Il est de bon ton, en France, dans le grand public, de
se gausser des prévisions météorologiques et de tourner en dérision les
statistiques. Le plus souvent, il faut y voir une méconnaissance des données du
problème et un jugement superficiel fondé sur des conclusions hâtives.
La météorologie n'est autre qu'une branche de la très
rigoureuse science astronomique et elle fait appel aux données très savantes
des modes de calculs dont le seul nom fait frémir le profane : calcul
vectoriel, calcul matriciel, calcul tensoriel, etc.
En tout cas, en janvier 1948 et à Pâques 1949, l'Office
national météorologique a acquis des droits bien réels à la confiance du public
en général et des agriculteurs en particulier.
Pour la première fois dans le monde, on a expérimenté des
méthodes pour provoquer à volonté la bienfaisante pluie, propre à donner la vie
aux récoltes en périodes de sécheresse et à remplir les barrages de montagne
alimentant les centrales hydroélectriques.
En janvier 1948, la météorologiste Eyraud, nouveau
bienfaiteur de l'humanité, a provoqué à Melun et à Meaux des chutes de pluies
qu'en termes savants on nomme des précipitations de condensations aqueuses. La
réalisation fut plus qu'expérimentale : elle couvrit 190 hectares et le
volume d'eau précipitée dépassait le milliard et demi de mètres cubes.
La pluie fut obtenue en saupoudrant de 20 kilos de neige
carbonique des nuages dits « cumulo-nimbus » sur une longueur de
2.000 mètres, une largeur de 1.000 et une épaisseur de 800.
Si la réalisation est française, l'origine des travaux
appartient au savant suédois Bergeron, qui a minutieusement étudié, dès 1933,
le mécanisme de la formation des pluies et de leurs chutes.
À Pâques 1949, le directeur de l'observatoire du Puy de
Dôme, à son tour, a déclenché artificiellement la pluie par le lancement, au
sein d'un nuage, de fusées dont la tête portait un pétard explosif. Dix à
trente minutes après l'explosion, il y eut chute de bruine. Cette dernière
expérience est en voie d'application et de perfectionnement, aux fins de
liquéfaction à l'avance, et selon la volonté humaine, de nuages orageux en
ascension rapide.
Hubert Garrigues effectua sa découverte en tirant des
déductions d'une observation industrielle. En effet, l'Électricité de France
avait disposé des nappes de câbles électriques au sommet du Puy de Dôme, pour
rechercher les conséquences du givrage sur ces conducteurs et étudier les
effets mécaniques des surcharges que la glace déposée provoque. Il remarqua
qu'au passage d'un nuage baignant ce sommet, et sous l'effet du vent, il y
avait des pluies abondantes. Il en déduisit que les tourbillons aériens au
milieu de la masse nuageuse provoquaient sa condensation et se traduisaient par
une pluie.
Tout autre est la solution « physico-chimique »
d'Eyraud. Ses possibilités futures en sont immenses, mais aussi terribles. Du
point de vue militaire, en cas de conflit, elles permettent de transformer en
déserts stériles ou en steppes infertiles d'immenses régions jusque-là
prospères, et, inversement, de noyer certaines autres. Il suffit, pour
comprendre ces perspectives, de se rappeler que les nuages se forment par
évaporation au-dessus des océans, puis sont poussés par les vents réguliers,
guidés par la structure physique de la surface du globe, et finalement viennent,
suivant les époques, crever et arroser certaines régions en leur donnant la
fertilité nécessaire aux récoltes.
Par les soins de l'aviation militaire, on peut voir la
possibilité de condensations volontaires totales en certains lieux, inondant
littéralement des villes ou des vallées par pluies pléthoriques. Ces eaux
n'étant plus disponibles pour les zones plus lointaines, ce serait la
sécheresse et la stérilisation immédiate, avec son cortège de famine intégrale.
La direction de la pluie devient ainsi une arme beaucoup plus redoutable que la
bombe atomique ou l'ensemencement bactériologique des cités.
Il faut faire confiance en la sagesse des hommes pour croire
à leurs seules applications bénéfiques. Ce furent en tout cas les seuls buts
des chercheurs.
Trois procédés sont actuellement connus et pratiqués pour
provoquer la pluie, mais leur point de départ est commun. Il consiste à
augmenter le refroidissement d'un point de nuage pour faire cesser l'équilibre
instable des très fines particules d'eau qui le composent. De point en point,
il y a alors condensation « en chaîne » avec accélération de plus en
plus rapide du processus.
Tout revient alors au mode d'abaissement de température du
point de base. Eyraud a employé la neige carbonique, mais depuis on a utilisé
l'iodure d'argent et même l'eau naturelle.
Pour comprendre le processus des pluies provoquées, il
suffit d'étudier la structure météorologique des nuages générateurs de pluies.
Dans les régions tempérées, on a surtout des cumulo-nimbus.
Inversement, dans les régions tropicales, les nuages à pluies ont toutes leurs
parties, même les plus élevées en altitude, à une température supérieure au
zéro degré.
En tous temps pour les tropiques, en été pour les régions
tempérées, la stabilité relative des particules d'eau de composition des nuages
est provoquée par les charges électroniques qu'elles portent. Il y a, comme
conséquence, répulsion entre lesdites particules et impossibilité d'union se
traduisant par des condensations. Seuls l'éclair ou la foudre peuvent rompre
cet équilibre électrostatique, et alors « le nuage crève en pluie ».
Il existe toujours une différence de température, dans un
nuage, entre ses parties supérieure et inférieure. La brusque rupture de
l'équilibre électrostatique provoque des mouvements moléculaires : les
plus fines gouttelettes s'évaporent et tombent, à l'état de vapeur d'eau, sur
les plus grosses. Elles s'y condensent, provoquent un accroissement de masse et
de volume qui, à son tour, provoque la pluie.
La différence de température est de 6°,5 par millier de
mètres d'élévation. Or le sommet des cumulo-nimbus est souvent à 36° au-dessous
de zéro à une altitude de 6.000 mètres, pendant que leur partie base peut être
à zéro, suivant la température terrestre conditionnée par la saison.
L'expérience démontre qu'il faut abaisser brusquement le
point de condensation choisi à - 80° s'il s'agît de cristaux neigeux et
- 180° s'il s'agit de particules aqueuses.
On peut, du reste, provoquer également la neige en créant
artificiellement une amorce de glace. Le changement est toujours instantané
— comme pour la pluie — et affecte la totalité de la masse du nuage.
Le processus reste toujours le même : création brusque d'une zone
notablement plus froide que l'ambiance et élévation verticale de cet ensemble.
Dans la vie courante, un phénomène analogue n'est autre que
la buée se condensant, à l'intérieur d'un logis, sur les vitres jusqu'à
ruisseler.
Janine CACCIAGUERRA et A. DE GORSSE.
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