Le calcul des prix de revient est une nécessité impérieuse
dans toutes les branches de l'activité humaine : industrie, commerce,
agriculture. On imagine difficilement un producteur d'automobiles, un
entrepreneur de transports, voire un boulanger, qui ignoreraient respectivement
ce que leur coûtent les véhicules qu'ils construisent, la tonne kilométrique
des marchandises transportées, les frais de fabrication du pain qu'ils vendent.
Le prix de revient conditionne le prix de vente. Ce dernier
lui est nécessairement supérieur, sinon l'entreprise est en perte et appelée
tôt ou tard à disparaître, à moins qu'elle ne reçoive des secours extérieurs
sous forme de subventions diverses. Mais il arrive aussi que ce soient les prix
de vente qui conditionnent les prix de revient.
Dans les périodes de pénurie et de vente facile, l'essentiel
est de produire ; on trouve toujours à vendre à un prix avantageux, mais,
quand l'abondance reparaît et que la concurrence recommence à jouer, il n'en va
plus de même, et seules demeurent les productions qui s'effectuent dans des
conditions satisfaisantes.
Le prix de vente s'établit en fonction du prix de revient
des entreprises les mieux adaptées à leur production ; les autres doivent,
ou bien trouver le moyen de s'adapter à ces conditions, ou disparaître. C'est
le drame actuel de certaines entreprises, ou de certaines productions de
circonstance, qui ne répondent plus aux exigences économiques actuelles.
Ces considérations paraissent évidentes du point de vue
commercial et industriel, mais l'agriculture n'échappe pas à cette règle et la
production des grains, des fourrages, du lait ou de la viande doit, elle aussi,
connaître ses prix de revient, tant pour agir sur la fixation des prix que
surveillent étroitement les pouvoirs publics, que pour s'efforcer de réaliser
le meilleur profit.
À vrai dire, le calcul des prix de revient agricoles est
fort difficile, plus difficile que dans l'industrie ou le commerce, en raison
de la multiplicité des productions et de leur enchevêtrement. Pour calculer le
prix de revient du quintal de blé, il faut connaître, entre autres éléments, le
prix de revient de la journée des animaux de trait, lui-même fonction de la
valeur de leur nourriture. Il faut donc connaître auparavant le prix de revient
du kilogramme de fourrage qui, produit sur l'exploitation, dépend lui-même de
la valeur de la journée de travail de cheval. On semble tourner dans un cercle
vicieux. Comment évaluer la valeur du fumier ! Et celle du résidu de
fumure laissé par la plante sarclée ? À quel prix évaluer l'enrichissement
du sol en azote à la suite d'une culture de légumineuse ?
On pourrait multiplier de semblables exemples ; aussi
ne faut-il pas s'étonner des divergences, parfois considérables, qui se
présentent dans les calculs des différents organismes qui s'efforcent de faire
ces calculs.
En fait, il y a autant de prix de revient d'une denrée qu'il
y a de producteurs, et il est bien évident que le blé ne revient pas au même
prix dans le Pas-de-Calais, dans la Beauce, dans la vallée de la Garonne ou
dans les Alpes. Bien mieux, chez le même producteur, il y a autant de prix de
revient qu'il y a de champs de blé, et il en est de même des autres
productions.
Il y a dans ces calculs une part d'arbitraire et on ne
saurait leur attribuer, quel que soit le soin avec lequel ils sont faits,
qu'une valeur relative. Faut-il en conclure qu'ils sont inutiles et que c'est
perdre son temps que de s'y livrer ? Que non pas !
Qu'ils n'aient pas une valeur absolue, c'est certain ;
mais ceux auxquels se livrent industriels et commerçants sont-ils tellement
plus précis ? Ne comportent-ils pas eux aussi une part d'arbitraire. Il
n'est pour s'en convaincre que d'examiner des bilans qui portent pour 1 franc
des immeubles et des outillages qui valent parfois des centaines de millions.
Et pourtant, qui proposerait de supprimer ces comptabilités ?
Plus se multiplient les calculs de prix de revient, plus on
arrive à serrer la réalité de près et à attribuer à des éléments encore
imprécis une valeur normale. Mais, pour l'immédiat, ces calculs obligent le
producteur à se pencher sur le problème et à étudier celui de la réduction de
ses prix de revient personnels, à se demander si certains éléments n'en sont
pas excessifs et ne peuvent être comprimés, si la main-d'œuvre est toujours
judicieusement employée, s'il n'y a jamais de pertes de temps, de transports
inutiles, etc.
Prenons exemple de la vacherie. Ne pourrait-on pas rendre
l'affouragement plus facile, organiser de façon plus pratique l'enlèvement des
fumiers, réduire les frais de gardiennage, diminuer les pertes d'animaux et les
frais de vétérinaire par une meilleure hygiène ?
Il me souvient d'avoir connu un cultivateur qui n'hésitait
pas à employer deux hommes à fouiller dans un tas de ferraille pour essayer d'y
retrouver quelque pièce usagée qui lui éviterait l'achat d'un morceau de fer
neuf de quelques centaines de grammes.
Ce même cultivateur avait fait l'économie de gouttières à
ses toitures et transformé sa cour en une fondrière exigeant trois chevaux à
ses véhicules au lieu de deux. Il devait, en outre, chaque année, se livrer à
un rempierrage toujours décevant, la cause du mal n'ayant pas disparu.
Il n'avait, évidemment, pas la notion du « prix de
revient ». Ces deux exemples sont particulièrement typiques et il n'y a
pas besoin de calculs compliqués pour éviter semblables erreurs. D'autres,
moins apparentes, ont besoin précisément d'être étudiées de plus près, et c'est
là un des rôles essentiels du calcul des prix de revient.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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