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Les livres d'origines

Nous avons dit dans un précédent article (1) que pour assumer l'une de ses tâches qui est de surveiller la pureté des races, la cynophilie officielle disposait, comme moyen primordial, de la tenue des livres d'origines.

Dans la plupart des pays, il n'est tenu qu'un seul livre officiel où sont inscrits, sur des volumes différents ou sous des rubriques spéciales, les chiens de toutes les races reconnues. Toutefois, dans certains pays, en Allemagne notamment, il est tenu, en principe, un livre d'origines par race, par les soins, sous la responsabilité et la surveillance des clubs spéciaux s'occupant de chacune d'elles : Deutsche Boxer zuchtbuch (D. B. z. B.) pour les Boxers, Deutsche Doggen zuchtbuch (D. D. z. B.) pour les Dogues, Deutsche Pudel zuchtbuch (D. P. z. B.) pour les Caniches, Griffon, Stammbuch (G. S. B.) pour les Griffons d'arrêt, etc., ou des livres ouverts à plusieurs races groupées par certaines associations d'éleveurs : Deutsche Kartell Hunde (D. K. H.). Ces initiales se retrouvent dans certains pedigrees à côté des noms d'ancêtres nés en Allemagne.

En France, la Société centrale canine tient deux livres d'origines : le Livre des origines françaises (L. O. F.) et le Registre initial du L. O. F. (R. I.).

Bien que composé d'un volume par race, le L. O. F. constitue, en fait, un document unique tenu directement par la Société centrale canine et sous sa responsabilité; Chaque volume de race porte le numéro du groupe de la race et les deux ou trois premières lettres de son nom. Exemple : Setter anglais = 8-S. A. Ces indications sont suivies du numéro d'inscription du chien. L'accès du L. O. F. est réservé aux chiens d'origines pures démontrées, dit le règlement, soit : les chiens dont les ascendants, de même race, jusqu'à la quatrième génération, sont tous inscrits au L. O. F. ou à un autre livre des origines reconnu par la Fédération cynologique internationale (F. C. L), ou les chiens issus de chiens inscrits au Registre initial, dont les ascendants, de même race, sont eux-mêmes inscrits à ce R. I. ou autre livre reconnu, jusqu'à la quatrième génération.

Sur le Registre initial, peuvent être inscrits les chiens de toutes races reconnues par la F. C. I., dont l'origine est incertaine, ou dont les parents ne sont pas eux-mêmes inscrits à un livre officiel, à condition que le postulant présente, aux termes d'un certificat délivré par un juge qualifié, les caractères extérieurs de la race avec le qualificatif minimum bon. Un prix remporté en exposition, comportant obligatoirement ce qualificatif, peut remplacer le certificat. Les descendants d'un chien inscrit au R. I. y sont inscrits eux-mêmes à leur naissance et, à la quatrième génération, les produits peuvent être inscrits directement au L. O. F., ainsi que, par la suite, toute leur descendance pure.

L'institution de ce R. I. constitue, en France, un très gros avantage sur la plupart des autres pays, qui, généralement, admettent l'inscription directe au livre d'origines unique, ou de la race, de tout chien simplement pourvu d'un prix en exposition, même s'il est d'origines inconnues. Or tout éleveur sait que l'habit ne fait pas toujours le moine et que la pureté de sang ne s'accompagne pas toujours de la perfection extérieure ; certains sujets présentant les caractères extérieurs d'une race peuvent n'être que des produits de hasard métis et présenter de réels dangers pour l'avenir de la race lorsqu'ils sont employés comme reproducteurs. Le stage au R. I., étendu à quatre générations, pour les chiens sans origines connues, offre une garantie pratiquement satisfaisante.

