Tapis de sol cousu, tapis de sol indépendant ? Telle
est la question qui m'a été posée dernièrement par un lecteur. Question
nouvelle ? Oh non ! et je me demande même si mon correspondant n'a
pas intentionnellement posé cette question pour raviver la querelle, d'ailleurs
bien amicale, qui oppose, depuis l'apparition des tapis de sol cousus, les
partisans de ce système et ceux qui préfèrent le tapis de sol indépendant.
Je n'ai pas la prétention de régler la question, et je suis
sûr qu'après avoir lu mon article chacun couchera sur ses positions ... et
sur son tapis de sol ... cousu ou non !
Mais, puisqu'on a bien voulu me demander mon avis, c'est
avec plaisir que je le fais, étant bien entendu que j'exprime mon opinion
personnelle, mais que j'admets très bien que l'on soit d'un avis contraire.
À l'apparition des tapis de sol cousus — car ces
derniers sont beaucoup plus récents que les autres, — ce fut, de la part
des campeuses principalement, un engouement très vif. « Bravo ! dirent-elles,
voilà la meilleure solution pour éviter les fourmis et autres petites bêtes ...
Quelle impression de confort ! Et puis on est plus sûr, en cas d'orage, de
n'avoir pas sa tente inondée ! »
« Bravo ! dirent les campeurs, la tente est bien
plus vite montée : on fixe les coins du tapis de sol, on met le mât. Il
n'y a plus qu'à fixer les tendeurs, et la tente est prête. Quelle économie de
temps ! »
Je dois vous dire que moi-même qui, depuis des années, avais
des tapis de sol indépendants, j'ai examiné la nouveauté avec intérêt ;
j'ai même essayé une tente ainsi équipée. Je n'ai pas été convaincu ...
Pour moi, il n'est qu'un cas où le tapis de sol cousu
présente un avantage certain ; c'est celui du camping sur neige, et encore
à condition d'avoir un tapis de sol en cuvette. J'ajouterai même que, bien
avant qu'on lance le tapis de sol cousu sur les tentes ordinaires, les tentes
spéciales pour neige en possédaient. J'ai campé sous une tente semblable dès
1930.
Dans tous les autres cas, j'ai été et je demeure un partisan
du tapis de sol indépendant.
Le principal inconvénient du cousu réside dans le fait qu'on
est obligé de plier sa tente à l'intérieur du tapis de sol.
Or, lorsqu'il pleut, le tissu mouillé de la tente vient au
contact de la partie sèche du tapis de sol. Le soir, à l'étape suivante, la
tente et la partie sur laquelle vous allez vous coucher est humide, sinon
trempée. Je ne connais pas de remède à cela.
Prenons, d'autre part, le cas d'un temps pluvieux, et cela
ne manque pas en France. Il fait frais. Combien il est agréable alors de faire
la popote sous la tente. Une douce chaleur s'y répand qui, avec l'odeur de la
soupe qui mijote, vient composer une atmosphère infiniment sympathique, mais
gare au tapis de sol ! Aucun réchaud ne l'aime, et tous s'acharnent à le
brûler, à le dessécher ou à le roussir ... de plus, un faux mouvement peut
faire renverser la marmite et c'est la catastrophe. Le tapis de sol indépendant
permet d'éviter cet accident. Il suffira de le dépiqueter près de la porte
d'entrée, et aussitôt un rectangle d'herbe apparaît, qui permet de ne plus rien
risquer.
Prenons, au contraire, le cas d'un temps chaud tel que l'on
en rencontre tant l'été dans la région méditerranéenne ; vous savez, chers
amis campeurs, ce que c'est que la chaleur sous une tente, en plein soleil !
Une petite fournaise ! à tel point que, le soir, la chaleur reste sous la
tente et que l'on y passe des nuits étouffantes.
Avec le tapis cousu, aucun remède ! Cuisez dans votre
jus ! sans rien dire ... Mais, si vous avez une canadienne à tapis de
sol indépendant, sans rien démonter, enlevez les piquets et relevez les murs en
les attachant aux petites embrasses ad hoc et, malgré la chaleur, vous
établirez sous la tente un courant d'air qui renouvellera l'air en de telles
proportions que vous pourrez même, en certains cas, utiliser votre tente pour
la sieste de l'après-midi.
Autre question : dans le cas d'un camp fixe de
plusieurs jours, il est recommandé, si l'on tient à soigner son tapis de sol,
de retirer ce dernier de temps en temps, tous les trois ou quatre jours par
exemple, pour le faire sécher au soleil.
Cela est possible s'il est indépendant, impossible, à moins
de démonter entièrement la tente, s'il est cousu.
Un dernier argument des amateurs du tapis cousu : dans
le cas d'un gros orage, si l'eau ruisselle sur le terrain, ce dernier présente
une sécurité plus grande. Peut-être. Cependant, au Rallye international de
Stresa, en 1938, il a fait, une nuit, un orage mémorable ... des
cataractes tombèrent sur le camp pendant une heure. Des campeurs durent évacuer
leurs tentes ... Dans la mienne, mon fils, âgé de cinq mois, dormait à
poings fermés. Sous le tapis de sol « indépendant », l'eau passait et
s'écoulait de l'autre côté. Aucune trace d'eau ne pénétra à l'intérieur ...
alors ?
Il est vrai que mon tapis avait été soigneusement monté,
recouvrant parfaitement la toile à pourrir.
Voilà les quelques raisons qui me font préférer l' « indépendant »
au « cousu ». Les avantages de ce dernier me paraissent maigres à
côté des inconvénients, mais, comme je l'ai déjà dit, je sais que je ne
convaincrai pas tout le monde ...
C'est là, d'ailleurs, une tâche impossible.
J.-J. BOUSQUET,
Président du Camping-Club de France.
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