Faisant suite à ce que nous avons exposé dans notre dernière
causerie, nous examinerons maintenant comment on a cherché dans l'agglomération
des charges un moyen d'améliorer les résultats du tir à longue portée.
Les premiers essais intéressants à ce sujet ont été connus,
croyons-nous, vers 1850 en France et en Belgique ; ce sont ceux de la
cartouche Eley, à chargement grillagé, inventée peu de temps avant en
Grande-Bretagne. Dans ce dispositif, le plomb est contenu dans une enveloppe
cylindrique de fin grillage métallique recouvert de papier léger et clos par
une bourre et un repli du papier, ou parfois au moyen de deux bourres. Les
avantages recherchés par l'inventeur étaient le retard dans la dispersion des
grains au sortir du canon et une protection contre l'usure pendant le parcours
dans ce dernier ; une petite quantité de poussière d'os, versée sur le
plomb, diminuait la déformation des grains et s'opposait à leur juxtaposition.
Dans son édition de 1855, Mangeot, l'arquebusier belge,
déclare très sincèrement que les charges grillagées constituent un progrès
intéressant, et nous devons reconnaître que, sous sa forme primitive, ce
dispositif de chargement a connu une longue période de faveur. Très étudié dans
ses détails à l'origine, le grillage devait vraisemblablement laisser échapper
les plombs progressivement et à une distance bien réglée ; par la suite,
fabriquée moins soigneusement, la charge grillagée donna parfois des mécomptes
en faisant balle et on lui préféra les forages choke, dont le mérite était
évident aux moyennes distances.
D'autre part, vers 1860, on apprit en France que l'empereur
François-Joseph employait, pour le chargement de ses fusils à baguette, des
charges de plomb contenues dans de petits sacs confectionnés avec de l'étoffe
légère au fond desquels était collée une épaisse bourre de feutre ; ce
dispositif améliorait à la fois la portée et la rapidité de chargement des
armes à baguette. Il a été essayé quelques années plus tard dans les cartouches
des fusils à broche, sans grande supériorité d'ailleurs sur les charges
grillagées.
Toujours dans le même ordre d'idées, et à peu près vers la
même époque, l'inventeur français Davoust, cherchant à améliorer la régularité
du point où commence la dispersion dans les artifices agglomérés, mettait au
point un dispositif composé d'un godet de carton muni d'un culot attaché au
moyen d'une ficelle de quelques centimètres. L'ensemble était placé sur la
charge de poudre, sans bourre ; on versait la charge de plomb et on
fermait la cartouche au moyen d'une rondelle de grillage sertie normalement.
La vidange du godet s'effectuait après une quinzaine de
mètres de parcours ; la dispersion était régulière et les vitesses
restantes assez bonnes. Dans l'ensemble, les portées efficaces étaient moindres
que celles des charges grillagées, mais la régularité meilleure.
Ce genre d'artifice dut également céder la place aux canons
choke, toujours pour des raisons tenant à la fois à l'équivalence des résultats
et à la simplification du chargement.
Nous devons noter toutefois que ces idées ont souvent été
reprises par un certain nombre d'inventeurs ; tous les dispositifs dont
nous avons eu connaissance procèdent de la cartouche à charge grillagée ou de
la cartouche Davoust ; nous en avons essayé un certain nombre et nous
pensons que l'on peut arriver aux conclusions ci-après.
Tous les artifices d'enrobement de la charge de plomb sont,
par la nature même de l'enveloppe, plus ou moins déformés au passage dans le
canon et possèdent de ce fait une irrégularité d'effets plus ou moins grande.
En outre, réaliserait-on (ce qui n'est pas impossible) une amélioration
de ce côté, l'écart probable du dispositif est toujours supérieur à celui des
balles de calibre ; il en résulte qu'aux grandes portées, si la
pénétration et le groupement sont parfois excellents, la précision reste
médiocre. Tous ces chargements nécessitent, bien entendu, l'emploi du forage
cylindrique, à l'exclusion de tout forage rétréci.
Certains inventeurs se sont demandés si l'emploi d'une
enveloppe rayée extérieurement, à l'exemple de certaines balles, n'améliorerait
pas la précision ; nous n'avons jamais eu connaissance de résultats
d'essais probants à ce sujet. D'autre part, un simple cylindre de carton
contenant la charge prend assez bien la rayure des canons genre Supra, et nous
croyons que c'est plutôt dans ce sens qu'il conviendrait de rechercher une
solution au problème.
Il y a en effet un problème des longues portées ; le
général Journée a fait observer que, dès que l'on dépasse une cinquantaine de
mètres, le canon à forage cylindrique présente une dispersion moindre que le
canon choke. Ce dernier, très avantageux vers la limite des portées ordinaires,
perd finalement une partie de sa supériorité. Il en résulte que, dès que
l'objectif possède une certaine étendue et qu'il n'y a pas à faire intervenir
de correction de vitesse du gibier — c'est le cas, par exemple, du tir sur
un groupe d'oiseaux posés, — on peut admettre un écart probable assez
important pour peu que la gerbe rencontre une fraction de l'objectif et que les
plombs aient conservé une vitesse et une dispersion convenables. Or, par
rapport au choke, les charges agglomérées ont, aux portées extrêmes, une
certaine supériorité au point de vue de la vitesse restante et de la
dispersion. Il est bon d'en tenir compte dans certains cas particuliers.
Inversement, dès que la précision du tir est indispensable,
et c'est ce qui se présente dans la majorité des cas, les artifices sont
souvent décevants et on s'explique ainsi l'extension des canons choke ; il
ne faut pas toutefois leur demander plus qu'ils ne peuvent donner.
Nous ajouterons, pour mémoire, qu'il a été proposé deux
autres solutions au problème du tir à longue portée. La première consiste dans
l'emploi d'un petit obus à grenaille, à fusée réglable, analogue à ceux
employés dans l'artillerie ; il serait en effet possible d'organiser, à
partir du calibre 12, des projectiles de ce genre, mais ils seront toujours
d'un fonctionnement délicat et d'un prix de revient très élevé.
La seconde solution, plus ingénieuse, fait appel au principe
des charges autopropulsées. Un projectile, chargé de grenaille, est lancé à une
vitesse initiale relativement faible par une première charge de poudre qui
allume la charge d'autopropulsion. Cette dernière accélère la vitesse et, au
moment choisi, met le feu à la charge d'éclatement qui libère ainsi la
grenaille. Cet ensemble, très séduisant théoriquement, a l'inconvénient de
nécessiter des réglages assez délicats et de consommer une grande quantité
d'explosif en raison du mauvais rendement dynamique des projectiles
autopropulsés. Il n'est pas exclu, toutefois, que, pour des cas très
particuliers, l'emploi de ces dispositifs ne présente pas certains avantages.
Actuellement, et en attendant des réalisations pratiques,
les chasseurs désireux de tirer habituellement un certain nombre de pièces au
delà des portées ordinaires feront sagement de s'en tenir à l'emploi de
calibres plus gros, normalement chargés. C'est là la véritable méthode de
l'augmentation des portées efficaces.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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