En dehors du L. O. F. et du R. I. (livres officiels de la Société centrale canine), une seule race, en France, est autorisée à posséder son livre d'origines particulier : c'est le Livre des origines du Griffon d'arrêt à poil dur (L. O. G.), créé en 1919, reconnu par la F. C. I. pour tous les pays adhérents, dont la tenue est en tous points irréprochable. C'est aussi, en France, le seul livre d'origines qui soit imprimé et publié annuellement ; il constitue, de ce fait, un document unique et idéal, entre les mains des éleveurs, pour étudier les ascendances, vérifier les pedigrees et concevoir judicieusement des alliances. Le L. O. G. est commun aux éleveurs de Griffons d'arrêt français, belges et hollandais.

Les inscriptions aux livres des origines se font à la requête des naisseurs (le naisseur, ou producteur, est le propriétaire de la lice au moment de sa saillie), ou des propriétaires des sujets sur présentation du pedigree du postulant dûment établi. Il est évident que la valeur de ces inscriptions est essentiellement liée à la sincérité des pedigrees présentés et que la fraude est, hélas ! possible. Cet important sujet mérite un développement hors du cadre plus étroit de cet article à prétention documentaire et objectif.

Ces errements ne peuvent pas suffire à condamner systématiquement les livres officiels ; car la majorité des pedigrees émanent d'éleveurs consciencieux et il appartient d'ailleurs à tout acheteur éventuel d'un chien de race de s'enquérir de la valeur du pedigree qui lui est offert et de la qualité de l'éleveur qui l'a signé. Les clubs spéciaux sont, en principe, créés à cet effet. C'est à regret que cette restriction en principe glisse sous notre plume, car, en pratique, hélas ! ils ne sont pas toujours capables de remplir ce rôle, malgré leur bonne volonté, ou de le remplir avec toute l'efficacité désirable, et nous dirons un jour pourquoi.

Pour combattre les erreurs ou les fraudes, les gérants des livres d'origines disposent de deux principaux moyens : la recherche et l'enquête.

La recherche consiste en la vérification matérielle des pedigrees présentés, le contrôle des inscriptions des ascendants, la vraisemblance des alliances (une saillie attribuée à un chien né plus de dix ans avant, par exemple, peut paraître suspecte).

L'enquête, plus délicate, peut être déclenchée à l'encontre d'éleveurs de moralité douteuse ou d'alliances peu vraisemblables.

Il est certain que ces moyens étroits et limités, difficiles parfois, approchent de la prétention quand il s'agit de surveiller les inscriptions de toutes les races. C'est pourtant cette prétention qui est le propre des partisans du livre unique par pays. Il est regrettable, par conséquent, qu'elle soit le propre de la cynophilie officielle et particulièrement française, puisque c'est sur l'initiative du délégué français du dernier Congrès de la Fédération cynologique internationale, que celle-ci a souhaité voir disparaître, notamment, le Livre des origines du Griffon d'arrêt à poil dur (L. O. G.) qui a fait ses preuves depuis trente ans et dont les inscriptions, faisant l'objet d'observations et d'enquêtes dans toute la mesure du possible, s'ajoutent à ses autres particularités que nous avons citées plus haut pour en faire un livre d'origines idéal.

Il serait, au contraire, souhaitable que chaque club spécial tienne le livre des origines de la race dont il s'occupe ; le contrôle des inscriptions, le dépistage des fraudes ou des simples erreurs en seraient beaucoup plus faciles et efficaces ; c'est l’évidence même. Avec le système du livre unique, les clubs spéciaux sont obligés d'avaliser les erreurs commises sans qu'ils en soient responsables et sont pratiquement désarmés à l'encontre des conséquences néfastes qu'elles peuvent entraîner dans l'élevage. Il est exact, toutefois, que tous les clubs ne sont pas capables d'exercer ce rôle d'une manière efficace. On peut arguer aussi que si les clubs ont une vie théoriquement sans limite ils sont sujets à des changements plus ou moins fréquents parmi leurs dirigeants ; il n'est pas aussi facile qu'on le pense de trouver dans chacun d'eux le gérant compétent, désintéressé, dévoué, dont la valeur sur tous ces plans conditionnerait celle dudit document. Et le poids de cette objection se trouve multiplié par le nombre des clubs ; aussi se hâte-t-on de la mettre en avant, sans chercher à la détruire par une organisation différente des clubs, pour taire un motif moins sérieux, mais d'ordre matériel. Les inscriptions donnent lieu, en effet, à la perception d'une redevance et celle-ci représente l'une des principales ressources de l'organisme centralisateur sur lequel est fondée toute la cynophilie officielle. Ajoutons que si l'organisme central venait à se dessaisir de la tenue du Livre des origines, renonçant en cela à l'une de ses principales fonctions, il perdrait avec cette importante prérogative l'une de ses raisons de vivre, et non la moindre.

