La place nous a manqué, le mois dernier, pour parler du
lapin dans les dunes. Sa chasse mérite un peu plus que deux mots en passant,
car, avec un chien d'arrêt ou un spaniel, elle est extrêmement amusante, et le
tir y prend une diversité plaisante et pas toujours commode.
Il y a dunes et dunes. Il en est de paisibles. D'autres sont
tourmentées. Nous ne nous occuperons que de celles-là, c'est-à-dire des
terrains plats où les bosses et les hauteurs se sont accumulées sous des formes
et des inclinaisons variées, en restant séparées par de petites plaines, de
minuscules clairières, des allées et d'étroites vallées herbues. Tout cela
irrégulièrement recouvert, sur le plat et dans le creux des vallonnements, de
la végétation spéciale aux dunes, tantôt haute, tantôt basse : bonne fille
par endroits, rude, serrée, enchevêtrée dans beaucoup d'autres.
Il n'est, bien entendu, pas question de dunes à furet comme il
y en a tant, trouées de terriers innombrables, que les lapins ne quittent pas
beaucoup tant que dure la lumière du jour. Quelle que soit la virtuosité très
particulière et très remarquable nécessitée par le tir du lapin sortant d'un
trou pour rentrer dans un autre, voisin de quelques centimètres, nous n'avons
pas à nous en soucier. Les chiens n'ayant rien à voir dans cette histoire, nous
devons la laisser de côté.
Les dunes dont nous voulons parler ne connaissent pas ces
cités souterraines. Elles se contentent d'un nombre suffisant de terriers,
raisonnablement peuplés. De quoi ne pas se déranger pour rien et tuer, les
jours fastes, une douzaine de lapins.
Sûr ce terrain laissé par la mer et modelé par le vent, la
compagnie d'un bon chien vous met au cœur le plaisir de la chasse et le plaisir
du tir. Un mauvais chien n'est pas un auxiliaire : c'est un complice dont
on paye cher la collusion, un complice d'autant plus incertain que ses
incartades, qui ne profitent à personne, s'adressent à des lapins détalant
presque toujours sur le ras. Et quel ras ! Tantôt ras comme un « court »
de tennis, tantôt montant et descendant selon la fantaisie de pentes jamais
pareilles.
Ces singularités du sol tiennent le tir en éveil. Il passe
du coup le plus facile au plus ardu : celui du lapin, cependant indiqué
par le chien, partant à vos pieds et grimpant de toute sa détente un monticule
très raide de quelques mètres de haut derrière l'extrémité duquel il disparaît
en ayant l'air de s'envoler. Lorsqu'il est gîté auprès du monticule et qu'une
courte distance vous sépare de cette trombe, on juge de quelle vitesse et de
quelle précision il faut user !
C'est un exercice que nous recommandons aux débutants et
même aux autres. Ils verront qu'il n'est plus de la même famille que celui du
furetage quand on a plusieurs heures de marche dans les jambes et deux ou trois
lapins sur le dos.
Nous donnons cet exemple parce qu'il est caractéristique et
particulier à ce lieu de chasse, mais il n'est pas le seul. Il serait
fastidieux d'insister. Nous avons simplement tenu à ne pas laisser dans l'ombre
les dunes parce qu'il n'entre pas beaucoup de routine dans les leçons de tir
qu'elles vous donnent.
Dans le numéro du mois de mai, ce que nous avons dit au
sujet du gibier à plume accidentel ne s'adressait qu'aux migrateurs :
cailles, râles, canepetières. Faute de place, nous n'avons pu parler du faisan,
qui, tout en étant sédentaire et parure des bois, n'en possède pas moins des
goûts d'explorateur et un penchant pour la plaine auquel les préoccupations
gastronomiques ne sont pas étrangères. L'y rencontrer n'est pas rare dans les
régions qu'il habite volontiers. Et son tir à découvert ne semble pas réclamer
de finesses particulières.
Alors, pourquoi, dans des occasions magnifiques, arrive-t-il
de le manquer, ou de l'avoir manqué au moins une fois dans sa vie ?
