Chateaubriand a écrit dans son Génie du Christianisme :
« L'épousée recevait du curé la bénédiction des fiançailles et déposait
sur l'autel une quenouille entourée de rubans. » Le grand écrivain fait
allusion, dans ce passage de son livre, à une coutume autrefois très répandue
et qui était encore bien connue dans la seconde moitié du siècle dernier dans
plusieurs provinces françaises.
Cet usage est signalé, dès le XVIe siècle,
par G. Bouchet dans son curieux ouvrage, les Sérées : « Anciennement,
écrit cet auteur, on portoit devant la mariée, en allant au logis de l'époux,
une quenouille chargée de laine, avec le fuseau, pour luy ramentevoir
(rappeler) qu'elle se devoit exercer à filer et non à autre chose. » Si,
du temps de cet aimable conteur, cette tradition était déjà perdue, cependant
une autre était encore en vigueur : celle de remettre, lors du mariage,
une belle quenouillée de lin sur l'autel de la Vierge.
Cette tradition existait en Normandie, et de nombreux
auteurs nous l'ont décrite. À Étienville, dans la Manche, au XVIIIe
siècle, et sans doute au début du XIXe, une quenouille restait en
permanence auprès de la statue de la Vierge. La jeune mariée, ou sa demoiselle
d'honneur, devait, le premier dimanche après les noces, y attacher un ruban et
faire présent à l'église d'un écheveau de fil de lin. Vers 1880, J. Lecœur nous
décrit ainsi la cérémonie dans le Bocage normand : « Quelques jours
après le mariage, la jeune épouse, accompagnée de son époux et des proches,
part le matin de sa demeure, emportant la quenouille chargée de lin,
enrubannée, qui a figuré sur le char du trousseau. Le cortège se rend à
l'église, assiste pieusement à la messe, puis, l'office achevé, la mariée va
s'agenouiller devant l'autel de la Vierge. Après une fervente prière, elle se
lève et place auprès de l'image vénérée sa rustique offrande, qui y restera
exposée jusqu'au jour où la quenouille d'une autre bru viendra la remplacer.
Jadis, la nouvelle mariée emportait la quenouille qu'elle venait de remplacer
par la sienne et devait la filer. Sa quenouille attendait la mariée suivante,
et ainsi le fil ne manquait jamais à la sacristie ni au presbytère. »
A. Canel, dans son amusante description d'une noce aux
environs de Pont-Audemer, au début du XIXe siècle, ne manque pas,
lui non plus, de mentionner le transport du trousseau, qui « était
surmonté d'une quenouille enrubannée et chargée de lin et placée sous la
surveillance d'une proche parente de la future épousée » ; cet objet,
écrit-il, « était là pour attester que la jeune femme saurait s'occuper en
vue de la prospérité du ménage ».
L'abbé Angot, dans son Dictionnaire de la Mayenne, a
signalé l'usage de la quenouille de la jeune épouse à Saint-Jean-sur-Mayenne.
Dans le Perche, cette coutume existait et portait le nom poétique de « fil
de la Vierge ». La Beauce, voisine de la Normandie, avait, elle aussi, ses
pelotes de chanvre offertes par les jeunes femmes. Encore au XIXe
siècle, au pays chartrain — et en Berry, — la nouvelle mariée filait
soit dans l'église même, soit sous le porche. Vers 1870, avant de sortir du
sanctuaire, la mariée, aux environs de Chartres, se dirigeait soit vers l'autel
de la Vierge, soit devant une statue de sainte Anne ; là, un des marguilliers
lui présentait une riche quenouille, dont le manche sculpté était garni de
filasse et de rubans ; elle l'emportait chez elle afin de la filer. Ce
rite était encore suivi à Auneau, en 1896, et, cette année-là, une mariée — d'origine
méridionale — refusa, écrit Albert Dauzat, de s'y plier ! À Meslay-le-Grenet
— église célèbre par sa Danse macabre — à la même époque, les jeunes
femmes du village acceptaient encore de s'y soumettre. On pouvait voir, il y a
quelques années, près de l'autel de la Vierge de cette petite église, l'antique
quenouille datant du XVIIIe siècle et dont le manche, finement
gravé, était fort admiré des visiteurs — peut-être un peu trop, puisque ce
curieux monument folklorique a disparu !
