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Bonne ou mauvaise voie

Si la température influe à la fois sur l'intensité des émanations de l'animal (1), sur la persistance des odeurs et sur l'aptitude du chien à percevoir ces senteurs, il n'y a rien d'étonnant à ce que le temps joue un rôle si important dans la façon de chasser des chiens.

Mais, ce qu'il y a de surprenant, c'est que l'approche d'un brusque changement de temps ait une influence aussi grande que le changement de temps lui-même.

Tous les chasseurs aux chiens courants ont pu constater ce fait. Tous ils ont été surpris parfois que, par une journée calme, propice, et qui leur semblait même idéale, leurs chiens chassaient affreusement mal. Bien des fois ils ont été scandalisés ... bien des fois ils ont pesté contre leurs rosses.

Le lendemain, à cette bonne journée succédait de la façon la plus inattendue un jour de froid glacial, un jour de tempête, un jour d'averses. La veille, le temps était déjà malade sans qu'on puisse le prévoir, mais les pauvres rosses en avaient déjà subi les effets.

On peut donc être assuré que la menace du mauvais temps est aussi néfaste, et parfois même plus néfaste, que le mauvais temps lui-même. Une journée de février ou de mars, j'étais à une chasse à courre, avec les équipages de Bois-Sorin et du Pas-des-Chaumes, qui découplaient ensemble sur le chevreuil en forêt de Chizé. Le ciel était menaçant, un vrai ciel d'encre. Les chiens chassaient péniblement leur animal. Brusquement la neige tomba. Comme si le temps avait été déchargé de ses menaces et de ses mauvaises influences, les chiens se mettent à chasser très vivement sous les blancs flocons. C'était net ! L'approche du changement avait été défavorable. Le changement de temps avait amélioré la voie.

L'une des conditions les plus importantes pour que le temps soit bon est la stabilité de l'ambiance atmosphérique. Toutes les sautes brusques de la température sont à redouter.

Si un jour — malgré toutes les apparences propices — vos chiens chassent mal, ou si brusquement, alors que tout allait bien, vos chiens flanchent, consultez votre baromètre. L'aiguille a certainement marqué un saut important. Si vous avez un baromètre enregistreur, vous constaterez une montée ou une descente trop brutale. Si, sur votre cylindre enregistreur, vous voyez une ligne indiquant une pression moyenne normale et suivant sensiblement la ligne horizontale, vous êtes à peu près certain que la voie, si elle n'est pas fumante, est du moins acceptable ; si, au contraire, vous voyez un brusque crochet vers le haut ou vers le bas, la voie sera certainement très mauvaise. J'ai bien souvent remarqué qu'il y avait une grande concordance entre le comportement du baromètre et celui des chiens en chasse.

On a noté que surtout par temps médiocre les chiens qui avaient bien leur animal dans le nez le chassaient mieux que des chiens que l'on mettait sur cette voie. L'un des exemples les plus frappants que j'aie constatés est celui-ci :

Par une tempête épouvantable, quatre ou cinq de mes chiens lancent un renard sans que les autres chiens et sans que moi-même ayons connaissance de ce lancer ; je n'entendais naturellement absolument rien. Je continue à battre le bois avec les chiens qui me restaient. Une heure plus tard, j'aperçois, tout à fait par hasard, un renard qui se faufilait dans un taillis. J'appelle mes chiens — je les mets à la voie — et j'avais là le meilleur de tous. Ils crient par conviction, mais en réalité ne démêlent ni ne suivent la voie. Quelques minutes plus tard surviennent mes chiens, qui chassaient ce renard, car c'était leur animal de chasse ; sans la moindre hésitation ils continuent leur chasse sur cette même voie, que les autres n'avaient pas perçue ! Bien entendu, entraînés et enhardis, les autres s'ameutent et prennent part à la poursuite.

Mais il y a un phénomène infiniment plus mystérieux. Une voie peut sembler disparue, évanouie sous l’influence d'une température particulièrement néfaste et réapparaître quelques heures plus tard. Voici notamment un fait très significatif. Un chasseur à tir part avec ses deux couples de chiens courants. Le temps est lourd d'orage. Il suit la lisière de la forêt sur une distance de douze ou quinze cents mètres. Ses chiens, cependant très bons, ne trouvent pas une rentrée, ne donnent pas un coup de gueule. Le chasseur ne s'en étonne pas trop, en se disant : « Par cette température il n'y a pas de voie. La pluie tombe. Le chasseur se dit : « Je n'ai plus qu'à rentrer. » Et il rebrousse chemin tout en suivant la même lisière de forêt. Pendant son retour, sur cette même lisière, où il n'avait rien trouvé, ses chiens lui font deux rapprochers et deux lancers.

Que d'autres cherchent et réussissent à expliquer tous ces mystères !

Je me contente de les constater ... et je me demande parfois si ces côtés mystérieux de la voie, joints à la poésie de la splendeur champêtre, à la griserie du grand air et de la poursuite, ne rendent pas plus captivantes toutes ces émotions fortes de déceptions et d'espérances et n'aggravent pas encore cette effroyable, inguérissable et délicieuse passion du chasseur aux chiens courants.

Paul DAUBIGNÉ.

(1) Voir Le Chasseur Français de juillet 1950.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 452