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Le point de côté

C'est à chaque instant que les médecins sportifs et les entraîneurs sont interrogés par les athlètes sur la question, qui n'est banale qu'en apparence, du « point de côté ».

Naturellement, il est des cas où ce désagréable symptôme doit être pris très au sérieux, car il peut être révélateur d'une maladie en cours ; c'est ainsi qu'il constitue un signe à peu près constant dans certaines affections respiratoires graves, telles que la pneumonie ou la pleurésie.

Mais le « point de côté » dont nous voulons parler ici, et qui est beaucoup plus fréquent et moins grave que le précédent, ne répond pas à un état pathologique : c'est celui du bien portant, plus spécialement celui qui survient chez le sportif à l'occasion d'un effort.

En fait, cet effort physique est le plus souvent la course, laquelle est la base de la plupart des sports individuels ou d'équipe.

Ajoutons que cet effort, pour déclencher le point de côté, doit être d'une certaine durée.

Si banal qu'il soit, ce symptôme vaut la peine d'une description : alors que le sujet ne prévoit en rien l'incident, il est pris brutalement d'une douleur intense. Son siège est, en principe, à la base du thorax, au niveau des « fausses côtes ». Il semble que la fréquence en soit plus grande du côté droit, si je m'en rapporte à mes observations personnelles.

La douleur, vive, « coupe la respiration ». En réalité, il ne s'agit point à proprement parler de dyspnée, ou de gêne respiratoire, mais plutôt d'une limitation « mécanique ». Le sujet, d'instinct, diminue l'amplitude respiratoire pour éviter la souffrance, tout comme le fracturé immobilise le membre blessé par une contraction vigilante.

Souvent, la douleur est si vive que l'athlète, en cours de compétition, est obligé d'abandonner ; en tout état de cause, de ralentir son rythme.

Coureur à pied, on le voit marcher quelques mètres, puis s'arrêter, grimaçant. Souvent la douleur s'atténue, pour réapparaître au moment où, profitant d'un calme apparent, il veut recommencer sa course.

Après ce petit drame, une douleur persiste, plus ou moins sourde, pendant quelques jours. Elle se reproduit au cours d'une inspiration forcée, où encore au contact de la main, d'une table, ou à l'occasion d'un mouvement un peu brusque. Puis tout rentre dans l'ordre, sauf à récidiver à la prochaine occasion.

Cette « récidive » du point de côté est d'ailleurs un de ses caractères les plus curieux. Elle a parfois une modalité presque mathématique. Je connais des cyclistes chez lesquels la réaction survenait, avec une régularité remarquable, à 80 kilomètres du départ !

Donc, intensité de la douleur, constance des récidives, telles sont les dominantes du point de côté.

Reste à en déterminer la cause. Et l'on se trouve réduit à des hypothèses :

— Origine digestive : action de l'effort sur un tube digestif distendu par les gaz ? C'est probable, puisqu'un traitement approprié, absorbant ces gaz, le supprime bien souvent.

— Origine congestive, celle-ci constituant un état transitoire dû aux modifications apportées par le travail physique à la circulation sanguine ? (On sait le rôle que les anciens attribuaient à la rate chez les coureurs.) Il est de fait que le point de côté se situe très souvent dans la région de la rate ou du foie.

— Origine musculaire ? Souvent, en effet, il y a entre le point de côté et la « crampe » une analogie frappante. Et je suis convaincu que la cause la plus fréquente est le blocage, sous l'influence de l'effort, d'une des nombreuses insertions du muscle diaphragme qui s'implantent sur toute la surface des dernières côtes. Et il semble bien que, de tous, ce point de côté « musculaire » soit le plus fréquent et le plus pénible.

Pour être sincère, il faut avouer que, justement parce que le diagnostic en reste imprécis, le médecin sportif est souvent désarmé pour lutter contre le point de côté des sportifs, et qu'il n'y réussit que par tâtonnement, après des essais souvent multiples.

Mais, à côté du traitement proprement dit, qui relève du médecin, il y a lieu, pour éviter les récidives, d'apporter dans ce cas une attention particulière, pour l'intéressé, à l'étude et à l'entraînement de son rythme respiratoire et de sa mise en train. Autrement dit — comme pour les « crampes », — ne jamais prendre le départ « à froid », mais, au contraire, après un tour de piste au ralenti. Exactement comme un bon chauffeur n'appuie à fond sur son accélérateur, surtout par temps froid, qu'après avoir prudemment et posément échauffé son moteur par quelques minutes au ralenti.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 415