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Tribune libre

Réorganisation de la chasse

Du volumineux courrier reçu, et que nous nous excusons de ne pouvoir publier en entier, faute de place, nous extrayons aujourd'hui les passages les plus caractéristiques d'un certain nombre de lettres.

Voici d'abord un abonné lyonnais, M. Jannot, partisan de la limitation des jours de chasse :

« Je pense, dit-il, que, dans l'état actuel de notre cheptel gibier, il importe de limiter au maximum les jours de chasse. Deux jours par semaine, si l'on veut, et même je pense qu'un seul jour hebdomadaire serait bien suffisant.

» Pour que la chasse demeure un plaisir, il est indispensable que nous fassions des sacrifices et sachions nous rédimer. C'est justement parce que le nombre des porteurs de fusils s'est accru dans les proportions que l'on sait qu'il importe de laisser quelque répit à un gibier traqué à outrance à longueur de journée. Sans quoi, poursuivi sans trêve ni merci, il finira par déserter un canton où il ne trouve plus la sécurité nécessaire à son repos et à sa nourriture et, s'il en a la possibilité avant sa destruction totale, il émigrera bientôt sur des terres voisines plus hospitalières.

» D'ailleurs, entre nous, bien peu nombreux sont ceux qui, en ce siècle, peuvent avoir le loisir de chasser plusieurs jours par semaine ; je veux parler des chasseurs citadins, bien entendu. J'appartiens à une société de chasse où le règlement autorise le droit de chasse deux jours par semaine, soit le dimanche et le jeudi. Or notre petite société est composée d'une dizaine d'actionnaires appartenant aux professions les plus diverses, dont certaines dites libérales. Eh bien ! pendant toute la dernière saison de chasse, aucun d'entre nous n'a eu la possibilité de venir chasser autrement que le seul dimanche, et ce n'était pourtant pas l'envie qui nous en manquait. C'est ainsi que seuls les fermiers auxquels la nouvelle loi accorde le droit de chasse sur les terres que nous louons ont pu profiter des deux jours autorisés par le règlement.

» Quant à l'efficacité des réserves, permettez-moi de vous dire que je n'y crois guère, ayant pu juger par expérience que, le plus souvent, leur faible étendue les rend illusoires.

» Non, liberté totale et gibier abondant ne peuvent aller de pair, et bon gré mal gré il faudra de plus en plus savoir se restreindre si l'on veut en goûter toujours le plaisir. »

M. Le Son, de Guingamp, préconise une ouverture retardée :

« Autrefois, il y avait beaucoup moins de chasseurs, beaucoup moins bien équipés. Les chances de survie du gibier étaient à peu près égales à celles qu'avait le chasseur de tuer. Aujourd'hui il n'en est plus ainsi, il s'agit donc de tenter de rétablir l'équilibre.

Thème { a. Donner plus de chances au gibier ;
{ b. En donner moins au chasseur.
Solution { a. Ouverture générale de la chasse le 1er novembre partout ;
{ b. Fermeture générale de la chasse fin février partout.

» Les cailles, tourterelles, qui disparaissent fin septembre, ne sont pas assez nombreuses pour retenir l'attention.

» Avantages de l'idée préconisée :

    » 1° Tout gibier est adulte à l'ouverture ;

    » 2° L'absence de couvert (betteraves, navets, trèfle, pommes de terre, etc.) le rend plus méfiant. Il se laisse difficilement aborder ;

    » 3° Les jours sont beaucoup plus courts, d'où temps de chasse diminué ;

    » 4° Les mauvais jours empêchent les sorties, complétant les avantages ci-dessus ;

    » 5° Les perdrix ne se font plus décimer à terre, groupées au soleil au coin d'un champ ;

    » 6° Il n'y a plus à se casser la tête pour respecter les différentes dates de fermeture pour gibier différent ;

    » 7° On pourrait enfin pratiquer la chasse au gibier de passage, chasses des plus sportive : bécasses, vanneaux, pluviers, ramiers, grives, etc., ce qui, en Bretagne tout au moins, nous est pratiquement interdit depuis le 8 janvier, c'est-à-dire pendant la meilleure époque ;

    » 8° Les simili-bracos, ceux qui ne chassent que pour en tirer profit, en seraient vite découragés.

» Tout cela implique naturellement, de la part des gardes, une surveillance accrue pendant août-septembre et octobre,

» On peut aussi rétorquer qu'on perd, avec une ouverture aussi tardive, le côté poétique des chasses d'automne : feuillage doré des peupliers, roux ardent des châtaigniers, mais de cela on peut s'en gaver sans fusil, tandis que le principal, pour un chasseur, est de trouver quelque gibier au cours de ses randonnées. »

Terminons enfin sur les réflexions de la disparition du chevreuil :

« J'ai remarqué avec stupeur que le chevreuil, qui abondait dans nos bois de France, était en voie de disparition. Cet état de choses est dû à plusieurs facteurs, dont le plus important est le braconnage qu'a facilité la guerre ... Il existe cependant un moyen très efficace pour protéger ces gentilles bêtes et faciliter leur multiplication.

» Étant chasseur, j'ai été appelé à organiser et diriger une société de chasse en zone d'occupation ; j'ai pu me documenter auprès des gardes-chasses allemands sur les règlements de chasse ; ceux-ci sont conçus d'une façon parfaite, à mon avis, pour assurer le maintien du chevreuil :

    » 1° Ouverture du brocard le 15 mai, fermeture 15 octobre ;

    » 2° Interdiction de tirer les brocards de moins de cinq ans ;

    » 3° Interdiction de tirer à un autre endroit qu'en région du cœur et poumons ;

    » 4° Interdiction de tirer plomb ou chevrotines ; seule la balle est autorisée ;

    » 5° Interdiction de tirer les chevrettes ;

    » 6° Interdiction absolue de tirer les brocards en battue ;

    » 7° Le nombre de chevreuils à tirer par une société sera limité de 1 à 10 pour un an ;

    » 8° Le chevreuil tiré sera obligatoirement visité par le président ou garde de la société de chasse, qui se rendra compte si la blessure est digne d'un disciple de Saint-Hubert et qui prendra des mesures disciplinaires si la bête a été assassinée.

De cette façon — et, croyez-moi, c'est la seule, — les chevreuils pourront à nouveau prendre leurs ébats, se repeupler et agrémenter nos chasses comme avant la guerre, et plus encore ; néanmoins, les gardes ne resteront pas inactifs, en matière de contre-braconnage, et tout ira bien. »

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 460