« J'ai l'entière propriété d'une île située dans une
rivière non navigable. Puis-je m'opposer à l'entrée des pêcheurs à la ligne qui
prétendent venir s'installer et pêcher sur les berges de cette île et de quels
moyens puis-je disposer pour faire respecter mon droit ? »
La formule qui précède résume une question qui nous est
soumise par un abonné au Chasseur Français. Il nous paraît intéressant
d'en faire l'objet d'une de nos causeries, puisqu'elle se rattache à la
pratique de la pêche fluviale. Au surplus, notre correspondant nous rappelle
que, dans un numéro déjà ancien, nous avons traité une question à peu près
identique du point de vue de la chasse au gibier d'eau. Et il est fort probable
que le point est également susceptible d'intéresser les campeurs.
Il est, au surplus, à noter que le fait qu'il s'agit
aujourd'hui d'une île ne change pas grand'chose à la question et que la
solution serait la même s'il s'agissait d'une propriété privée en bordure d'une
rivière non navigable, sous réserve de ce que nous disons plus loin au sujet
des servitudes.
Sur le principe même, il ne peut exister d'incertitude :
le principe est que le droit de propriété entraîne, au profit de celui qui en
bénéficie, non seulement le droit d'user de sa chose à sa convenance, mais aussi
le droit d'interdire à tous autres d'en user, sous réserve des droits qui
peuvent leur être concédés par la loi ou les conventions des parties. Il
résulte de là qu'il appartient au propriétaire d'un fonds d'autoriser, à sa
convenance, les tiers à circuler sur son fonds, ou de leur en interdire
l'accès. Et il n'est en aucune façon dérogé à ce principe par la réglementation
de la pêche : en autorisant les particuliers à pêcher dans les fleuves et
rivières navigables ou non, le législateur n'a pas entendu leur donner par là
même le droit d'accéder à ces fleuves ou rivières au mépris des droits
exclusifs des propriétaires fonciers. En conséquence, il n'est pas douteux que
le propriétaire d'une île a le droit d'interdire l'entrée dans son île aux
pêcheurs désireux de s'installer sur ses berges.
Mais comment peut-il sauvegarder ce droit ?
En pratique, pour mettre obstacle à la circulation des tiers
sur un fonds, on le clôture ; mais cela n'est pas une obligation, et
l'absence de clôture ne peut jamais être considérée comme impliquant liberté de
la circulation sur le fonds. Cependant, à défaut de clôture, il y a intérêt à
avertir les tiers, au moyen d'écriteaux apparents, que la circulation est
interdite sur le fonds.
Reste à savoir quels recours peut exercer le propriétaire
lorsque cette interdiction n'est pas respectée, quelles poursuites judiciaires
il peut exercer contre les contrevenants. Suivant le cas, on peut envisager des
poursuites par la voie pénale ou des poursuites civiles.
La voie pénale est ouverte dans le cas prévu par l'article
417-13° du Code pénal. Ce texte punit d'une amende pouvant aller à 600 francs
ceux qui, sans droit, sont entrés ou sont passés sur un terrain appartenant à
autrui si ce terrain est préparé ou ensemencé. Sont seuls considérés comme
ayant le droit d'accès sur le terrain les propriétaires, usufruitiers,
locataires ou fermiers, possesseurs ou bénéficiaires d'un droit de passage,
ainsi que leurs préposés. D'autre part, on considère comme terrain préparé tout
terrain portant des cultures, quelles qu'elles soient, par exemple un terrain
aménagé en prairie ou portant des arbres fruitiers si les fruits sont à
maturité ou près d'y arriver. Mais l'article 471 n'est pas applicable si le
terrain est en friche et ne porte aucun produit récoltable. En ce dernier cas,
une poursuite par la voie civile est seule possible, et il faut entendre par là
une assignation, devant le tribunal civil ou devant le juge de paix, en
dommages-intérêts en raison du préjudice causé au propriétaire par la personne
qui a pénétré sans droit dans sa propriété.
En principe, l'existence d'une clôture ne change rien à ce
qui précède, sauf si l'on peut relever contre le contrevenant le délit de
destruction de clôture ou tout au moins la contravention prévue par l'article 41
de la loi des 28 septembre-10 octobre 1791, qui punit le fait de
déclore un héritage pour se frayer passage.
Il n'est pas non plus dérogé à ce qui précède par l'effet de
l'existence des servitudes de halage et de marchepied, l'effet de ces
servitudes se traduisant seulement par l'obligation imposée aux riverains des
rivières navigables ou flottables de laisser libre de constructions et de
plantations une certaine largeur de terrain sur les bords de ces rivières, pour
les besoins de la navigation.
Paul COLIN,
Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.
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