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Alpinisme

Escalade de l'arête sud de l'aiguille noire de Peuterey

Le point de départ pour l'escalade de l'arête sud de l'aiguille Noire de Peuterey (1) est un petit refuge de bois d'une dizaine de places, construit dans un cirque extrêmement sauvage appelé le Fauteuil des Allemands, sorte de terrasse entre les arêtes sud et est de la Noire (2.325 m.).

La montée au refuge comporte déjà quelques délicats passages de dalles, partiellement parcourues par des cascades. En arrivant au Fauteuil, on est surpris par l'extrême raideur de l'arête sud, qui se développe sur 1.100 mètres de dénivellation entre le col des Chasseurs et le sommet. La course étant purement rocheuse, on peut laisser à la cabane chaussures, piolets et crampons si les conditions sont bonnes, n'emportant, avec quelques vivres, que le matériel nécessaire à l'escalade difficile : marteau, pitons, mousquetons, et, suivant les goûts, quelques vêtements supplémentaires pour le ou les bivouacs que bien peu de cordées ont réussi à éviter.

Le premier sommet de l'arête, la pointe Gamba, est contourné ; son escalade est difficile, et la brèche qui la sépare de la suite de l'arête est profonde de 100 mètres et présenterait de sérieux aléas pour l'atteindre depuis le sommet.

En traversant la face est, on rejoint un éperon descendant de la deuxième tour, que l'on escalade par une succession de cheminées verticales et de fissures surplombantes. Dans cette escalade, au passage d'un surplomb difficile, Welzenbach s'est démis l'épaule ; il a eu le courage de ne pas renoncer et a continué la course, laissant la tête de cordée à son compagnon Allwein ; mais cet accident handicape les deux amis, qui doivent faire demi-tour à la troisième tour, appelée maintenant pointe Welzenbach.

De la seconde à la troisième tour, on suit d'abord le fil de l'arête sans grandes difficultés, mais on se heurte plus loin à une muraille de dalles lisses infranchissables directement. Il faut tourner dans le versant est par une vire étroite et exposée pour trouver plus loin une dalle très difficile permettant de revenir à l'arête non loin de la pointe Welzenbach.

Cette première partie du parcours de l'arête, qui représente plus de la moitié de la dénivellation totale, demande à elle seule environ six heures d'escalade ; mais c'est de beaucoup la moins difficile. On a devant soi les formidables surplombs jaunes de la pointe Brendel.

On descend d'abord de 50 mètres sur la brèche suivante ; un rappel en facilite la moitié. La corde une fois ramenée, toute retraite est coupée.

Le premier passage est celui du ressaut en demi-lune ; l'escalade en est extrêmement aérienne : d'abord une dalle verticale pourvue de bonnes prises, puis une traversée sur une dalle lisse et, plus haut, un pénible surplomb.

Le second passage est une longue traversée très délicate le long d'une dalle lisse dominée par des surplombs ; les derniers mètres sont franchis avec seulement une mince rainure pour les mains.

De la pointe Brendel, après être descendu dans la brèche suivante, on se trouve en face d'une arête d'une centaine de mètres de hauteur, formée d'une succession ininterrompue de surplombs en roche brisée. Il faut plus de trois heures pour franchir ces 100 mètres, dont le passage clé est un grand dièdre vertical de 40 mètres aux parois absolument lisses, le fond étant une fissure où l'on coince les poings ; à mi-hauteur, un bombement augmente encore la difficulté, et les surplombs sommitaux paraissent interdire toute sortie.

Juste sous ces surplombs, on peut enfin, par une vire, s'échapper vers l'arête. Mais quelle vire : c'est une dalle déversée sur laquelle on doit ramper et qui s'interrompt brusquement pour reprendre 2 mètres plus loin ; avec cela, pas la moindre fissure pour enfoncer un piton.

Le plus dur est fait maintenant, mais c'est vers cet endroit que la première journée se termine, après une quinzaine d'heures d'escalade ininterrompue. Il faut trouver une petite plate-forme pour bivouaquer, rester encordés toute la nuit, la corde fixée à des pitons pour prévenir tout danger de chute au cours des assoupissements successifs qui tiennent lieu de sommeil.

Le lendemain, il reste 150 mètres à grimper, en particulier un grand ressaut coupé de deux surplombs, puis un grand couloir redressé. On atteint le sommet de la sixième tour, ou pointe Bich ; encore un rappel de 25 mètres, puis, en moins d'une heure, on arrive enfin au sommet de la Noire (3.773 m.).

La descente s'effectue par la voie normale de l'arête est. Elle est très longue, monotone et sans grandes difficultés, en roche d'assez médiocre qualité. L'itinéraire étant assez difficile à trouver, il arrive que les cordées qui ne connaissent pas la course bivouaquent une seconde fois à la descente.

Parmi les courses du cinquième degré, l'arête sud de l'aiguille Noire de Peuterey est caractérisée par sa longueur exceptionnelle et ses difficultés soutenues qui en font la plus belle escalade du massif du Mont-Blanc.

Pierre CHEVALIER.

(1) Voir Le Chasseur Français de juin 1950.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 416