Dans une précédente chronique, j'avais présenté les vastes
possibilités offertes pour le repeuplement des rivières à salmonidés par la
récente découverte de l'inspecteur des Eaux et Forêts Vibert d'une boîte et
d'une méthode simple et pratique qui a fait l'objet, en 1949, d'une
communication à l'Académie d'Agriculture.
Cette boîte d'alevinage, dite « boîte Vibert », va
sortir en série pour la prochaine saison hivernale. Le principe de la méthode
m'avait fort séduit et j'avais demandé à son auteur un certain nombre de ces
boîtes pour vérifier moi-même les résultats obtenus. Un peu partout, des
présidents de sociétés et de fédérations de pêche ont également procédé à de
tels essais ce printemps. En ce qui me concerne, j'ai obtenu des résultats
probants et je n'hésite pas à recommander l'utilisation de la boîte Vibert,
qui, mise entre les mains de pêcheurs soigneux et connaissant le mode d'emploi,
peut donner, dans la majorité des cas, des résultats meilleurs que les
déversements d'alevins ; comme en toute chose, il ne faut pas être absolu
et, dans certains cas, l'alevinage restera préférable, mais il est certain que,
huit ou neuf fois sur dix, la boîte Vibert donnera de meilleurs résultats.
Je ne reviens pas sur la description de cette boîte, mais
j'insiste sur les détails de sa pose, détails qui ont la plus grande importance
pour la réussite, car, dans les quelques échecs enregistrés au cours de la
campagne de cette année, il y a toujours eu faute grossière dans la pose. Il
est bon également de revenir sur quelques notions sommaires et de rectifier
certaines erreurs.
Des expériences anglaises, mais surtout américaines, ont
montré, ces dix dernières années, que les alevins de salmonidés issus de la
reproduction naturelle, c'est-à-dire enfouis l'hiver par les géniteurs sous les
graviers, avaient, en moyenne, un taux de survie au bout d'un an quatre fois
plus élevé que celui des alevins provenant de pisciculture ; autrement
dit, pour faire des truitelles, il faut quatre fois plus d'alevins de
pisciculture que d'alevins de production naturelle, ce qui se comprend
aisément, la rivière étant une jungle où l'alevin civilisé est beaucoup moins
adapté à la lutte pour la vie que l'alevin né sur place.
Pourquoi, dès lors, déverser, des alevins de pisciculture ?
Tout d'abord, pour compenser le déficit des géniteurs dû à la multiplication du
nombre des pêcheurs ; ensuite et surtout, parce que si la nature laissée à
elle-même réussit mieux sa reproduction que le meilleur des pisciculteurs, les frayères,
c'est-à-dire les bancs de cailloux et de graviers parcourus par un courant
rapide, sont, par le fait de la civilisation, de plus en plus rendues stériles
par l'envasement et l'ensablement, dont l'origine se trouve dans les travaux de
l'homme, dans l'extension des cultures et surtout dans le déboisement des
montagnes. Ceci pose la question de l'aménagement et de l'amélioration des
rivières à salmonidés et de leur maintien en bon état de production par des
travaux simples, question que nous examinerons plus tard et qui constitue certainement
le problème primordial qui se pose pour les pêcheurs de salmonidés. Mais
revenons à l'emploi de nos boîtes Vibert.
Des nombreuses expériences faites par l'auteur, de celles
qui ont été faites par diverses personnes et de celles que j'ai opérées moi-même,
on peut tirer les conclusions suivantes :
Les œufs, mis au nombre d'un millier dans une boîte de 150
centimètres cubes environ, sont placés dans des conditions presque naturelles,
les œufs frayés dans la nature n'étant pas isolés sous les cailloux, mais
enfouis par poches de plusieurs centaines sous quelques centimètres de
graviers. Alors que, sur les clayettes des piscicultures où ils sont disposés
sur un même plan et sur une couche, les œufs morts doivent être sortis chaque
jour pour éviter la contamination des autres dans la nature, l'absence de
lumière sous les cailloux, d'une part, le taux de gaz carbonique entretenu par
la respiration de la masse d'œufs, d'autre part, font que les bactéries et les
parasites ne se développent que difficilement. Les boîtes chargées de mille
œufs étant commandées auprès de piscicultures spécialisées et agréées, il est
nécessaire, à la réception du colis de boîtes, de vérifier l'état des œufs par
transparence ; sauf accident, il ne doit pas y avoir plus de quelques œufs
blanc opaque dans la grande masse d'œufs vivants translucides. Pour le cas où
les boîtes arriveraient au destinataire par temps de crue, qui empêcherait
l'immersion, il convient d'emballer les boîtes dans des caisses, à l'obscurité
totale, dans un endroit frais, en entretenant au-dessus une provision de glace
qui, en fondant, maintiendra les œufs vivants tout en retardant leur évolution.
