Il est peu d'activités qui aient inspiré à l'esprit humain
autant d'appréhension que la navigation dans les airs.
Il est peu de domaines également où le souci de la sécurité
se traduise par un plus grand nombre de mesures de contrôle et de règles
imposées. De multiples organismes ont pour seul rôle d'étudier et d'imposer ces
mesures de sécurité. Des milliers d'hommes travaillent à travers le monde dans
les bureaux d'études des constructeurs ou dans les laboratoires officiels à
perfectionner sans cesse la technique aéronautique.
Les règles de sécurité s'appliquent d'abord à la conception
du matériel volant, ensuite à l'usage qui en est fait.
Essais statiques.
— Au premier stade, celui de la conception, les
contrôles sont déjà multiples : calculs et essais en soufflerie sur
maquettes font la preuve que le futur avion répondra aux performances exigées.
Tout au long de la construction, chaque pièce et chaque
assemblage seront essayés dans des conditions bien plus sévères que celles de
la pratique journalière.
Aux garanties de résistance fournies par la qualité des
matériaux employés et la structure des éléments assemblés s'ajoute la sécurité
de fonctionnement due à la présence en deux ou plusieurs exemplaires d'un
certain nombre d'organes vitaux. Déjà la mise en service d'appareils multimoteurs
capables de décoller avec un moteur arrêté et de voler avec un moteur sur deux
ou deux moteurs sur quatre a marqué un progrès considérable dans la sécurité
aérienne. En outre, la présence de deux bougies par cylindre, de deux
carburateurs par moteur, la répétition d'un certain nombre d'instruments de
bord, la multiplication des appareils de T. S. F., si elles répondent
le plus souvent à un souci de meilleur rendement ou de plus grande commodité,
constituent accessoirement des sécurités qui sont loin d'être négligeables.
L'appareil une fois terminé fait l'objet d'une série
d'essais statiques destinés à confirmer les résultats partiels des contrôles
déjà effectués et à fournir la preuve que l'avion résistera — et au-delà —à
tous les efforts même exceptionnels qui pourront lui être demandés.
Vols d'essai.
— Aussi est-ce avec confiance que peuvent être
entrepris les vols d'essai organisés par le constructeur. Une fois de plus, on
s'assurera non seulement que l'appareil se comporte d'une façon satisfaisante
dans toutes les phases d'une utilisation normale et répond aux performances
escomptées, mais encore qu'il résiste parfaitement à des épreuves telles qu'il
n'en rencontrera plus jamais au cours de sa carrière sur une ligne commerciale.
Si satisfaisants que soient les résultats des essais du
constructeur, les pouvoirs publics exigent néanmoins une nouvelle série
d'épreuves sous leur contrôle avant d'autoriser la construction en série d'un
appareil prototype.
Il est à noter à ce propos que la réglementation précisant
les conditions de sécurité à remplir par un appareil de transport public, si
elle fait l'objet d'une législation aussi précise que rigoureuse dans chaque
pays, dépasse maintenant le cadre national et fait l'objet d'une codification
internationale édictée par l'O. A. C. I. (Organisation de
l'aviation civile internationale). Cet organisme, qui groupe les résultats des
études et des expériences entreprises dans chaque pays, est en effet
parfaitement qualifié pour déterminer les normes de sécurité qui devront être
imposées aux appareils de transport public. Bien qu'elles n'aient par
elles-mêmes aucun caractère obligatoire, tout au moins dans la période
actuelle, les recommandations de l'O. A. C. I. permettent aux
différents États membres d'accorder leur législation avec les plus récents
résultats d'une expérience mondiale.
Contrôle Véritas.
— Le contrôle des pouvoirs publics ne se limite pas à
l'homologation d'un prototype. Chaque appareil de la série doit recevoir un
certificat de navigabilité établi en France par le bureau Véritas, vaste
organisation à laquelle l'État a délégué la mission de vérifier la parfaite
condition des appareils, aussi bien à leur sortie d'usine qu'au cours de leur
exploitation. Cet organisme a tous pouvoirs pour interdire le vol d'un appareil
ne possédant pas ou ayant cessé de présenter les garanties requises pour une
sécurité absolue.
Entretien minutieux.