Nous retrouvons cette tradition en Berry. Nous céderons la
plume à un historien local, Adrien de Barral, qui, dans la Revue du Centre,
de 1886, a étudié les quenouilles de marraines et de mariées : « Dans
une partie du Berry — entre autres, aux environs de Bourges, —vous
pouvez voir, dans la chapelle de la sainte Vierge, huit ou dix quenouilles,
exposées et rangées sur une espèce de portemanteau en bois. Ces quenouilles ont
leur manche brodé (sic) au couteau, historié et enjolivé de dessins variés, de
zigzags, de branches de feuillages et de fleurs en saillie. En haut, l'étoupe
est emmaillotée de rubans de différentes couleurs, dont les bouts pendent tout
autour ... Voici quel en est l'usage : après chaque baptême, on remet
une de ces quenouilles à la marraine ; elle l'emporte chez elle, file le
chanvre, puis elle refait la quenouille, en y mettant d'autre étoupe et en l'habillant
de nouveau. Ordinairement, on renouvelle aussi le manche ; c'est le
parrain qui façonne le nouveau bâton, en mettant tous ses soins et tout son
goût d'artiste à cette délicate besogne. La marraine alors rapporte aux
marguilliers la nouvelle quenouille et leur remet aussi son peloton de fil :
ce fil est destiné à être transformé par le tisserand en linge pour l'église.
» Les mariées ont aussi leur quenouille. Le dimanche
qui suit le mariage, le sacristain, où un fabricien, vient, pendant la grand'messe,
remettre à la nouvelle épousée sa quenouille. Elle fait la même chose que la
marraine, et le marié confectionne également un nouveau manche festonné. »
En Île-de-France, dans maints villages, on pouvait aussi
voir de ces petits objets féminins à la chapelle de la Vierge ; les frères
Seignolle, dans leur livre sur le Folklore du Hurepoix, ont noté que,
vers 1930, cette coutume était en voie de disparition. Autrefois, à
Saint-Chéron, durant la messe, le bedeau faisait embrasser la quenouille — qui
restait toujours à l'église — à la jeune femme ; à Saint-Lambert, le
jour des noces, la mariée portait au saint temple un bout de son voile, qui
devait y séjourner durant un an ; le dimanche d'après, les jeunes filles
lui offraient une quenouille pour qu'elle apprenne à filer. À
Voisins-le-Bretonneux, quand la mariée retournait pour la première fois à la
messe, une de ses compagnes lui présentait une quenouille, qui n'était
d'ailleurs qu'un bâton habillé de dentelles et orné de fleurs d'oranger ;
la jeune femme devait embrasser ce simulacre et donner une pièce.
A. van Gennep, le maître incontesté du folklore français, a
publié récemment, dans un magnifique ouvrage consacré à l'art populaire, le
dessin d'une quenouille de mariée découverte à Sainte-Geneviève-des-Bois, en
Seine-et-Oise. Cet intéressant instrument est décoré de dessins très naïfs :
on y voit le curé, la mariée et divers symboles religieux.
Cette tradition était très en faveur en Brie. Le voyageur Goudemetz,
visitant l'église de Champeaux, près de Meaux, en 1786, notait : « Il
est d'usage, quand une fille se marie, d'apporter sur l'autel de la sainte
Vierge une quenouillée qu'elle a filée elle-même. »
Ce rite existait aussi dans d'autres provinces, en Bretagne,
en Poitou, par exemple. Espérons que les enquêtes entreprises par la Fédération
folklorique d'Île-de-France et le Comité de folklore normand feront découvrir
dans les placards des églises de nombreuses quenouilles de mariées et
permettront ainsi de sauver de l'oubli et de la destruction ces amusants petits
bibelots, derniers témoins d'une coutume plusieurs fois séculaire.
Roger VAULTIER.
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