Dans un précédent article, nous avons parlé du douglas,
cette essence de reboisement d'origine américaine, à très grand rendement.
Nous nous proposons d'aborder maintenant l'étude du groupe
des sapins Abies, qui présentent la propriété de supporter l'ombre
pendant la jeunesse, ce qui leur confère un intérêt tout spécial pour l'enrésinement
des taillis et des forêts dégradées.
Nous avons dit du douglas qu'il supportait bien un abri
latéral : les sapins sont encore plus exigeants à ce point de vue et,
tant qu'ils sont jeunes, ils doivent être protégés contre la gelée et la
sécheresse par un abri direct, mais cependant suffisamment léger,
constitué, par exemple, par des perches à cime étroite et très régulièrement
réparties. L'abri devra être enlevé dès que la plantation aura atteint, en
moyenne, 1m,50 à 2 mètres de hauteur (technique de la coupe
d'abri).
Les sapins se reconnaissent aisément à leurs aiguilles plus
ou moins pectinées, aplaties, présentant deux lignes blanches en dessous et
insérées sur le rameau lisse par une sorte d'ampoule arrondie. Les « épicéas »
ont, au contraire, un rameau cannelé, qui s'arrache si on exerce une traction
sur la feuille. De plus, les sapins ont des cônes dressés qui se désarticulent
sur l'arbre, alors que les cônes d'épicéas sont pendants et tombent en bloc. Le
bois des sapins, blanc, assez mou, est un très bon bois de papeterie ; il
fournit aussi de bons poteaux et des sciages, en général de qualité médiocre à
cause de l'abondance des noeuds. Les graines, ailées, sont assez grosses, très
riches en résine, et elles se conservent mal ; il faut les utiliser dès le
printemps qui suit la récolte : les jeunes plants, qu'il est nécessaire
d'abriter dès leur levée, doivent être repiqués deux ou trois ans avant leur
utilisation.
Principales espèces utilisées.
— La seule espèce indigène est le sapin pectiné. On
utilise également certains sapins méditerranéens et le sapin de Vancouver.
1° Le sapin pectine (Abies alba).
Cette espèce, abondante dans toutes les montagnes
françaises, ne croît que dans les zones d'altitude assez élevée et surtout à humidité
suffisante. Les beaux peuplements de sapins ne se rencontrent que dans les
zones à pluviosité supérieure à 1 mètre par an.
Il importe de n'utiliser le sapin pectiné, comme essence de
reboisement, que dans les zones présentant les mêmes caractéristiques
écologiques que son aire naturelle : climat pas trop chaud et suffisamment
humide, donc dans toutes les montagnes humides, aux expositions pas trop
ensoleillées, et dans certaines parties de la Bretagne et de la Normandie.
Partout ailleurs, en plaine, il débourre trop tôt et souffre des gelées
printanières, ainsi que des sécheresses estivales.
Signalons l'intérêt de la variété originaire de l'Aude, qui
peut être utilisée dans des conditions limites, en particulier dans des régions
à climat moins montagnard, en Lorraine par exemple.
Au point de vue technique, le reboiseur utilisera des plants
âgés de quatre à cinq ans repiqués à deux ans.
2° Les sapins méditerranéens : le Nordmann.
Tout un groupe de sapins, présentant entre eux des affinités
botaniques et physiologiques, croissent à l'état spontané sur le pourtour du
bassin méditerranéen. Signalons le sapin pinsapo, originaire du sud de
l'Espagne, caractérisé par des aiguilles glauques, rigides, disposées en
écouvillon autour du rameau, espèce très xérophile, ne présentant guère qu'un
intérêt ornemental. Le sapin de Céphalonie, qui vit en Grèce, est un bel
arbre forestier, mais il est assez gélif et souffre des gelées printanières.
Nous ne parlerons ici de façon détaillée que du sapin de Nordmann :
cette espèce, originaire du Caucase, se reconnaît à ses aiguilles larges,
échancrées à l'extrémité, en brosse recouvrant le rameau : elle
débourre tard, ce qui lui permet de résister aux gelées de printemps ; de
plus, elle supporte beaucoup mieux les sécheresses estivales que notre sapin :
c'est donc l'essence idéale pour la reconstitution, en plaine, des taillis
ou des forêts dégradées, en terrain pauvre. La culture et la plantation
doivent obéir aux mêmes règles que celles du sapin pectiné.
3° Le sapin de Vancouver (Abies grandis).
C'est le sapin géant des plaines de la Colombie britannique
au Canada, et du nord-ouest des États-Unis : sa croissance extrêmement
rapide, sa rectitude, les imposantes dimensions qu'il atteint en font une
remarquable essence de reboisement, utilisable dans toute région à climat assez
humide (plaines de la moitié nord de la France, Massif Central), et en sol
suffisamment profond et frais : les arènes granitiques, les alluvions
riches, les sols argilo-siliceux lui conviennent particulièrement bien. Le
sapin de Vancouver se reconnaît aisément à ses feuilles de longueur inégale,
parfaitement pectinées, à ses rameaux tout à fait glabres et ses bourgeons
résineux. La qualité médiocre de son bois, plutôt tendre, est compensée
largement par la rapidité de sa croissance.
Les semis se développent aussi très vite ; le repiquage
en est effectué à un an. La mise en place peut être faite à trois ans.
En raison de la grande rapidité de croissance, tout abri peut être supprimé dès
l'âge de dix ans.
Conclusion.
— Si les pins constituent le groupe le plus intéressant
des espèces de plantation en terrains nus, les différents sapins répondent à un
but différent : ce sont les espèces les mieux adaptées à un enrésinement
progressif, c'est-à-dire à une substitution tente d'un type de forêt à un
autre, grâce à la technique de la coupe d'abri. Ils présentent en outre,
à ce point de vue, un autre avantage sur les pins : ils donnent un humus
moins acide, à décomposition plus rapide, et détériorent moins le sol. Enfin,
étant introduits le plus souvent sous l'abri d'un peuplement feuillu
préexistant, le mélange d'essences résineux-feuillus, toujours souhaitable à
divers points de vue (incendies, conservation du sol), comme nous l'avons déjà
signalé ici même, à plusieurs reprises, se trouve automatiquement réalisé :
la solution de ce problème est au contraire beaucoup plus délicate lorsqu'on
utilise les résineux de pleine lumière tels que les pins.
Pour terminer, signalons l'existence d'un certain nombre de
sapins, sans valeur forestière, mais présentant un intérêt ornemental : en
dehors du sapin pinsapo, déjà mentionné, on peut citer deux espèces à feuillage
glauque : le sapin concolor, à aiguilles longues, originaire des
régions sèches des Rocheuses, et le sapin noble (Abies nobilis), dont
les aiguilles sont beaucoup plus courtes et qui croît aux hautes altitudes de
la chaîne côtière du Pacifique, aux États-Unis.
LE FORESTIER.
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