Il surgit parfois au sein des administrations de l'État des rivalités d'intérêt qui donnent lieu à des luttes occultes, d'où naissent quelquefois des lois ou des décrets dont l'intérêt, il faut le reconnaître, n'est pas toujours celui des administrés. Les administrations privées n'échappent pas non plus à cet adage antique : Primum vivere, deinde postulare, et la cynophilie, œuvre canine, est, avant tout, de forme humaine !

Le livre unique par pays a pour lui un argument plus sérieux dans l'avantage indiscutable de la centralisation, sous une responsabilité unique, de tous les documents relatifs à la surveillance et au maintien de la pureté des races. Méthode unique, contrôle unique, document unique, responsable unique, c'est ce qu'exigent la plupart des organismes officiels étrangers lorsque, saisis du transfert d'un sujet en leur pays, ils doivent s'enquérir de la valeur de ses origines afin d'accepter l'inscription de sa descendance.

Les éleveurs qui ont exporté des produits aux États-Unis, notamment, savent combien l'administration de ce pays (et pas seulement l'administration cynophile) se montre pointilleuse et exigeante.

Il semble cependant que l'intérêt des races qui commande, en principe, la tenue des livres d'origines par les clubs — et les intérêts divers ou les exigences matérielles puissent se concilier dans une solution qui satisferait tout le monde. Cette solution reposerait sur les trois points suivants :

a. Un livre unique d'origines par pays tenu par l'organisme officiel centralisateur ;

b. Toutes les inscriptions à ce document seraient, au préalable, soumises pour avis, éventuellement enquête, et visa au club de la race à laquelle appartient le sujet ; ce visa serait nécessaire pour opérer l'inscription dont les clubs deviendraient responsables, sans préjudice du veto motivé de l'organisme central, dont le rôle serait de se substituer, dans la tâche d'enquête, au club défaillant ;

c. Les redevances d'inscription seraient versées à l'organisme central, avec une ristourne pour le club.

Les clubs qui le font déjà pourraient ainsi continuer à tenir leur livre d'origines ; mieux, ils pourraient aussi y inscrire et surveiller toutes les inscriptions de la race, alors qu'actuellement, même lorsqu'il existe un livre officiellement reconnu pour une race (comme, en Francs, le L. O. G.), les chiens de cette race peuvent indifféremment être inscrits au L. O. F., ce qui non seulement crée une confusion, mais entrave singulièrement le rôle de surveillance qui est le propre du club.

Ce n'est qu'à cette condition que l'on pourrait donner au livre unique par pays sa valeur véritable ; en ce faisant, la Société centrale canine, sur le plan national et, au-dessus d'elle, la Fédération cynologique internationale feraient une œuvre utile devant laquelle s'inclineraient, dans l'intérêt commun, les clubs spéciaux de tous pays présentement nantis du privilège de tenir leur stud-book ; et lesdits clubs n'auraient pas l'impression que l'on fait passer avant l'intérêt des races des intérêts qui ne sont pas ceux de nos chiens.

Jean CASTAING.

(1) Voir Le Chasseur Français de juin 1950.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 401