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Explorations sous-marines

Le scaphandre autonome

On démontre que la géographie commandait la naissance de la civilisation sur les bords de la Méditerranée en des terres prédestinées par la nature et le climat. On pourra de même prouver un jour que la découverte du monde sous-marin devait fatalement se faire sur les rives latines, et même, plus exactement, sur la côte d'Azur.

L'eau, en effet, y est pure. La mer, surtout, n'y est pas soumise à des marées toujours gênantes pour le plongeur. Sa tiédeur permet de longues baignades, même en plein hiver. Ses côtes ne sont ni trop plates et sablonneuses, ni trop sauvages et soumises à un continuel ressac comme sur l'Atlantique, mais variées, hospitalières, très souvent calmes. (A-t-on envie de se baigner et d'explorer les eaux vertes et écumantes à Ouessant ou à la pointe du Raz ? N'en a-t-on pas, au contraire, l'impérieux désir devant les eaux d'azur et de lumière des îles d'Hyères ou du cap d'Antibes ?) De plus, ce n'est que dans une région de vacances, de farniente estival que pouvait naître ce qui n'était d'abord qu'un sport.

En effet, les diverses inventions qui devaient aboutir à une technique nouvelle de plongée ont vu le jour un peu partout à la fois sur la côte provençale, de Nice à Marseille, où l'idée était vraiment « dans l'air » (mais il faudrait plutôt dire « dans l'eau »). Nous voulons parler de l'attirail du « chasseur de poissons », auquel nous avons consacré ici deux articles (1) : lunettes étanches, tuyau respirateur et palmes de caoutchouc aux pieds. Nous voulons parler aussi de l'invention du scaphandre autonome qui naissait lentement à Toulon.

Les chasseurs sous-marins, les yeux et le nez simplement protégés par leurs lunettes étanches, ne dépassent pas en général une douzaine de mètres. Rares sont ceux qui atteignent 18 et 20 mètres ; encore ne le font-ils qu'exceptionnellement. Si des Polynésiens atteignent 35 et 40 mètres, c'est après un entraînement poursuivi depuis leur enfance, au péril de leur santé et même de leur vie.

Certes, les scaphandres qui permettent de dépasser facilement ces limites ne sont pas inventés d'aujourd'hui. Mais, du moment qu'ils sont tributaires d'un appareillage et d'aides demeurés hors de l'eau, ils sont d'un emploi difficile, qui en limite beaucoup la portée. Pour un Milne-Edwards plongeant en Sicile, voici un siècle, avec un lourd scaphandre, les autres naturalistes spécialistes de la mer n'ont jamais revêtu la combinaison de caoutchouc ni chaussé les semelles de plomb. Quant aux sphères de Williamson, aux tuyaux de Beebe, aux tanks sous-marins de Piccard, est-il besoin de dire que leur emploi est encore plus limité ?

Ce que la côte d'Azur a donné au monde, c'est la possibilité pour tout un chacun de passer quelques heures chaque jour, si l'envie lui en chante, par 30 ou 40 mètres de fond, aussi facilement que l'on va faire un tour à vélo, une randonnée en auto. Ce sont les scaphandres à bouteilles d'air comprimé qui ont ainsi modifié le problème.

Le pionnier du système fut le commandant Le Prieur, dont le scaphandre fut longtemps roi, mais un roi qui n'avait pas beaucoup de sujets. Par contre, dès la mise au point du scaphandre du lieutenant Cousteau et de M. Gagnan, tout un sport nouveau prit naissance ; et, aujourd'hui, sur la côte d'Azur, on peut dire que le « Cousteau-Gagnan » est entré dans les mœurs.

Mais la pratique du scaphandre léger n'a pu se généraliser que grâce à la mise au point, pour la chasse sous-marine, des lunettes étanches englobant le nez derrière une glace unique. Sans ce masque léger et de port commode, le nouveau sport n'aurait pu naître.