Justement parce que l'occasion est trop belle. La cible est si volumineuse, à
si belle portée, qu'on la voit, d'avance, brisée par les atteintes. Elle est si
tentante, si réputée que, d'autre part, on ne veut à aucun prix la laisser s'en
aller. Affaire de tempérament comme on le sait, aboutissant exactement au même
résultat négatif, absolument du même ordre que le manque ou l'excès de vitesse
d'un coup de fusil, tous les deux responsables de la dispersion. La réaction
est automatique : le faisan est manqué du premier coup et bien souvent du
second, mal disposé par le désappointement où vous plonge la réalité.
La faute archiconnue et justement rabâchée du plus grand
nombre est de tirer dessous. Par malheur, en être averti et s'en corriger font
deux ! Les résolutions de ce genre ne valent pas deux sous, pour certains,
devant la pratique impitoyable.
Il semble donc qu'avec un oiseau montant toujours comme le
faisan le tir en plein soit le plus opportun. Lorsqu'on le possède bien, et
c'est indispensable, il s'opère dans une sorte d'automatisme détruisant le fignolage
et la précipitation, aussi néfastes l'un que l'autre. Tirer un faisan sans le
couvrir, ou en gardant l'impression qu'on ne le couvre pas, devient une source
de joie comme tout ce qui paraît vous conserver vos aises, en restant effectif.
La possibilité de ne rien perdre de son style personnel en
l'employant est un des côtés les plus intéressants de cette méthode de tir,
dont la plupart des chasseurs n'ont, en général, jamais entendu parler. Nous nous
efforcerons de combler cette lacune à mesure que les occasions s'en
présenteront,
Aujourd'hui, nous nous contenterons d'indiquer un détail
précisé dans ses directives, détail qui ne lui appartient pas spécifiquement et
dont tous ceux qui tirent les deux yeux ouverts peuvent faire leur profit.
Il s'agit de la position de la main qui dirige les canons — la
gauche généralement, — ou plutôt des doigts de cette main.
L'index s'allonge comme il sied entre les deux tubes ; et
le médius avec l'annulaire d'un côté et le pouce de l'autre doivent maintenir
les canons sans les entourer. C'est, en somme, la position classique connue de
tous. Il est donc indispensable d'ajouter qu'au lieu de forcer le pouce à
s'abaisser il faut, au contraire, le laisser le plus droit possible afin de
faire un peu saillie, ou tout au moins d'être visible. Et cela pour une raison,
qui n'a rien à voir avec une subjectivité maladive, car cette élévation du
pouce a pour but, selon une expression dont la paternité ne nous appartient
pas, « de couper les troubles susceptibles de gêner l'œil gauche ».
Il n'est question, cela tombe sous le sens, que d'un œil
gauche en fonction normale, c'est-à-dire non directeur, œil désœuvré pendant la
rapide besogne de l'œil droit, son chef, et toujours tenté de se laisser
distraire et d’annuler ainsi, selon les lois implacables de la vision
alternante, tous les avantages de la visée binoculaire.
On ne peut, en effet, voir à la fois, en les regardant des
deux yeux, un objet placé à une distance rapprochée et un autre placé sur le
même plan, sensiblement plus éloigné. Par conséquent les deux yeux situent
ensemble la pièce dans l'espace ; mais, dès que le fusil est épaulé, l'œil
directeur commande seul — le droit presque toujours. Si l'autre, pendant
ce temps, est distrait par une image différente qui le frappe, à laquelle
l'esprit prête attention, l'œil ne peut plus fixer nettement l'objectif
essentiel qu'il avait choisi.
Tel est, très succinctement résumé, le principe de la vision
alternante.
En un mot, pendant l'action du tir, la volonté doit boucher
moralement si l'on peut dire, l'œil qui n'est pas directeur.
Le tir d'un oiseau filant droit, en lui-même très facile
puisqu'il suffit, lorsque cet oiseau monte, de ne pas tirer bas, ne s'excuse
auprès d'un vrai chasseur qu'en ne blessant jamais. Ce tir rend d'ailleurs grand
service au tireur, en ce sens qu'il lui permet de mesurer la valeur de son
armement. Rien ne prouve mieux qu'un fusil « vous va bien » que de
ramasser son gibier, parti dans les conditions indiquées, avec, en plus des
atteintes mortelles, les deux ailes cassées à chaque fois.
Lorsqu'un fusil s'acquitte régulièrement de cette
besogne-là, on peut dormir tranquille. Dans le cas contraire, il faut ouvrir
l'œil ; mais, quoi qu'on fasse, celui qu'on écarquille est bien rarement
le bon !
Raymond DUEZ.
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