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L'alouette

L'alouette est le plus petit de nos gibiers terrestres. Je dis terrestres, car, parmi les oiseaux de marais ou de grèves, il en est dont la taille n'est pas plus importante, sinon moindre, notamment la bécassine sourde, ou bécot, et certains petits échassiers de rivage. Je ne parle pas, bien entendu, la plupart des chasseurs ne les considérant pas comme gibier, des passereaux, comme le traquet-motteux, vulgairement appelé cul-blanc, l'ortolan, le pinson, le bec-figue et autres, qui ne figurent guère que dans les tableaux méridionaux puisque, dans le Midi, tout ce qui court ou vole est bon à tuer.

L'alouette, elle, malgré sa taille réduite et sa classification parmi les passereaux, a toujours été considérée comme gibier ; la preuve en est sa présence, à côté des plus grosses pièces, aux étalages des marchands. Mais combien de chasseurs ont, ces dernières années, à cause de la pénurie de munitions et maintenant encore en raison de-leur prix élevé, renoncé à tirer cet oiseau, dont le rôti, pourtant, et le salmis ont toujours eu un renom mérité !

Nous avons, en France, trois variétés d'alouettes : l'alouette commune, qu'on appelle simplement « alouette » ; l'alouette « lulu », ou mauviette, un peu plus petite et à la queue écourtée, et, dans le Midi surtout, où, après avoir été abondante, elle est en train de disparaître totalement, l'alouette huppée.

Tous les chasseurs connaissent les deux premières. Il n'est pas un coin de notre pays, que ce soit région de champs, de prés, de vignes ou de terres incultes, où, dès l'automne, n'évoluent ces bandes qui, par les grands froids surtout, arrivent à être très importantes en ce qui concerne l'alouette commune. Car la « lulu » vit toujours par petits groupes de quelques individus, et il est bien rare d'en rencontrer plus d'une dizaine ensemble : le plus souvent quatre ou cinq seulement, l'importance d'une nichée. Quant à l'alouette huppée, appelée dans le Midi « coquillade » ou « coubillade », suivant les lieux, elle est un peu plus grosse que l'alouette commune et elle a sur le crâne une petite touffe de plumes en forme de huppe allant vers l'arrière, qui lui a donné son nom. On la trouvait surtout sur les routes et les chemins, seule ou par couples, cherchant sa vie dans le crottin semé par les chevaux des vignerons. Très sauvage si vous étiez à pied, vous ne pouviez l'approcher ; sur un véhicule, au contraire, on pouvait en arriver à quelques mètres. Je parle au passé, car cet oiseau a complètement disparu de certains coins où il y en avait toujours autrefois. Pourquoi, je l'ignore ; il y a encore, pourtant, des chevaux dans le Biterrois, où elle était très commune ; et, si l'automobile et la camionnette tendent de plus en plus à remplacer break, jardinière et charrette, on continue tout de même à utiliser le cheval pour les labours des vignes et les vendanges.

Je parlerai donc surtout, dans cette petite causerie, de la véritable alouette, celle qui continue à jeter au printemps, dans les régions où elle niche, ses trilles clairs qui descendent des nues au cours de ses ascensions en chandelle et évolue en bandes plus ou moins importantes dès octobre venu.

Sa chasse est un délassement et même un sport ; car tirer une alouette au cul levé, au ras d'un chaume, n'est pas aussi facile qu'on pourrait le croire : taille réduite, couleur de la terre, vol capricieux donnent à son tir une difficulté incontestable. Une véritable école pour un néophyte ; et le chasseur capable de faire une série sur les alouettes au cul levé ne sera certes pas un maladroit et pourra affronter n'importe quel gibier à plume. Je parle sur des oiseaux au départ, car, lorsque l'alouette tourne autour de vous ou vous survole en planant, l'abattre n'est pas un exploit ; surtout que l'on peut ne tirer qu'à coup sûr, laissant un oiseau s'il est trop difficile pour en prendre un autre qui se présente mieux. J'ai connu un chasseur, aujourd'hui disparu, qui tirait autrefois, chaque année, un grand nombre de cartouches sur les alouettes au cul levé, un millier parfois dans sa saison, disait-il. Je n'ai jamais pu en vérifier le chiffre. Mais le fait est qu'il avait acquis, à ce petit jeu-là, un joli coup de fusil.

Il n'y a rien de tel pour vous maintenir en bonne forme. En ce temps-là, bien sûr, les cartouches n'étaient pas à trente francs.

