Accueil  > Années 1950  > N°642 Août 1950  > Page 453 Tous droits réservés

Tir de chasse

Quand paraîtront ces lignes, les chasseurs commenceront à faire leurs préparatifs pour l'ouverture déjà proche. C'est qu'on en parle de longues semaines à l'avance et qu'on fait, avec amour, l'inventaire de la caisse à munitions mise à l'abri depuis plusieurs mois. Il est donc opportun de parler un peu de ce tir de chasse qui n'a rien de commun avec celui du stand et qui, pourtant, avec un peu de coup d'œil et, surtout, de sang-froid, serait bien plus meurtrier que ce qu'il est pour beaucoup de chasseurs ; pour les jeunes surtout, dont l'ardeur un peu trop vive influe souvent, en mal sur le résultat. Pourtant, si l'on voulait bien, que de coups manqués seraient évités et que de pièces de plus au tableau !

On peut poser en principe que le succès du tir à la chasse dépend de deux choses : la distance du but à atteindre et la correction à effectuer dans le pointage de l'arme sur un gibier qui se déplace, le tout avec un minimum de sang-froid.

La distance : il ne faut pas croire qu'un fusil de chasse est un instrument capable de tuer à toutes distances. J'ai eu l'occasion, bien souvent, de parler à ce sujet à des profanes en matière de chasse et ai été frappé de l'idée que l'on peut se faire de choses que l'on ignore. On m'a montré un arbre se dressant au fond d'une plaine, un oiseau passant à deux cents mètres, en me demandant si l'on pouvait tirer jusque-là. L'étonnement était grand quand je répondais qu'au delà de 45 à 50 mètres on n'était plus certain de son coup de feu et que le maximum de portée efficace pouvait se situer de 35 à 40 mètres environ avec un calibre moyen ! Une telle ignorance peut se comprendre chez des non-chasseurs. Mais combien de porteurs de permis qui tombent dans ces mêmes erreurs et tirent à des distances inconcevables. J'ai vu tirer, en particulier, lièvres et canards à cent mètres et plus, deux gibiers pourtant les plus durs à tirer à longue portée. Combien tombent dans ces cas-là ? Combien même sont touchés ? Et si, parfois, un plomb atteint la pièce, c'est pour la blesser inutilement. Sans parler de telles distances, on tire souvent — certains chasseurs du moins — à 70 ou 80 mètres. C'est encore là une exagération. La charge de plomb, certes, arrive jusque-là et même plus loin, et un plomb peut encore être meurtrier. Il serait imprudent de tirer un coup de fusil dans la direction d'une personne se trouvant à cette distance, car un grain de plomb mal placé (œil, cou) pourrait avoir de graves conséquences. Pour le gibier, un plomb l'atteignant dans une partie vitale (tête, cœur, cou) peut l'abattre net ou, brisant seulement une aile, l'arrêter dans son vol. Ce sera évidemment, pour le chasseur, une pièce de plus au tableau. Mais cette heureuse éventualité ne se produira que dans une proportion infime eu égard au nombre de cartouches tirées dans ces conditions. Dans d'autres cas, le gibier pourra être également touché, mais dans une partie moins sensible, ce qui ne l'arrêtera pas dans sa course ou son vol. Cependant sa blessure pourra s'envenimer, surtout par les journées de grandes chaleurs, et l'animal périra soit, diminué dans ses facultés de défense, sous la dent de quelque fauve ou rapace qui aura tôt fait de s'en emparer, soit, s'il y échappe, en allant mourir au fond de son trou ou dans l'épaisseur d'un buisson ou d'un taillis.

Il y a donc lieu de s'abstenir de tenter ces coups de longueur invraisemblables et inutiles. D'ailleurs un gibier levé et non tiré, parce que trop loin, peut très bien se retrouver dans sa remise et être, ensuite, tiré dans de bonnes conditions. Les perdreaux ne vont jamais très loin et, pour qui connaît le pays, sont facilement retrouvés ; le lièvre, se tenant toujours dans le même terrement, pourra, un jour ou l'autre, être levé de nouveau ; quant aux canards, il n'est pas de gibier plus fidèle aux lieux qu'ils affectionnent et on les retrouvera toujours dans leur mare favorite ou leur coin de marais accoutumé. Il est donc de l'intérêt du chasseur de ne pas effrayer inutilement un gibier que l'on est certain de pouvoir retrouver quelques jours, ou même quelques heures plus tard. J'ai vu, pourtant, hélas ! certains soirs d'affût aux canards des coups tirés à des distances où le seul résultat était d'empêcher les oiseaux de se poser et de les éloigner pour toute la soirée du lieu de chasse, sans succès pour personne.

