De tout temps, la police et les municipalités ont
surveillé les denrées alimentaires, afin d'empêcher non seulement des
escroqueries, mais aussi des accidents parfois mortels. Les archives de
l'ancien régime fourmillent de notes, d'arrêtés, de procès-verbaux nous
permettant de connaître comment, autrefois, on traquait les fraudeurs.
Le pain, indispensable aux Français, était fait suivant une
certaine réglementation. Lorsqu'en 1659 les boulangers du faubourg de
Saint-Germain-des-Prés, à Paris, obtinrent leurs statuts corporatifs, il fut
stipulé que leurs jurés auraient droit « suivant les ordonnances de faire
visite chez les cabaretiers et hosteliers, pour y voir et reconnaître s'ils
vendent le pain au degré de l'ordonnance et s'il est de bonne qualité »,
le même texte fait « deffensce à tous lesdits maistres boulangers de
faire, ny fabriquer aucun pain estoffé, falcifié, ny composé » sous peine
d'une amende.
Dans le courant du siècle de Louis XIV, une grande querelle
s'éleva sur la question de savoir si l'usage de la levure pouvait être
préjudiciable à la santé. Suivant une mode qui a fait fortune depuis, on réunit
une commission composée de six mitrons et de six médecins. Ceux-ci ergotèrent,
discutèrent, et l'un d'eux rédigea un rapport qui semble extrait d'une comédie
de Molière : qu'on en juge par ce passage : « On dit que sa
grande subtilité (il s'agit de la levure) luy fait faire sa fermentation si
promptement qu'elle n'a pas le loisir de dissoudre la farine, et que cela rend
le pain visqueux, en sorte qu'il fait une masse capable de charger l'estomac. Il
est vray que ce pain, poursuit notre Purgon, a quelque viscosité, mais on ne
demeure pas d'accord que ce soit elle qui charge l'estomac par la difficulté
qu'il trouve à la dissoudre, et qui consiste, selon Aristote, dans un
enchaînement presque indissoluble des parties qui composent le corps visqueux. »
Pendant quelque temps, on interdit donc cette levure « dont venaient tous
les maux », et qui avait été condamnée en invoquant un philosophe grec de
l'antiquité ! En 1667, nous voyons, en effet, que les boulangers de
Gonesse — dont les produits étaient alors très estimés des gourmets —
s'engagent à ne pas livrer aux Parisiens de miches contenant de la fâcheuse
levure.
Dès le moyen âge, les bouchers étaient l'objet de mesures de
la part du prévôt de Paris qui, en 1399, leur enjoint de tenir de la chandelle
allumée dans leurs boutiques, à certaines époques de l'année, parce que, dit
l'arrêté, « la fausse lumière empêche que l'on ne reconnaisse tous les
défauts que la viande peut avoir ». À défaut d'un service vétérinaire
d'inspection des abattoirs, des surveillants qualifiés examinaient les morceaux
exposés.
Il paraît que les bouchers du XVIe siècle étaient
parfois assez grossiers avec leurs clients et imitaient volontiers les fameuses
harengères des Halles. La servante qui « ferrait la mule »,
c'est-à-dire faisait sauter l'anse du panier, ou la petite bourgeoise étaient en
butte aux railleries des garçons ; aussi une ordonnance en date du 14 juillet
1570 défendit aux détaillants de la viande d'injurier ou de se moquer des
demoiselles.
À plusieurs reprises — ce qui prouve le peu
d'efficacité des édits de ce genre, — on stipula aux bouchers qu'il leur
était défendu de tuer des bêtes ayant été nourries chez des barbiers
chirurgiens ou dans des léproseries : le texte ajoute que la chair de ces
animaux immondes serait jetée à la rivière ou aux champs, ce qui était, on doit
l'avouer, fort peu hygiénique !
Louis XV, en 1741, résuma ces différentes lois et rappela
aux bouchers qu'ils ne devaient, sous aucun prétexte, débiter d'autres chairs
que celles qui avaient été abattues et habillées dans leurs échaudoirs ;
ils ne pouvaient pas vendre non plus des veaux « morts, étouffés, nourris
de son ou d'eau blanche ou qui ayent moins de six semaines à deux mois ».
Les marchands forains ne pouvaient exercer non plus ce métier ; cette
mesure, à une époque où la surveillance des marchés était assez faible, était
fort sage.
Les triperies étaient, à la fin du XVIIIe siècle,
placées, si nous en croyons Mercier, à l'extrémité des faubourgs de Paris. Cet
auteur nous apprend que, les « bouchers nomment menus ces débris de
l'animal qu'on ne vend point aux boucheries ; ces menus sont mis, avec une
certaine quantité d'eau, dans une grande chaudière sur le feu. » L'écume
qui se produisait alors était ramassée avec soin et garnissait ... les
réverbères de la ville ; les pauvres gens achetaient les bas morceaux qui,
de nos jours, atteignent des prix assez élevés.
