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Bonne et mauvaise voie

La voie est constituée par les senteurs laissées par l'animal sur son passage. On a discuté sur le point de savoir si elles émanaient de ses pieds, de son corps ou de sa respiration. J'ai l'impression qu'elles proviennent de l'ensemble de l'animal.

Lorsque j'étais très jeune, j'aimais bien faire faire des concours de pistage à trois chiennes, je les avais d'abord habituées à me retrouver. C'était l'enfance de l'art. Mais, lorsqu'elles eurent bien compris ce que je demandais d'elles, au lieu de partir à pied, j'enfourchais ma bicyclette et je faisais lâcher les chiennes un quart d'heure ou une demi-heure après mon départ : elles me retrouvaient avec la même certitude. Rien de moi ne touchait au sol. Mes senteurs émanaient bien de mon corps, en suspens, sur mon vélo, et flottaient en quelque sorte dans l'air ; il ne pouvait pas être question de senteurs laissées au contact du-sol.

Il n'en est pas moins vrai, d'ailleurs, que, s'il y a contact avec le sol et contact prolongé, la senteur est certainement plus forte et plus durable. La voie d'un lièvre qui va lentement, qui se promène et qui s'arrête, est infiniment meilleure que celle du lièvre qui fuit à toute allure. Bien des chasseurs ont pu remarquer, d'autre part, qu'un lapin ou un lièvre qui vient d'être « enfumé » — ou qui a simplement subi une grande frayeur — semble perdre brusquement une partie de ses senteurs. Après cette frayeur et la fuite éperdue de l'animal, les chiens ont souvent de la peine à suivre sa voie, alors qu'ils avaient gaillardement chassé jusque-là.

La respiration ou l'odeur ont-elles été influencées par cette émotion ? C'est très possible.

Il n'est pas douteux que si chaque animal a son odeur individuelle, parfaitement perceptible pour les chiens, les plus subtils ou les plus réfléchis que sont les chiens de change, cette odeur individuelle n'est pas uniformément la même. Un chien mouillé n'a pas la même odeur qu'un chien sec. Un cheval frais qui sort de l'écurie n'a pas la même odeur qu'un cheval ruisselant de sueur. Et pour le chien de change, ou tout au moins pour le chien bien en curée, sans être inévitablement de change, c'est beaucoup moins l'odeur individuelle que l'odeur d'animal échauffé qui joue le plus grand rôle.

Alors, on peut se demander ; par certaines températures, l'animal laisse-t-il des odeurs plus fortes, ou par certaines températures ces odeurs de même intensité sont-elles plus durables ?

Peut-être y a-t-il du vrai dans les deux suppositions. On est parfois étonné de la persistance de la voie. Un jour où un de mes chiens suivait une voie de sangliers en plaine, une bergère me dit : « Vous arrivez trop tard, c'est hier qu'il est passé là. » Vingt-quatre heures après, les senteurs étaient encore très perceptibles, et même excellentes.

Un de ces matins derniers, je promenais mes lévriers en laisse, en suivant la berge d'un petit chemin. Un imprudent lapin de garenne était bien gîté là, dans l'herbe. D'un bond, les lévriers le happent et, naturellement, se le partagent en vitesse. Le lendemain, je passe au même endroit, avec deux autres lévriers qui n'avaient point eu connaissance de ce festin. Ils se précipitent et hument les herbes avec une agitation extrême. Les lévriers n'ont pas la réputation d'avoir la finesse de nez d'un rapprocheur. Malgré tout, vingt-quatre heures après, ils trouvaient les senteurs de l'animal.

À côté de cela, il arrive que, vingt minutes ou une heure après le passage du gibier, le chien ne sente absolument rien.

On peut se demander également : la température influe-t-elle seulement sur l'intensité et la durée de l'odeur, ou influe-t-elle également sur la puissance olfactive du chien ? Pourquoi pas ? Tout le monde sait à quel point les animaux sont sensibles aux changements de temps ... et avec quelle prescience sensorielle ils prévoient ce changement de temps. Il n'y a donc rien d'impossible à ce qu'un chien soit plus ou moins bien disposé, plus ou moins apte à percevoir les odeurs, selon le temps qu'il fait.

Je me suis informé auprès d'un spécialiste de rhinologie humaine pour qu'il m'explique le mécanisme de l'odorat. J'en ai retenu surtout ceci : le nez joue un grand rôle dans l'humidification et le réchauffement des odeurs perçues. Si le temps est trop sec ou trop humide, trop chaud ou trop froid, le nez n'arrive peut-être pas au degré voulu d'humidité et de température pour que l'odorat joue au maximum. En l'absence de certitudes contraires, on peut donc fort bien supposer que la température influe non seulement sur l'intensité et la durée des odeurs, mais encore sur l'odorat même du chien.

Paul DAUBIGNÉ.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 389