Examinons comment tombe sur l'eau la mouche artificielle qui
vient d'être lancée.
Lorsqu'à la fin de sa trajectoire, à bout de course, la
mouche ne subissant plus que la loi de la pesanteur va s'abattre sur l'eau, la
partie la plus lourde, c'est-à-dire la courbure de l'hameçon, descend en avant,
le haut de la mouche étant freiné par la collerette de plumes simulant ailes et
pattes et faisant office de parachute.
C'est donc la courbure qui heurte d'abord la surface de
l'eau, et étant donné son poids (tout relatif), troue cette surface : la
mouche se pose donc verticalement, évolue de même, ce qui représente pour le
poisson une position anormale et suspecte.
Il est vrai que souvent, presque toujours même, la mouche
possède à l'extrémité de l'abdomen quelques barbes de plume stabilisant
l'ensemble, tel le balancier du funambule, mais elles s'avèrent parfois
insuffisantes pour assurer une position horizontale, à moins d'être
volumineuses, ce qui épaissit la fine silhouette de l'artificielle.
Cet appendice est pourtant le seul moyen d'obtenir un
résultat appréciable avec une mouche de construction courante, c'est-à-dire
avec une collerette perpendiculaire à la hampe de l'hameçon.
On a essayé aussi de placer les hackles vers le milieu du
corps de la mouche, ce qui était une amélioration sensible, évidemment, mais là
encore la forme de la mouche en était altérée.
C'est alors que j'eus l'idée, pour mon usage personnel, de
modifier la position du hackle et de le placer en ombrelle dans un plan
parallèle au corps.
Je ne revendique pas la paternité de cette transformation,
mais c'est de ma manie de « bricoleur » seule que naquit ma première
mouche à hackle horizontal ; je n'en avais jamais vu employer, ni entendu
parler.
J'ai comme cela une collection de leurres, montures, mouches
dues à mon imagination et qui n'auraient demandé qu'à prendre leur essor, en
essaims, mais que je n'ai pas essayé de commercialiser, faute, sans doute, de
relations dans le monde du commerce halieutique.
Venons-en à l'utilisation de notre mouche. Disons d'abord
qu'elle est exclusivement une mouche flottante.
Lorsqu'à la fin d'un bel après-midi d'été, dans le
rayonnement pourpre du soleil couchant, la sarabande endiablée des éphémères
anime le crépuscule, on voit ces gracieux insectes s'étendre sur l'eau, l'un
après l'autre, les ailes à plat, et se laisser dériver au courant, mourants ou
morts, ayant terminé leur si courte existence.
Ce sont les femelles, épuisées par la ponte, qui connaissent
cette triste fin et que les Anglais appellent spent gnats.
De tous côtés, truites, ombres, chevesnes cueillent au
passage les succulentes bestioles, oubliant leur excessive prudence dans
l'ivresse du banquet copieux auquel la nature les convie.
Les grosses pièces sont en chasse et, à ce moment, vous
risquez de piquer une de ces belles truites méfiantes qui ne sortent que la
nuit de leur repaire.
Le pêcheur en mouche sèche va mettre tout en œuvre pour
illustrer, à son profit, la morale du fabuliste : « Et tel est pris
qui croyait prendre. »
Les petites artificielles se posent, traîtresses, parmi
leurs sœurs, et la grosse truite bernée sent trop tard la piqûre qui sera le
prélude de sa capture mouvementée.
Notre mouche à hackle horizontal, en tous points semblable à
l'insecte qui meurt, va faire merveille.
Étudions-la, et vous essaierez d'en construire une avec moi :
Nous monterons une araignée ordinaire, comme je l'ai décrite
plusieurs fois déjà, en ayant soin de prendre sous la soie destinée à former le
corps :
1° Deux plumes de coq ébarbées d'un côté, l'une à 1
millimètre de l'œillet, l'autre à 2, 3, 4 millimètres plus loin, selon la
longueur de la mouche ; mettons, par exemple, 2 millimètre pour le n° 15,
3 millimètres pour le n° 14, etc. ; en un mot, presque au milieu du
corps (fig. 1).
Cette dernière plume sera accolée à un morceau de crin,
assez gros, terminé par un nœud très fin et très solide, que nous laisserons à
quelques millimètres du corps (fig. 2).
Ce bout de crin, coincé entre les spires de soie, doit se
présenter bien perpendiculairement à la hampe, le reste ressortira à
l'extrémité du corps en B.
2° Quelques barbes de plume, ou une pointe de fine plume
entière, simuleront la queue et ne stabiliseront que mieux l'ensemble.
La première plume, la plus près de l'œillet, sera ensuite
enroulée comme d'ordinaire, en collerette verticale et fixée par deux
demi-clefs à l'aide de la soie restée libre, sans la couper.
Nous couperons toutes les barbes supérieures, ne laissant
que celles du dessous simulant les pattes.
Viendra ensuite l'opération la plus délicate :
l'enroulement de la deuxième plume sur le crin, par le procédé habituel, avec
arrêt en deux demi-clefs par la soie, que nous couperons ensuite.
Nous tirerons alors sur le bout de crin qui dépasse en B,
pour appliquer fortement et exactement la collerette dans un plan bien
horizontal sur le corps. Les barbes de plume devront être bien étalées, en
étoiles, et arrangées au besoin à l'aide d'une aiguille.
Sur le nœud du crin, une goutte de vernis sera posée
délicatement, en évitant d'en enduire les barbes : celles-ci, en effet,
s'agglutineraient et empêcheraient l'air de circuler entre elles, d'où
diminution de la luminosité d'abord et suppression des vibrations si utiles
pour simuler la vie. C'est fini.
Quant à la couleur, qu'elle soit quelconque, puisque le
poisson verra la mouche par-dessous, avec le ciel comme écran, donc en noir.
Je me trouve bien de l'emploi d'une mouche à corps gris ou
marron avec plume gris clair, comme collerette ; celle des pattes peut et
même devrait être noire.
Certes, ce n'est pas de votre premier essai que naîtra une
merveille ; il faut d'abord que vous sachiez monter aisément une
artificielle ordinaire avec des procédés divers et posséder une dextérité due à
la pratique, mais un vrai pêcheur, un fanatique de la dry fly, arrive
toujours, en peu de temps, à présenter une artificielle convenable.
Je conseille de faire les premiers montages sur de gros
hameçons, plus commodes à manipuler et à habiller et qui vous serviront dans
les torrents ou par temps sombre, ou encore le soir très tard, à la limite du
procès-verbal qui vous guette si vous dépassez l'heure légale, pour les
pêcheurs honnêtes, car les autres ne risquent pas grand'chose.
Marcel LAPOURRÉ,
Délégué du Fishing-Club de France.
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