Donc, les yeux sont protégés par ces lunettes, le nez est mis hors du circuit respiratoire (c'est là qu'est la grande « astuce »). La respiration ne passera que par la bouche. L'air sera donné par des bouteilles attachées sur le dos ; chacune de ces bouteilles métalliques contient 5 litres d'air comprimé à 200 kilogrammes par centimètre carré, soit

1 mètre cube d'air à la pression atmosphérique, de quoi respirer dix à vingt minutes selon l'effort fourni dans l'eau et surtout suivant la science respiratoire du plongeur.

La clef de l'invention réside dans un détendeur qui débite l'air à une pression toujours égale à celle de l'eau. Et cela automatiquement : c'est la pression de l'eau qui, agissant sur le détendeur, règle elle-même la pression de l'air ; et c'est l'aspiration elle-même qui déclenche la sortie de l'air.

Imaginons que nous plongeons avec un tuyau dans la bouche, un tuyau rigide naturellement. À première vue, il semble que nous pourrons descendre aussi bas que nous le permettra notre tuyau. Mais non ! dès une profondeur de 2 mètres, nous ne pourrons plus respirer. Pourquoi ? Mais parce que, à chaque mètre de profondeur, la pression augmente de 100 grammes. Or on a mesuré que l'homme, sauf l'exception d'un champion à la respiration de forge, ne peut pas dilater sa poitrine dès qu'elle subit une surpression de 170-180 grammes. Parfois on atteint 200 grammes ; pas plus. Donc, dès 2 mètres de profondeur, la poitrine du plongeur ne pourra plus se dilater pour aspirer l'air qui, lui, demeure à la pression atmosphérique.

Pour que l'homme puisse descendre plus bas, il doit respirer de l'air à une pression telle que l'intérieur de ses poumons et que l'extérieur de sa poitrine soient en équilibre. C'est ainsi que l'on envoie par des pompes à bras ou à moteur l'air nécessaire pour alimenter les scaphandres et les cloches à plongeur.

Avec le détendeur mis au point par M. Gagnan, ingénieur à l'Air Liquide, l'air est distribué à une pression sensiblement égale à la pression ambiante. Pas tout à fait égale cependant : si cela était, la bouteille se viderait vite de son air. Ce qu'il faut, c'est que le débit ne se déclenche que si l'air est aspiré. Mais une simple dépression ou surpression de 20 ou 30 grammes suffit pour provoquer un rapide essoufflement. Aussi le détendeur est-il réglé avec une grande précision pour débiter de l'air dès une aspiration de 5 grammes.

Du détendeur partent deux tuyaux passant un sur chaque épaule et venant se rejoindre dans un embout de caoutchouc que l'on tient entre les dents. Un de ces tuyaux amène l'air, l'autre le renvoie. Mais le plongeur n'a pas à s'occuper de tout cela : il n'a qu'à respirer posément, tranquillement. Tout n'est que très facile. La seule difficulté — croyez-en l'expérience de l'auteur, — c'est d'avoir le nez hors circuit. Cela procure une gêne, ou plutôt une impression de gêne qui doit être vaincue par la volonté. Mais, si l'on est déjà habitué par la chasse sous-marine à respirer par le seul tuyau d'un respirateur, alors on n'a, dans l'eau, qu'une sensation d'euphorie.

Tout est merveilleux : on ne nage pas, on vole ; on se dirige avec de simples gestes du bras, avec une simple orientation du corps, presque avec une intention. Et le plus beau, c'est d'être délivré de la pesanteur.

En théorie, du moment que la pression à l'intérieur du corps s'équilibre avec la pression de l'eau, rien ne devrait interdire l'accès à de très grandes profondeurs. Ce serait vrai si d'autres phénomènes n'intervenaient pas. Nous verrons lesquels une autre fois.

Pierre DE LATIL.

(1) Voir Le Chasseur Français d'août et octobre 1949.

Le Chasseur Français N°641 Juillet 1950 Page 443