Quant à la correction à effectuer, je ne suis certes pas le premier à traiter de cette question, qui reparaît bien souvent sous la plume des auteurs et rédacteurs cynégétiques. Pourtant, nombreux sont les chasseurs, même parmi les chevronnés, qui s'étonnent de voir filer un gibier qu'ils tenaient si bien, disent-ils, « au bout du fusil ». Trop bien, certes, car un gibier qui se trouve au bout du fusil au moment où le doigt presse la détente évite la charge, qui passe derrière, au-dessus ou au-dessous de lui. Sans parler du gibier de battue, perdreaux ou faisans, qui passent souvent à des vitesses incroyables, ou des sarcelles à la passée, qui filent comme des bolides, ou, mieux, de l'insaisissable bécassine ; le gibier qu'on lève devant soi se déplace à une allure qu’il accélère le plus possible afin de s'éloigner du danger qui le presse. Et point n'est besoin d'être licencié en balistique pour comprendre que, durant la seconde, la fraction de seconde même, que la charge de plomb met à franchir la distance existant entre le chasseur et le gibier, celui-ci s'est déplacé d'un écart d’autant plus grand que l'est la vitesse avec laquelle il s'enfuit. Il faut donc pointer son arme non pas là où se trouve le gibier, mais au point où il passera quand la charge y arrivera. De là la correction à effectuer qui varie avec la distance de tir, l'angle sous lequel fuit le but à atteindre et la direction qu’il prend : en avant quand il se déplace latéralement ou obliquement, au-dessous s'il descend ou vient vers le chasseur, au-dessus s'il monte. La plupart, d'ailleurs, des chasseurs le savent bien et agissent en conséquence ; mais c'est bien souvent que la correction, même par des chasseurs éprouvés, est insuffisante. Il est quelquefois étonnant de voir le résultat d'un tir que l'on croyait correct. Je me souviens, notamment, d'un jour où je tirai deux sarcelles croisant devant moi à portée moyenne et se suivant à 1m. 50 l’une de l'autre. Je tirai la première bien en avant, avec l'espoir de pouvoir, ensuite, doubler l'autre, quand toutes deux tombèrent à mon coup de fusil : mâle et femelle. Je ramassai mes deux oiseaux, mais constatai avec surprise que celui que j’avais tiré avait reçu un seul plomb, alors que l'autre en avait récolté une dizaine et s'était trouvé au centre de la gerbe ; il aurait donc fallu, pour atteindre en plein la première sarcelle, opérer une correction de deux mètres en avant environ. Ceci, qui paraîtrait exagéré si je n'en avais fait moi-même l’expérience, prouve combien nos corrections sont souvent, insuffisantes. Ceux qui ont assisté à des battues aux perdreaux savent combien est importante l’avance que l'on doit prendre sur des oiseaux lancés à une allure folle et nous arrivent parfois, avec vent arrière, à des vitesses de vingt-cinq ou trente mètres à la seconde ; et, ici encore, je me souviens d'une fois où, par suite d'une mise à l'épaule un peu trop brusque et d'une détente un peu douce, mon coup sur un perdreau lancé, venant à vingt mètres de hauteur, partit inopinément ; pourtant l'oiseau tomba broyé et alla s'empaler sur un cep de vigne : j'avais tiré, sans le vouloir, au moins quatre ou cinq mètres en avant ! Voilà deux exemples probants et qui devraient servir de recette à beaucoup d'entre nous.

Ceci vaut aussi bien pour le poil que pour la plume. Vous savez à quelle allure crochète le lapin pour regagner son trou et comment file le lièvre quand il déboule avec les chiens à ses trousses. Ici, cependant, la correction à effectuer est en général de moindre amplitude qu'avec perdreaux, sarcelles ou bécassines, car lapins et lièvres, se levant habituellement près du chasseur, sont tirés à portée moins grande. Encore faut-il, tout de même, ne « pas arriver trop tard ».

Ces deux principes : distance de tir raisonnable et correction, permettraient, si nous arrivions à avoir assez de maîtrise sur nous-mêmes pour n'y point déroger, à avoir des résultats que, seuls, quelques excellents tireurs ont le privilège d'obtenir, Et c'est ici, en terminant, que je dirai que ces principes doivent s'accommoder d'un minimum de sang-froid sans lequel le tir ne peut avoir de précision. Je sais bien que le lièvre qui vous part dans les jambes, le perdreau qui se lève à grand bruit ou le beau faisan qui élève, à travers les gaulis, sa silhouette que prolonge le long panache emplumé, que le colvert qui sort des roseaux à grand fracas en étirant son cou brillant sous le soleil d'hiver, la divine bécasse qui passe derrière un grand chêne ou sa cousine, l'éclair rapide du marais, jettent au cœur du chasseur, à leur départ, une profonde émotion. Tout de même, si l'on y réfléchissait bien, on verrait que l'on a, la plupart du temps, largement le temps de régler son tir avant que le gibier soit hors de portée. Passé le coup au cœur du départ, on devrait bien souvent regarder le but avec calme. Combien, alors, le résultat en bénéficierait ! Que les jeunes, surtout, veuillent bien essayer : ne tirer qu'à portée raisonnable, chercher le plus de précision possible dans la correction à faire et opérer avec calme et pondération ; que de victimes alors iront remplir leur carnier, au lieu de voir filer, après leurs deux coups tirés au petit bonheur, les belles pièces emplumées ou bourrues que recèlent nos plaines, nos bois et nos marais !

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 453