Du temps que nous courions le lièvre à pied, et parfois le
renard, nous avons eu quelques surprises ; certainement plus qu'en
chassant en grand équipage, comme nous le fîmes par la suite. C'est assez
facile à expliquer : dans une forêt bien percée, une meute nombreuse
servie et secondée par des cavaliers, des gardes et des suivants en auto,
permet au laisser-courre de se dérouler selon un rythme connu, et les seuls
incidents ne sont redevables que de la qualité de la voie, du bon ou du mauvais
temps et de la chance.
Tandis que le veneur qui opère seul, ou à peu près, dans des
boqueteaux mai entretenus, rencontre souvent l'aventure au coin d'une lande ou
d'un fourré.
Chacune de ces chasses a ses charmes ; ayant pratiqué
les deux, je peux en parler sans parti pris, car je les ai aimées — et je
les aime encore — également l'une et l'autre.
Or, un jour de 1928, le 7 mars pour préciser et ainsi
que l'indique notre livre de chasse, nous arrivions à notre rendez-vous, un
simple croisement de routes et d'allées au milieu des bois. À 11 heures
exactement, nous découplions nos quatorze vendéens dans les ajoncs de la
Perchais. Après avoir trôlé assez longtemps sans rien rencontrer, notre bon
Waterloo commence à rapprocher, rapprocher très court sur un renard qui se
dérobe, car tous les chiens crient à pleine gorge à sa suite et c'est seulement
par la vitesse des griffons qui volent soudain sur la voie que nous savons que
c'est attaqué et que l'animal est debout.
Le renard refuse une route, file sur sa droite en un long crochet
et revient vers la plaine. Il débuche bientôt et nous voyons nos vendéens, bien
groupés et criant à ravir, qui semblent raser les chaumes comme un vol
d'oiseaux blancs.
La musique est délicieuse et ininterrompue — et c'est
un des charmes de la chasse du renard, car, sur cette voie forte, nos bons
chiens de lièvre carillonnent à qui mieux mieux — écoutez les grands
hurleurs : les Vagabond, Xaronaud, Troubadour, Zigomar, Zanzibar, Zéphyr ;
les hurleurs légers : Tutelle, Volante, Belle-Orange, Antilope ; les
cogneurs comme Baliveau et Kimono et la gorge hautaine de Waterloo qui scande
la mesure comme il mène le branle en grand chien qu'il est, le plus complet et
le meilleur du lot.
Après un bon parcours en plaine, le renard a repris le fort ;
c'est une longue suite de boqueteaux qu'il parcourt à plein train, et nous
devons forcer l'allure, car sans un balancer la menée se déroule. Heureusement
nous connaissons parfaitement le pays et la route immuable qu'empruntent les
animaux, aussi nous ne perdons pas contact ; du reste, quand des chiens
crient bien, ils sont relativement faciles à suivre.
De plus, le renard file dans le vent et, refusant un nouveau
débucher, amorce un retour et revient vers ses enceintes d'attaque. Il randonne
dans un nouveau bois plus étendu, car il fait 100 hectares, puis, continuant
son retour, reprend la plaine en sens inverse et un kilomètre plus bas que la
première fois.
La menée est toujours aussi belle et bruyante, la voie doit
être excellente malgré la chaleur, car les chiens chassent comme des enragés.
Et notre animal arrive aux Landes, il y entre par la partie la plus fourrée et
fait tête de nouveau vers la Perchais.
Mais, dans les fonds qui sont inondés par suite de
pluies récentes, il prend l'eau, et les chiens tombent à bout de voie. Le
défaut est redoutable, ayant lieu en plein fourré, et il est impossible
d'arriver aux chiens. Ne pouvant aider nos vendéens, je décide de les porter en
avant ; bien m'en a pris : le renard a battu l'eau pendant peut-être
500 mètres et, après vingt-cinq minutes de défaut, les chiens en refont
péniblement, car la voie est froide et l'animal forlongé. Ils ont beaucoup de
peine à faire suite, mais nous les portons toujours en avant et, après une
demi-heure de chasse au pas, la voie se réchauffe, les bien-aller retentissent
et la menée reprend bien franchement dans des ajoncs.
Ainsi bousculé malgré ses ruses, maître Renard a chaud, ses
randonnées au fourré se raccourcissent, ses forces semblent l'abandonner, et
derrière lui la fanfare de mort retentit, toujours aussi bruyante, aussi
inexorable.
Il tente un dernier effort, il se jette dans un massif
d'acacias dont le sous-bois est envahi par des épines noires et des ronces ;
il s'y fait battre dans des coulées faites à sa taille, mais où nos chiens peinent
et souffrent. Cependant Waterloo carillonne toujours et perce dans le piquant,
ses compagnons font chorus ; la chasse continue, ponctuée de bien-aller,
et les minutes qui s'écoulent dans ce terrifiant concert de voix hurlantes
épouvantent l'animal sauvage et diminuent ses forces.
Il est maintenant sur ses fins ; terrifié, rendu, fini,
il parvient avec peine à gagner un petit terrasson en bordure d'un fossé. Les
abois scandés des vendéens nous préviennent ; nous arrivons et le Terrer
du Renard résonne.
Nous pouvons apercevoir le museau du matois à peine distinct
dans l'ombre du trou, ses yeux flamboient et un rictus menaçant crispe sa face.
Il est bien forcé, mais pas facile à prendre.
Comme je suis seul avec mon homme, nous couplons les chiens
et attachons les hardes à un baliveau ; puis, débarrassé de ce souci, je
peux à mon aise examiner la situation : elle n'est pas belle, nous sommes
loin de toute habitation, sans outils ni pinces, et je me demande comment nous
allons en finir, car il n'est pas question, bien entendu, d'abandonner notre
animal.
Je me souviens alors, fort utilement, de ce que faisaient
autrefois nos ancêtres, les chasseurs de loup, quand ils voulaient servir leur
animal au couteau, et je vais tenter de procéder en suivant un peu leur
méthode.
Je m'allonge donc au-dessus du terrier dans une position
très incommode, avec la tête en bas et les pieds en l'air, puis je demande à
notre homme de présenter au renard un bâton qu'il lui amène incontinent sous le
nez. Et cela ne rate pas. Comme autrefois les loups, le renard se jette dessus
et mord furieusement, me donnant ainsi le temps de le saisir par les oreilles.
Je lui maintiens la tête hors du trou, mais c'est tout ce que je peux faire,
manquant de point d'appui et n'ayant pas la force nécessaire pour le sortir.
Toutefois cette position très précaire, et au demeurant fort comique, permet à
notre homme de passer sans risque un couple au cou de notre animal ; il le
sort alors facilement, à demi étranglé par sa défense et ses soubresauts furieux.
Les chiens hardés se démènent et crient comme des démons, et
j'ai beaucoup de peine, maintenant que j'ai repris la position verticale, à les
maintenir pendant que le piqueux traîne son renard jusqu'à la lisière du bois,
où il le « découple » en plaine. Quelques instants après, nos
vendéens volaient sur la voie et bientôt étranglaient maître Goupil ; il
était 4 h. 30.
Longtemps j'ai gardé la tête de ce magnifique renard
charbonnier que j'avais fait naturaliser et qui ornait un mur de notre bureau ;
elle a disparu avec tant d'autres souvenirs, mais, pendant cette saison
1927-1928 où, sur quarante-huit sorties nous avions sonné vingt-huit fois
l'hallali, ce fut une de nos prises les plus curieuses.
Guy HUBLOT.
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