Le porc pouvant communiquer des maladies graves, on conçoit
que nos ancêtres aient eu à cœur de faire examiner le « petit ange rose »
cher au poète et gastronome Monselet. Une ordonnance de 1477 nous donne de
curieux renseignements sur la charcuterie à cette époque. Nous y lisons, en effet,
que les « charcuitiers » sont tenus de confectionner des « saulcisses
de porc frais ou d'autre bonne viande convenable, hachée bien menu, et
assaisonnée de sel, fenouil net et bien choisi, et que les saulcisses ne soient
couvertes que de menus boïaux de porc bons et dignes d'entrer dans le corps
humain et non de boïaux d'autres bêtes ».
La fraîcheur de la volaille était elle aussi soumise à un
sérieux examen, et les marchands peu scrupuleux étaient parfois attachés
purement et simplement à un pilori, en pleine place publique, sous les huées et
les railleries de leurs clients !
À la fin de l'ancien régime, un commissaire inspecteur était
même chargé de vérifier l'état des poulets vendus au marché des Grands
Augustins, et Sébastien Mercier nous trace à ce sujet un amusant portrait :
« Il y a, écrit-il, des officiers de volaille comme il y a des officiers
de marée. Le cornet (encrier) attaché au-dessous du ventre, la plume sous la
perruque, ils couchent par écrit la moindre mauviette ; un lapereau a son
extrait mortuaire en bonne et due forme avec la date du jour. » On voit
que la police du temps de Louis XVI surveillait ce qui pouvait nuire à la santé
des Parisiens.
La vente des melons fut aussi étroitement réglementée. Delamarre,
dans son Traité de la Police, nous dit en effet : « l'expérience
nous fait connoître que l'usage des melons est mauvais sur la fin de l'automne,
que la crudité de ce fruit cause en cette saison des flux de ventre, des dissenteries
et quelquefois des fièvres ou d'autres maladies encore plus dangereuses. »
Aussi, le 6 octobre 1670, voyons-nous arrêter par décision du magistrat le
débit de ce cucurbitacé dont raffolait le bon roi Henri.
Afin de prévenir également les épidémies, les jardiniers de
la région parisienne n'avaient pas le droit d'utiliser les boues de la ville,
ainsi que les matières fécales.
Les textes relatifs au lait et au beurre sont presque
innombrables, leur fréquence prouve d'ailleurs que beaucoup de commerçants n'en
tenaient aucun compte. Pendant fort longtemps, le gouvernement lutta dans le
but de proscrire les instruments malpropres dans lesquels on versait le liquide
destiné aux enfants ou aux vieillards ! Un document enjoint aux marchands
de fromages de mettre au-dessus et au fond de leurs paniers des bries ou des pont-1'évêque
de même qualité.
Mais c'est principalement sur la qualité du poisson que les
rois de France ou les officiers portèrent leurs efforts. Les jours maigres
étaient à cette époque fort nombreux, et la morue, le hareng constituaient la
base de la nourriture de maint ménage. Les dossiers d'archives nous apprennent
quelques fraudes du temps. C'est ainsi que certains marchands, pour donner une
belle apparence à leur poisson fraîchement dessalé, les traitaient avec de
l'alun, de la chaux, du salpêtre ou autre drogues plus ou moins corrosives. Des
chirurgiens et des apothicaires furent dès lors chargés d'examiner ces saumons
et ces sardines plus ou moins empoisonnés.
Comme de nos jours, les bourriches d'huîtres étaient
obligatoirement soumises à une vérification sanitaire ; elles étaient
d'ailleurs prohibées pendant les mois sans r, c'est-à-dire du dernier
jour d'avril au dernier jeudi du mois d'août. Les savoureux mollusques
donnaient beaucoup de souci à M. le lieutenant de police, qui interdit de les
vendre après cinq jours d'exposition ; passé ce délai, ils devaient être
jetés à la voirie. Les expéditeurs, paraît-il, employaient certains produits
afin de leur conserver une apparente fraîcheur. Ajoutons que, sous le règne de
Louis XVI, le métier d'écaillère était très florissant ; ces femmes
étaient, dit-on, pour la plupart très riches, ce qui ne doit pas nous
surprendre, la consommation des huîtres étant alors extrêmement importante.
Les affiches, les ordonnances des magistrats de Paris ou de
province nous prouvent que, depuis le moyen âge, on a surveillé et réprimé — parfois
assez durement — les fraudes alimentaires, que, d'autre part, dans un but,
fort louable, d'intérêt public, on a toujours réglementé la vente des huîtres,
du poisson et, en général, de la nourriture humaine. Certains de ces textes,
vieux de plusieurs siècles, mais rajeunis, sont encore en vigueur.
Roger VAULTIER.
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