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Voici à nouveau le Tour de France.

Le Tour ! Toujours lui ... plus grand ... plus beau que jamais ... Le Tour de France, qui deviendra un jour le Tour d'Europe ! ...

Disons que, par lui, par cette création de Henri Desgrange, dont un monument, relatif d'ailleurs, rappelle le souvenir au col du Galibier, le cycliste a conquis la montagne. Où les coureurs de Desgrange sont passés, les cyclistes, devenus dès lors des cyclotouristes, sont allés : Ballon d'Alsace, Galibier, Vars, Izoard, Allos, Iseran, Tourmalet, Aubisque, Puymorens, et j'en passe.

En ce faisant, ils songent, fort souvent, aux champions qui grimpent avec 44 x 24, alors qu'eux emploient 26 x 20, ou moins. À moyens ou âges différents, bicyclettes autres. Mais le cyclotouriste traîne sa garde-robe, ses outils, sa nourriture, souvent sa maison. Dix-huit à l'heure ici. Neuf là-bas. (Dans un col s'entend.)

Cependant c'est le cyclo qui prend le dessus ... car, lui, ne se contente pas de franchir un col ... Il va, la plupart du temps, jusqu'au sommet de la montagne ... quitte, parfois, à chausser, au lieu et place des légères « cyclistes », de lourdes godasses à clous.

J'ai le souvenir personnel de bien des grimpées.

Ah ! comme elle me paraissait petite, lointaine, insignifiante, cette route du col dès lors bien bas, vue du sommet, vrai, de la montagne ... C'était, cependant, celle des « géants » ... ou des « forçats » ...

Quel cyclotouriste n'a pas été tenté, dans les Alpes, de franchir le Galibier par-dessus le tunnel ?

Jacques Goddet complétera-t-il, un jour, son Tour par le passage, en cyclo-cross, des cols muletiers qui, dans les Alpes notamment, sont un trait d'union souvent abrupt entre deux vallées !

Évidemment, les suiveurs — même à moto — seraient incapables de suivre les coursiers. Ce serait dommage pour les journalistes, car les commissaires n'auraient à redouter aucune fraude ...

Pour avoir été l'inspirateur du premier passage du col de l'Iseran — le regretté Lucien Cazalis n'est plus là pour en témoigner, — je m'offre de signaler au fils spirituel de celui qu'on appela le « Père du Tour », H. D ..., un faisceau de cols muletiers (savoyards) qui permettraient aux vrais alpinistes de se régaler, eux aussi, du passage de la course. Il est vrai que Jean Garnault n'attendra pas après moi pour cela. Toujours plus haut !

Un col n'est, en rien, un sommet montagnard et, lorsqu'on publie d'impressionnants profils routiers dont les pointes d'aiguilles signifient les hauteurs à franchir, on trompe l'opinion.

Mais l'opinion elle-même est tellement bonasse ...

Par-dessus le col routier, il y a le col muletier, puis le sentier pédestre, puis le sommet réel de la montagne.

De telle sorte que le roi de la montagne est l'ascensionniste qui, avec ses seuls crampons de chaussures et ses mains, atteint, lorsque c'est possible, aux dernières aspérités, celles qui précèdent le ciel ...

Le Tour de France, notons-le, donne l'occasion à tout un monde de se ruer vers les massifs ... qui en voiture, qui à moto, qui à vélo, qui à pied ...

De cette multitude de gens excités, combien en restent-ils qui, une fois la ronde infernale passée, jouissent pleinement du serein paradis où le plus invraisemblable tintamarre les a conduits ?

Aucun.

Ou trop peu ...

C'est bien là, cependant, où l'épreuve de Desgrange atteindrait à sa plus haute portée morale ...

La souffrance d'un champion cycliste qui grimpe ne devrait point engendrer de folies vocales ... mais prêter à la méditation ... Son image devrait inciter le spectateur à se muer en attaquant de la montagne ... en pratiquant du sport ... en fervent de l'effort ...

Au lieu de cela ... l'avalanche humaine coule le long des pentes, violacée de boisson, distendue d'aliment, aphone d'avoir crié, essoufflée par l'altitude, éreintée, laide, sale, dépenaillée ...

« On a vu passer le Tour ... »

Mais ils devraient avoir honte, ceux que la gangrène paresseuse et adipeuse a installés définitivement dans la maladie, c'est-à-dire la « pré-mort », de s'associer au plus grandiose acte sportif qui soit ... sans réaliser que le simple bon sens et la meilleure décence voudraient qu'ils ne manquassent pas autant de respect à des athlètes ...

Il est vrai que les mêmes ne sont pas plus honteux de regarder, méprisants ou faussement intéressés, un terrassier défoncer une chaussée, un cultivateur travailler son champ et sa femme désherber un plan de choux.

À quand cette loi du ministère de la Santé publique et du ministère de l'Éducation nationale réunis :

Article unique.

— Il est défendu d'assister à une course cycliste sans être soi-même à vélo ; à une course à pied sans être venu également à pied ; à une corrida sans se trouver dans l'arène ...

René CHESAL.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 412