Accueil  > Années 1950  > N°642 Août 1950  > Page 480 Tous droits réservés

La querelle des tapis de sol

Tapis de sol cousu, tapis de sol indépendant ? Telle est la question qui m'a été posée dernièrement par un lecteur. Question nouvelle ? Oh non ! et je me demande même si mon correspondant n'a pas intentionnellement posé cette question pour raviver la querelle, d'ailleurs bien amicale, qui oppose, depuis l'apparition des tapis de sol cousus, les partisans de ce système et ceux qui préfèrent le tapis de sol indépendant.

Je n'ai pas la prétention de régler la question, et je suis sûr qu'après avoir lu mon article chacun couchera sur ses positions ... et sur son tapis de sol ... cousu ou non !

Mais, puisqu'on a bien voulu me demander mon avis, c'est avec plaisir que je le fais, étant bien entendu que j'exprime mon opinion personnelle, mais que j'admets très bien que l'on soit d'un avis contraire.

À l'apparition des tapis de sol cousus — car ces derniers sont beaucoup plus récents que les autres, — ce fut, de la part des campeuses principalement, un engouement très vif. « Bravo ! dirent-elles, voilà la meilleure solution pour éviter les fourmis et autres petites bêtes ... Quelle impression de confort ! Et puis on est plus sûr, en cas d'orage, de n'avoir pas sa tente inondée ! »

« Bravo ! dirent les campeurs, la tente est bien plus vite montée : on fixe les coins du tapis de sol, on met le mât. Il n'y a plus qu'à fixer les tendeurs, et la tente est prête. Quelle économie de temps ! »

Je dois vous dire que moi-même qui, depuis des années, avais des tapis de sol indépendants, j'ai examiné la nouveauté avec intérêt ; j'ai même essayé une tente ainsi équipée. Je n'ai pas été convaincu ...

Pour moi, il n'est qu'un cas où le tapis de sol cousu présente un avantage certain ; c'est celui du camping sur neige, et encore à condition d'avoir un tapis de sol en cuvette. J'ajouterai même que, bien avant qu'on lance le tapis de sol cousu sur les tentes ordinaires, les tentes spéciales pour neige en possédaient. J'ai campé sous une tente semblable dès 1930.

Dans tous les autres cas, j'ai été et je demeure un partisan du tapis de sol indépendant.

Le principal inconvénient du cousu réside dans le fait qu'on est obligé de plier sa tente à l'intérieur du tapis de sol.

Or, lorsqu'il pleut, le tissu mouillé de la tente vient au contact de la partie sèche du tapis de sol. Le soir, à l'étape suivante, la tente et la partie sur laquelle vous allez vous coucher est humide, sinon trempée. Je ne connais pas de remède à cela.

Prenons, d'autre part, le cas d'un temps pluvieux, et cela ne manque pas en France. Il fait frais. Combien il est agréable alors de faire la popote sous la tente. Une douce chaleur s'y répand qui, avec l'odeur de la soupe qui mijote, vient composer une atmosphère infiniment sympathique, mais gare au tapis de sol ! Aucun réchaud ne l'aime, et tous s'acharnent à le brûler, à le dessécher ou à le roussir ... de plus, un faux mouvement peut faire renverser la marmite et c'est la catastrophe. Le tapis de sol indépendant permet d'éviter cet accident. Il suffira de le dépiqueter près de la porte d'entrée, et aussitôt un rectangle d'herbe apparaît, qui permet de ne plus rien risquer.

Prenons, au contraire, le cas d'un temps chaud tel que l'on en rencontre tant l'été dans la région méditerranéenne ; vous savez, chers amis campeurs, ce que c'est que la chaleur sous une tente, en plein soleil ! Une petite fournaise ! à tel point que, le soir, la chaleur reste sous la tente et que l'on y passe des nuits étouffantes.

Avec le tapis cousu, aucun remède ! Cuisez dans votre jus ! sans rien dire ... Mais, si vous avez une canadienne à tapis de sol indépendant, sans rien démonter, enlevez les piquets et relevez les murs en les attachant aux petites embrasses ad hoc et, malgré la chaleur, vous établirez sous la tente un courant d'air qui renouvellera l'air en de telles proportions que vous pourrez même, en certains cas, utiliser votre tente pour la sieste de l'après-midi.

Autre question : dans le cas d'un camp fixe de plusieurs jours, il est recommandé, si l'on tient à soigner son tapis de sol, de retirer ce dernier de temps en temps, tous les trois ou quatre jours par exemple, pour le faire sécher au soleil.

Cela est possible s'il est indépendant, impossible, à moins de démonter entièrement la tente, s'il est cousu.

Un dernier argument des amateurs du tapis cousu : dans le cas d'un gros orage, si l'eau ruisselle sur le terrain, ce dernier présente une sécurité plus grande. Peut-être. Cependant, au Rallye international de Stresa, en 1938, il a fait, une nuit, un orage mémorable ... des cataractes tombèrent sur le camp pendant une heure. Des campeurs durent évacuer leurs tentes ... Dans la mienne, mon fils, âgé de cinq mois, dormait à poings fermés. Sous le tapis de sol « indépendant », l'eau passait et s'écoulait de l'autre côté. Aucune trace d'eau ne pénétra à l'intérieur ... alors ?

Il est vrai que mon tapis avait été soigneusement monté, recouvrant parfaitement la toile à pourrir.

Voilà les quelques raisons qui me font préférer l' « indépendant » au « cousu ». Les avantages de ce dernier me paraissent maigres à côté des inconvénients, mais, comme je l'ai déjà dit, je sais que je ne convaincrai pas tout le monde ...

C'est là, d'ailleurs, une tâche impossible.

J.-J. BOUSQUET,

Président du Camping-Club de France.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 480