Le second mode de chasse est le miroir. Tous les chasseurs, ou à peu près, le connaissent, et c'est un tir également très amusant si l'on ne plaint pas, là aussi, ses cartouches. Il est vrai qu'on peut employer une munition de charge réduite et à meilleur marché. Vous connaissez, je pense, cette chasse qui se pratique par matinées claires et de fortes gelées blanches, surtout au moment du passage d'octobre. Posté à une quinzaine de mètres du miroir, on tire les oiseaux durant le court instant — quelques secondes — où ils s'arrêtent brusquement au-dessus de l'engin tournant dont le scintillement aperçu de loin les attire et les intrigue. Ce bref vol sur place est le moment qu'il faut choisir pour tirer. On dit même qu'un chat ou une chouette produisent le même effet que le miroir ; ce qui prouve que l'oiseau vient uniquement par curiosité et non, comme le dit la croyance populaire, par coquetterie pour venir se mirer dans les facettes du miroir. J'ai vu dans la Meuse, sur un plateau aux abords de Ligny-en-Barrois, très favorable au passage des alouettes et à cette chasse amusante, de jolies matinées de quarante ou cinquante alouettes, quelquefois plus. Dame ! la maîtresse de maison avait fort à faire et réclamait de l'aide pour plumer toutes ces petites bestioles qui donnaient de délicieux et copieux salmis. Il fallait passer les veillées soit à plumer, soit à faire des cartouches. Mais, le lendemain, on était bien heureux et on avait un double plaisir ; d'abord remplir son filet, ensuite ... devant la table.

On chasse aussi l'alouette, dans le Sud-Ouest surtout, Gironde, Lot-et-Garonne en particulier, au filet ; ce sont, parfois, des hécatombes, et on les prend à raison de plusieurs douzaines à la fois. Je ne dirai rien de cette pratique, qui n'est, à mon sens, ni de la chasse, ni du sport, mais simplement une destruction commerciale et, hélas ! autorisée.

Enfin, dernier mode de chasse, que j'ai le plus pratiqué comme étant le plus économique : la poursuite des alouettes par les très grands froids. Elles se rassemblent, alors, en grandes bandes dans lesquelles un seul coup de fusil en abat chaque fois plusieurs. Je me souviens de ces amusantes sorties en Haute-Loire où l'hiver est très rude et favorable aux rassemblements d'alouettes. Par certaines journées où le thermomètre descend à plusieurs degrés au-dessous de zéro, les bandes faisaient des taches noires sur les seigles à peine levés ou les prés blanchis et durcis par le gel. On les approchait le plus possible et, soit à terre, soit à l'envol, chaque cartouche faisait plus d'une victime. On suivait ainsi la bande d'un coin de plaine à l'autre en la pourchassant sans relâche et on rentrait avec un joli petit tableau. Quelquefois, à cette chasse à travers champs, on a la bonne surprise de faire partir, d'un chaume ou d'un labour, un grand oreillard qui vient ajouter une pièce de plus, et plus imposante celle-là, aux petites emplumées déjà dans le filet. J'ai eu, à plusieurs reprises, de ces bonnes fortunes : une fois, sur les terres de Cheude, où un doublé attira mon attention du côté du château voisin, d'où je vis déboucher, au tournant des bâtiments, un grand rouquin venant à toute allure des bas-fonds où il avait été tiré. Je le voyais arriver, à travers les terres nues, oreilles couchées. J'eus le temps de glisser une cartouche de 6 dans mon canon gauche et, comme il croisait à quarante pas, lui fis faire le « saut de la mort ».

Même coup, un dimanche matin où je rentrais en poursuivant les alouettes à travers les terres qui s'étalent entre la grand'route et les bois du Betz. « La lèbre, la lèbre ! » me cria, de la route, un groupe de paysans venant de la messe. La bête, levée plus loin, montait au bois. Immobile, je l'attendis venir et lui fis, à elle aussi, son affaire. Enfin, un troisième fut tiré en Charente, dans les mêmes conditions, tandis que, grimpant un raidillon, il venait droit sur moi. J'ai déjà raconté cette dernière aventure, il y a quelques années, ici même, sous le titre : « Heureuse matinée ».

J'eus, par contre, par deux fois, moins de chance et en profite pour déconseiller aux chasseurs de partir aux alouettes muni seulement d'une arme de petit calibre. La première fois, un lièvre parti à quinze pas du pied de la margelle d'un puits creusé en bordure d'un champ se moqua éperdument de la charge de 11 de ma 14 millimètres, qui ne fit que soulever un peu de poussière autour de ses fesses. La deuxième fois, ce furent des vanneaux, une bande d'une trentaine, qui me survolèrent à trente mètres et parmi lesquels ma grenaille ne fit aucun dégât. Je jurai de laisser, désormais, ma carabine à la maison.

Vous voyez que la chasse à l'alouette n'est pas sans agréments ni sans imprévus, qui donnent au chasseur, outre la certitude d'éviter la bredouille tant redoutée, la joie toujours grande d'arpenter la plaine, de faire provision d'air pur et d'oublier, durant quelques heures, les soucis, souvent si pénibles, de la vie.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 391