec la place zoologique de l'animal dans la hiérarchie de sa constitution, pas plus que dans l'ancienneté paléontologique de ses origines initiales.

À défaut d'observations décisives, on doit se contenter de méthodes analytiques, et celles-ci sont de deux sortes : d'une part, le poids et la structure du cerveau et, d'autre part, les psychanalyses comparatives.

Celles-ci sont à limiter utilement aux animaux supérieurs les plus évolués, et surtout les vertébrés et les mammifères, plus spécialement en face de quelques tests parmi les autres.

Incontestablement, c'est le cerveau qui est l'organe majeur et le siège de l'instinct comme de l'intelligence.

Le poids du cerveau est difficile à comparer entre les diverses espèces, car tous les animaux n'ont ni le même volume, ni le même poids.

On a eu recours, alors, à une formule tenant compte de cette observation, elle est due au Hollandais Eugène Dubois, grand anthropologiste, auquel on doit la découverte du pithécanthrope de Java, en 1898. Sa formule est dite « coefficient de céphalisation » et représente tout simplement le rapport arithmétique entre les poids moyens du corps et du cerveau. Comme les savants aiment bien les mots hermétiques, un de ses disciples décida que le tracé d'une courbe comparative serait dite « courbe isopsychique de Nicolaï ». Plus simplement, c'est le tracé d'un diagramme par les divers coefficients.

On y relève les index suivants :

Homme, 2,74 ; grands singes, 0,75 ; singes inférieurs, 0,50 ; cheval, bovins, 0,40 ; chien, renard, 0,38 ; chat, félins, 0,32 ; perroquet, 0,30 ; lapin, 0,19 ; rat, autruche, souris, paon, faisan, de 0,08 à 0,07.

L'examen du tableau ou de la courbe montre que, si les coefficients des animaux se suivent de près, il y a un grand hiatus pour arriver à celui des humains, qui est quadruple du plus fort (singes anthropoïdes) et environ sextuple du suivant (singes inférieurs).

Mais d'autres hiatus encore plus marquants existent entre les groupes animaux, comme les vertébrés inférieurs.

Enfin une surprise est grande quand on considère que le chien est moins intelligent qu'une vache ou un âne.

Pour corriger ces données, on a fait appel à l'anatomie, et celle-ci a démontré qu'outre le poids proportionnel du cerveau il fallait tenir compte de la densité de ses circonvolutions.

Le second test ressort de l'analyse psychique, c'est-à-dire l'observation et l'étude du comportement de l'animal.

Ces expériences relèvent du laboratoire et font appel à la mémoire, au souvenir, à l'adresse, à la crainte, la peur, la douceur, etc.

Les résultats sont peu simples, car il est souvent impossible de parvenir à établir une hiérarchie entre certaines qualités spéciales à un animal et non existantes chez un autre. On dit qu'elle est alors « spécifique ».

Les faits d'observation sont encore ici déroutants, car ils ne correspondent aucunement avec le degré anatomique d'évolution des animaux. L'écureuil, cependant fort habile, est bon dernier, tandis qu'un capucin est ex aequo avec un singe.

Il faut tenir compte aussi des variations individuelles, et une moyenne est extrêmement difficile à établir.

Dans l'état actuel des connaissances, tout ce que l'on peut dire est que, très loin, même les sauvages les plus arriérés sont de beaucoup supérieurs en intelligence aux singes domestiques les plus évolués.

Il faut s'en souvenir et se garder de généralisations hâtives quand on considère un de nos bons animaux domestiques. Un simple chien des rues reste, malgré son manque d'intelligence — relative aux dires des savants, — autrement bon, fidèle et agréable qu'un gorille ...

Louis ANDRIEU.

Le Chasseur Français N°640 Juin 1950 Page 376