L'homme est bâti pour vivre cent ans, et peut-être
davantage. Cependant il est fort rare qu'on atteigne ce siècle d'existence ;
si les progrès de la médecine ont considérablement augmenté la durée moyenne de
la vie, et ainsi multiplié les vieillards, il n'en est pas moins évident
qu'après la cinquantaine une foule de gens sont accablés d'infirmités qui
restreignent de plus en plus leur activité et, finalement, les mettent au
tombeau bien avant cent ans. C'est qu'ils n'ont pas su entretenir leur vie, qui
ne dure jusqu'à son terme normal qu'à certaines conditions. Celles-ci sont de
simple hygiène et faciles à connaître ; mais on les néglige ; on les
ignore délibérément.
À cinquante ans, il y a grand intérêt à savoir ce qu'il
faudrait faire pour lutter contre la décrépitude, qui vient vite et va
s'accélérant. C'est le moment où, suivant la conduite que l'on adoptera, on se
maintiendra, jusqu'au bout, alerte de corps et d'esprit, ou bien l'on
sombrera dans quelque maladie chronique, variable suivant l'hérédité et le
genre de vie. L'obésité, l'artério-sclérose, le diabète, l'arthritisme,
l'emphysème, les déficiences du cœur, des reins, du tube digestif, toutes
affections généralement amorcées avant la cinquantaine, s'aggravent à ce moment
et constituent, pour tout homme « d'un certain âge », la maladie avec
laquelle il lui faudra vivre tant bien que mal, à force de médicaments et de
régimes.
On attribue volontiers cette santé précaire à l'action
inéluctable des ans ; mais, en réalité, ces maladies chroniques résultent
de l'insuffisance fonctionnelle de la plupart de nos organes. Le cœur,
les poumons, le tube digestif, le rein, le foie sont faits pour agir, chacun
dans leur rôle vital. C'est le concours de toutes leurs activités qui assure l'« équilibre
de la nutrition », c'est-à-dire l'état de santé. La vitalité, ou force qui
résiste à la mort, est donc un résultat des travaux bien coordonnés de tous nos
organes ; que si ces organes fonctionnent peu, au ralenti et sans
équilibre, la nutrition se fait mal, la vitalité diminue, la maladie s'installe
et évolue.
Quel est l'agent principal de l'activité organique ?
C'est incontestablement l'exercice corporel. L'être vivant est un producteur de
mouvement ; il n'existe et ne dure qu'à condition de remplir ce rôle ;
pour lui, l'immobilité c'est la mort ; l'inaction relative, c'est
l'affaiblissement, puis la maladie.
L'exercice physique oblige les poumons à respirer largement,
le cœur à battre puissamment, l'estomac à bien digérer, la désassimilation à se
faire à fond, l'assimilation à la suivre ; tout le rythme vital s'en
trouve régularisé et fortifié. Et les organes eux-mêmes se développent et se
fortifient à accomplir largement et régulièrement leurs tâches.
L'inaction corporelle a des effets tout contraires,
c'est-à-dire déplorables. Le cœur, organe pourtant bien courageux, perd de sa
vigueur ; les poumons diminuent de capacité ; estomac et intestin se
refusent à digérer une nourriture qui n'a pas été « gagnée à la sueur du
front » ; le sang épaissit et, devenu toxique, circule difficilement ;
les reins et le foie se fatiguent à éliminer des déchets nutritifs mal élaborés ;
la graisse, l'acide urique, toutes sortes de déchets encombrent les tissus et
les humeurs. Faiblesse des organes, et intoxication humorale, voilà le champ que
la paresse physique ouvre aux maladies chroniques.
Remarquons maintenant qu'à mesure que l'on avance en âge on
se détourne de plus en plus de l'exercice. La turbulence des enfants, le goût
des sports chez les jeunes gens assurent une certaine activité corporelle, pas
toujours suffisante d'ailleurs. Certains métiers imposent un travail musculaire
notable ; mais le machinisme en diminue le nombre et les supprimera
probablement. En tout cas, dès la trentaine, la plupart des hommes modernes
restreignent au minimum leur activité corporelle. Les moyens de transport et
les facilités du progrès social favorisent cette paresse. À cinquante ans, il
est de règle de s'y laisser aller, ce qui est, nous l'avons vu, se laisser
aller à la maladie. Cette négligence vient de ce que les mauvais effets de
l'inaction ne se font guère sentir au début ; ils ne s'accumulent et ne
s'aggravent que lentement et progressivement au cours de l'âge adulte ;
et, brusquement, vers les fatidiques cinquante ans, on se sent descendre sur
l'autre versant de la vie, celui du vieillissement et des infirmités. À ce
moment-là, on songe moins que jamais à faire de l'exercice. On estime, au
contraire, qu'on en a passé l'âge, que cela ne ferait qu'épuiser les dernières
forces et fatiguer des organes qui ne sont déjà que trop affaiblis.
Pourtant c'est à ce moment-là que l'exercice judicieusement
pratiqué a les plus remarquables effets sur la santé, justement parce que les
défaillances de cette santé sont dues au manque d'activité corporelle. La
culture physique, qui développe et fortifie enfants et jeunes gens, guérit les
personnes âgées, refait comme une seconde jeunesse aux quinquagénaires, en
débarrassant leur organisme de tous les déchets et poisons que l'insuffisance
fonctionnelle des organes y a accumulés.
De nombreux exemples prouvent l'efficacité de la « cure
d'exercice ». Ainsi, dans une de nos stations thermales où celle-ci est
particulièrement bien organisée, un de nos confrères a rassemblé force
observations de pléthoriques, d'obèses, d'arthritiques, de dyspeptiques, d'uricémiques,
de déprimés, rapidement améliorés par quelques semaines de gymnastique
méthodique. Il n'est d'ailleurs que de constater que les vieillards qui restent
sains et alertes jusqu'à leurs derniers jours sont ceux qui font preuve d'une
activité physique assez importante.
Contre la vieillesse, on espère en des découvertes
scientifiques, des sérums, des hormones ; leurs résultats sont discutables
et décevants. La vraie fontaine de Jouvence est en nous, dans notre volonté,
qui doit nous empêcher de succomber à la paresse, de nous laisser aller à cette
inertie corporelle qui, à mesure que nous avançons en âge, nous paraît plus
agréable que le travail et l'effort.
Dr RUFFIER.
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