Au moment de l'immersion, les boîtes sont distribuées à raison de vingt par
personne et mises dans des musettes ou des paniers de pêche garnis de mousse
humide.
Le choix des lieux d'immersion est à la base même de la
réussite. Dans les rivières à truites n'ayant pas de risques de dépôt de sable
ou de vase, à courant rapide, presque toutes les gravières peuvent convenir. On
choisira de préférence des graviers de taille comprise entre 3 et 10
centimètres, parcourus par un courant vif. Dans les rivières à crues charriant
du sable et de la vase, il est absolument nécessaire d'enfouir les boîtes dans
les emplacements où l'accélération du courant, naturelle ou artificielle,
empêche la vase ou le sable de se déposer ; on recherchera d'abord les
frayères naturelles des truites, qui sont, par définition, les meilleures et
qu'on trouvera le plus souvent dans les têtes de raides, sous les petits
barrages naturels et artificiels, et les gravières en aval d'une veine liquide
étranglée entre deux rochers. Dans certaines rivières du type normand, on
trouvera de telles gravières parcourues par un bon courant sous les chutes de
moulins et derrière les piliers de ponts. Il sera d'ailleurs, très facile de
déposer des cailloux et de petits barrages formant déflecteurs de courant.
Quant à la pose de la boîte proprement dite, il faudra, avec
une binette ou une fourche de jardinier, faire un trou de 20 à 30 centimètres
dans les graviers en les remuant pour que le courant en élimine le sable et les
débris. On regarnira légèrement le fond du trou avec 4 ou 5 centimètres de
graviers bien lavés par le courant, et on placera une boîte qu'on recouvrira d'abord
de quelques gros cailloux avant de la recouvrir de graviers normaux ;
ainsi, les vides qui existeront contre la boîte permettront, d'une part,
l'arrivée de filets liquides, d'autre part, la sortie des alevins vésicules.
Parfois même, on peut avoir intérêt à faire un trou dans le
gravier, comme le font la truite et le saumon, et placer la boîte dans la
partie aval du trou, où la pente est bien exposée au courant. Si les galets
sont gros, on peut atteindre facilement 25 centimètres ; si les galets
sont fins, ne pas dépasser 3 à 5 centimètres.
Il ne faudra pas hésiter à passer du temps à choisir les
emplacements et à bien poser la boîte, et même à pratiquer quelques travaux
élémentaires pour accélérer le courant, en construisant, par exemple, quelques
épis de gros cailloux en V. Ce sont toutes ces précautions qui donnent les
meilleures chances de succès.
Il est tout de même intéressant de contrôler les résultats
obtenus ; il faudra donc repérer certaines boîtes-témoins, au besoin au
moyen d'un fil de fer, de façon à compter les œufs morts restés dans la boîte
après éclosion des alevins ; par différence avec la charge de la boîte, on
obtiendra le nombre d'alevins éclos qui se sont répandus sous les graviers.
Dans mes propres expériences faites ce printemps, le taux de
réussite a été jusqu'à 100 p. 100, n'ayant pas trouvé un seul œuf mort
dans les boîtes ; dans les autres cas, le pourcentage de réussite a été de
92 à 95 p. 100. Quant aux alevins produits, j'en ai trouvé quelques-uns
dans les boîtes qui étaient particulièrement vigoureux et, comparativement,
plus vigoureux que ceux issus des mêmes reproducteurs élevés en pisciculture.
Des expériences faites cette année, il résulte qu'en eau
limpide et rapide le rendement va de 85 à 100p. 100, et ce rendement doit
être trouvé chaque fois qu'il y a eau limpide, à courant assez vif, et qu'il
n'y a ni envasement ni ensablement. Les échecs enregistrés l'ont été parce que
l'une de ces conditions n'avait pas été observée ; il n'y a tout de même
pas lieu de s'étonner si, dans une boîte enfouie dans une gravière couverte de
vase, tous les œufs sont morts d'étouffement.
Les expériences de cette année nous ont convaincu des
avantages de la boîte Vibert, qui, n'étant à déconseiller que dans le cas de
rivière à cours lent et à fond envasé, nous donnera, dans tous les autres cas,
des alevins acclimatés à la rivière, plus vigoureux que les alevins d'élevage
et sans maladies, très souvent contractées en pisciculture, et à des prix bien
moindres.
Je crois qu'un grand avenir est promis aux boîtes Vibert en
France. Je ne puis qu'inciter les propriétaires de parcours à truites à les
essayer, à condition, bien entendu, qu'ils soient bien décidés à appliquer
scrupuleusement les conseils qui leur sont donnés en la matière.
DELAPRADE.
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