Accueil  > Années 1950  > N°641 Juillet 1950  > Page 405 Tous droits réservés

La pêche à la tirette

Pêche d'été, pêche de petits poissons, pêche de professionnels, tels sont les qualificatifs qui conviennent le mieux à ce genre de pêche. Elle est relativement peu connue de nos confrères, mais combien rémunératrice pour celui qui en connait les finesses.

Voyons d'abord les détails de l'équipement nécessaire pour la pratiquer avec fruit.

Nous choisirons une canne courte et légère, fine et flexible sans excès, longueur 3 mètres environ, aisément manœuvrable d'une seule main. Je me suis longtemps servi d'une de mes cannes à mouches, en bambou refendu, longueur 3m,04, poids 200 grammes, laquelle me donnait toute satisfaction. Bien que beaucoup de professionnels n'en usent pas — leur habileté y supplée, — j'ai toujours adopté le moulinet, dont les avantages sont évidents. Mes bas de ligne, en trois crins de cheval tressés, mesuraient 3m,60 de longueur. J'y fixais, à 0m,25 d'intervalle chacune, douze empiles de crin simple de 0m,06, liées perpendiculairement au fil central, auxquelles étaient attachés de petits hameçons « crystal » n° 15 bien piquants. Trois ou quatre petits plombs de chasse fendus étaient serrés au milieu des intervalles des empiles inférieures ; un hameçon n° 12 terminait la ligne. Une petite plume courte peut être placée à 0m,30 au-dessus de l'empile supérieure, mais on peut s'en passer si on fait partie d'une société de pêche et qu'on pêche dans le lot amodié.

On voit que cet agencement a une grande analogie avec celui de la ligne dite « mitrailleuse » dont j'avais parlé en 1948, mais, ici, le nombre des empiles peut être beaucoup plus grand — en général 10 à 12, — car il n'y a point à se préoccuper de la profondeur de l'eau, le bas de ligne restant horizontal, ou oblique, et non pas vertical comme dans le premier cas.

La place choisie conditionne en grande partie la réussite. Il faut du courant pour entraîner et tendre la ligne ; pas trop n'en faut, afin que les esches ne demeurent pas constamment en surface. Les meilleurs postes se trouvent à l'extrémité des avancements de la rive, d'un épi, du coude prononcé d'un enrochement ; d'aussi excellents se situent en aval de la pile d'un pont, à l'extrémité inférieure d'une île, d'un îlot, d'un banc de sable ou de gravier, etc. ... Si l'on dispose d'une embarcation, il est aisé de s'amarrer aux endroits poissonneux. Le pêcheur, ayant à sa portée un seau rempli de terre de taupinière humectée et une grande boîte contenant une large provision d'asticots dans du son, s'installe de son mieux à l'endroit favorable. Il appâte chacun de ses hameçons d'un bel asticot frétillant et, après avoir lancé dans le courant quelques boulettes bien farcies de bestioles, projette sa ligne en travers de la rivière, puis la laisse entraîner sans encombre, jusqu'à ce qu'elle devienne parallèle à l'axe de la rivière et s'étende en aval de lui, bien droite. Si, comme il convient, le courant n'est ni trop rapide ni trop profond, l'amorce restera opérante. De nombreux poissons, remontant de l'aval en suivant la traînée limoneuse, parviendront vers la source de cette provende inaccoutumée, qu'il faut, d'ailleurs, renouveler fréquemment au cours de la séance, afin d'entretenir son coup. La ligne étant bien déployée, le pêcheur commence de suite à donner du poignet de petites tirées saccadées, d'aval en amont, sans aucune raideur, mais très fréquemment renouvelées. Ce manège attire l'attention des poissons, et ils s'attaquent de préférence à ces esches animées, qui leur semblent pleines de vie. Les ablettes et petites vandoises, poissons lestes, sont ceux qui se font le plus souvent accrocher, mais on prend aussi multitude de petits chevennes, gardons, rotangles et, si les hameçons les plus bas viennent à toucher le fond, des goujons et de petits hotus, parfois des perchettes que l'abondance des autres poissons de petite taille a attirées.

Le pêcheur prend conscience des touches par le tact ou les mouvements brusques de la petite plume. Si l'attaque a lieu pendant un retrait, la main ressent fort bien le petit choc dû à la brusque tirée ; si c'est pendant le relâché, le choc ne se fera sentir que lors du retrait suivant ; souvent le poisson se sera pris lui-même.

Il arrive fréquemment de voir s'accrocher à la fois plusieurs poissons ; c'est pourquoi le coup de poignet du retrait doit toujours être léger et de faible amplitude.

Il peut aussi fort bien se faire qu'un poisson assez gros morde à cette fine monture. Dans ce cas, c'est au pêcheur à juger tout de suite s'il a des chances de s'en emparer. Si, d'après le tirage intense, le ploiement excessif du scion et malgré la présence de l'indispensable épuisette, la chose lui paraît impossible, il vaut mieux brusquer l'inévitable dénouement par un coup de poignet sec, qui brisera la faible empile et libérera le captif, dont les violentes évolutions risqueraient de compromettre la pêche. Le moulinet, qui permet à volonté de raccourcir ou allonger la ligne, donne la faculté d'aller chercher le poisson assez loin en aval, quand les touches se raréfient par trop au voisinage du pêcheur ; cependant, beaucoup préfèrent ne pas s'en servir.

Cette pêche peut s'exercer dans les plus grands fleuves comme dans les plus petites rivières et même de simples biefs, l'eau stagnante exceptée. N'oublions pas, cependant, que l'usage de l'asticot est interdit dans les rivières de première catégorie, dites à salmonidés. Là, il faut se servir de cherfaix, de vers de farine, de petites larves aquatiques, qui le remplaceront fort bien. Sans hésiter, rejetons à l'eau tous poissons de taille non réglementaire. Voici ce que, en un espace aussi restreint, on peut signaler au sujet de la pêche à la « tirette », très productive et, malgré tout, assez amusante dans sa monotonie.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 405