Nous sommes à l'époque de l'automatisme, et la machine
paraît pouvoir remplacer l'homme. Néanmoins, elle doit être encore conduite par
l'homme, ou, du moins, toutes les phases de son travail ont été à l'avance
prévues par son constructeur ou par l'opérateur qui veille à son
fonctionnement.
Mais on va certainement de plus en plus loin dans cette
voie, grâce à cette nouvelle branche des applications scientifiques constituée
par l'électronique, c'est-à-dire l'utilisation des propriétés de l'émission des
électrons sous toutes ses formes.
On a pu créer, en particulier, des appareils de comptage, de
sélection, de contrôle et de mesure. Les grandes machines mathématiques
construites aux États-Unis depuis une dizaine d'années, et dont il existe
maintenant quelques exemplaires en France, sont capables d'effectuer très
rapidement des millions d'opérations élémentaires, telles que l'addition ou la
multiplication de nombres complexes atteignant 20 chiffres, d'effectuer
n'importe laquelle des opérations mathématiques et, même, de résoudre des
problèmes très complexes, beaucoup mieux que des mathématiciens.
Suivant un exemple saisissant, des machines de ce type
permettent de calculer la trajectoire d'un projectile en trente secondes,
c'est-à-dire en moins de temps que l'obus ne met pour atteindre son objectif.
Un calculateur exercé demanderait deux jours pour exécuter ce travail.
Nos appareils de calcul étaient jusqu'ici extrêmement
rudimentaires et n'étaient pas au niveau de nos outils manuels ; ces
machines automatiques sont comparables aux appareils automatiques d'usinage et
de fabrication. Il y a autant de différence entre elles et les anciennes tables
ou machines à calculer qu'entre une lime ou un marteau de serrurier et un tour
automatique d'atelier.
Nous ne sommes qu'à une première étape. Nous avons des
appareils qui permettent de résoudre rapidement des problèmes déterminés.
Peut-on aller plus loin et remplacer, tout au moins partiellement, le cerveau
humain ?
Il existe, dès à présent, des machines merveilleuses destinées
à suppléer un sens déficient. On a créé des appareils permettant à un aveugle
de lire directement au son un texte imprimé, au lieu d'avoir recours à
l'écriture Braille, en employant un analyseur photo-électrique et un
amplificateur électronique.
On a, de même, créé des machines « visualisant »,
en quelque sorte, la parole et permettant aux sujets sourds, et, plus
spécialement, aux sourds-muets, de distinguer les images sonores des paroles
qu'ils ne peuvent entendre. Il existe, de même, de véritables appareils de
radar pour aveugles, leur permettant d'éviter des obstacles en se basant sur
les indications de leur ouïe, et non de leurs yeux, à la manière, d'ailleurs,
des chauves-souris.
Il existe même des « machines à prévoir », et leur
création a été envisagée, pour la première fois, dans des buts militaires, et,
plus spécialement, pour la défense contre avions. Il fallait atteindre des
aviateurs volant sur un avion déterminé, sachant qu'on tirait sur eux, arrivant
d'une certaine direction, et prévoir quelle serait la position de l'avion la
plus probable à un instant ultérieur, étant donné l'espace relativement grand
parcouru par cet objectif entre le moment où le canon était mis en action, et
le moment où le projectile pouvait l'atteindre.
La machine ne remplace plus désormais un seul opérateur ;
elle peut jouer le rôle de toute une équipe. Déjà, on réalise des appareils
pouvant effectuer automatiquement des opérations complètes d'un bureau de
chèques postaux, résoudre tous les problèmes qui peuvent s'y présenter.
N'a-t-on pas créé des machines à jouer, en particulier des
machines à jouer aux échecs, pouvant se mesurer avec tout joueur de force
moyenne, tout au moins dans des limites déterminées ?
Cependant, ces machines ont un caractère commun. Elles
permettent de résoudre certains problèmes, mais uniquement dans des limites
déterminées et dans des cas prévus à l'avance par le constructeur. Ce sont, si
l'on veut, des machines réflexes, mais non des machines intelligentes.
Cependant, elles offrent déjà des liaisons nouvelles entre
des sciences qui paraissent, à première vue, très éloignées les unes des
autres.
La machine à calculer électronique n'est-elle pas
comparable, d'une manière étonnante, tout au moins au point de vue
physiologique, à notre système nerveux lui-même ? Cette machine comporte
des organes d'enregistrement initial, de transmission, d'élaboration et même de
mémoire, des organes de contrôle et, enfin, de conduite et d'exécution. Le
dispositif humain ne lui est-il pas comparable ?
Là aussi, nous observons des organes d'enregistrement, qui
sont des terminaisons nerveuses, des circuits transmetteurs d'impulsions
constitués par les nerfs, des organes de contrôle, les ganglions nerveux, des
organes de mémoire, de conduite et d'exécution, dans le système nerveux
central.
L'analogie n'est pas seulement organique et, en quelque
sorte, matérielle, elle est fonctionnelle et presque mentale. Les machines
électroniques ont leurs réflexes, leurs troubles nerveux et leur logique. Une
panne d'un circuit, le claquage d'un condensateur se traduit par une erreur ;
la machine peut devenir réellement folle et fournir un travail absurde.
Rien n'empêche donc de songer à la réalisation de machines
qui ne résoudraient plus seulement des problèmes mathématiques, mais des questions
scientifiques quelconques, économiques ou même politiques ! Cependant, de
telles machines doivent-elles toujours être limitées à des cas nombreux, mais
prévus à l'avance, ou pourra-t-on en faire également des organes de prévision,
c'est-à-dire les assimiler complètement, en un sens, à des cerveaux humains ?
Les mathématiciens et les philosophes ont assimilé les
problèmes humains à des jeux, mais dont les données sont complexes et variables ;
c'est là, sans doute, que résident les plus grandes difficultés. La solution
des questions humaines dépend non seulement des données mathématiques et
physiques, mais aussi de facteurs proprement humains et variables, que les
mathématiques ne permettent pas de déterminer à l'avance. Pour cela, sans
doute, le cerveau électronique peut bien être supérieur sur certains points au
cerveau lui-même, mais ne semble pas pouvoir le remplacer.
P. HÉMARDINQUER.
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