— Les utilisateurs — c'est-à-dire les compagnies
aériennes lorsqu'il s'agit de transports publics — ne se reposent pas sur
le contrôle, si vigilant soit-il, du bureau Véritas. Leur intérêt est de
maintenir le matériel à l'état de neuf, aussi bien pour des raisons de simple
sécurité que pour des motifs évidents de régularité dans l'exploitation,
condition essentielle de la rentabilité. Aussi l'entretien des appareils est-il
l'une des activités maîtresses de toute entreprise de transport aérien. Des
moyens puissants en hommes et en matériel lui sont consacrés. Une organisation
méthodique et rigoureuse en règle tes moindres détails.
Je ne citerai pour exemple que le cycle des visites
périodiques imposées à tout appareil en service à Air France : point fixe
avant chaque départ, visite de bout de ligne au terminus, puis visites au bout
de 125, 250, 500 heures de vol, chacune plus détaillée que les précédentes.
Enfin révision de 1.200 heures qui équivaut à une refonte complète de
l'appareil, des capots d'hélices aux feux de position arrière.
Ces précautions peuvent sembler superflues lorsqu'on connaît
les garanties dont s'est entouré le constructeur pour parer à toute éventualité
de panne ou d'incident. Cependant les compagnies estiment que ce n'est pas
faire injure à la mécanique que la soumettre à des examens aussi fréquents.
Quelles que soient les ressources d'une machine, il convient de l'utiliser dans
les meilleures conditions de fonctionnement, ne serait-ce que pour en tirer le
meilleur parti.
Metéorologie.
— Ayant pris toutes les assurances du côté du matériel,
l'exploitant doit songer à deux autres facteurs possibles d'accidents :
conditions météorologiques exceptionnellement défavorables ou défaillance du
personnel.
Des dangers de l'atmosphère, il est permis aujourd'hui de ne
parler que pour mémoire. En effet, les progrès de la technique aéronautique
joints à ceux de la météorologie et des transmissions permettent aujourd'hui de
les éviter systématiquement. La vitesse des avions modernes et leur altitude
d'utilisation autorisent les équipages à contourner ou à survoler les
perturbations dangereuses. En outre, les postes d'observation météorologiques
sont maintenant assez nombreux à la surface du globe et dotés de moyens d’observations
et de transmissions tels que non seulement les commandants de bord peuvent
connaître avant le départ la situation météorologique exacte sur l'itinéraire
qu'ils entreprennent — avec tous les déroutements possibles, — mais
encore sont tenus au courant tout au long du voyage des modifications qui ont
pu survenir depuis leur départ. Il n'y a donc plus de surprises possibles de la
part des éléments, et les déchaînements du « pot au noir » et autres
paysages dantesques sont désormais ignorés du voyageur.
Personnel d’élite.
— Dernier maillon de la chaîne de sécurité, le contrôle
de l'homme sur la machine reste peut-être le point le plus délicat du système,
celui pour lequel il n'existe pas de remède automatique, de solution unique et
absolue. Aussi depuis longtemps s'est-on préoccupé de sélectionner des êtres
véritablement exceptionnels pour là conduite de machines chaque jour plus
énormes et plus rapides, et de prévenir par des moyens mécaniques toutes les
défaillances susceptibles de se produire.
Dans le domaine de la sélection, il est peu d'emplois qui
exigent autant de qualités chez un même individu. Les candidats navigants
doivent satisfaire :
— à des examens médicaux périodiques sévères exigeant
une condition physique exceptionnelle ;
— à des épreuves techniques sanctionnant des
connaissances professionnelles approfondies, une parfaite maîtrise dans la
spécialité choisie et une discipline rigoureuse dans l'observation des
règlements de la circulation aérienne.
Outre un stage initial de plusieurs mois au cours duquel
s'effectue une sélection impitoyable, et qui a pour objet de donner aux futurs
officiers navigants les compléments de formation technique indispensables, des
cours de perfectionnement sont organisés pour tous les navigants en activité,
fussent-ils bi ou tri millionnaires de kilomètres.
Les conditions de travail des équipages sont l'objet d'un
souci constant de la part des compagnies. La fatigue étant le principal facteur
de défaillance, toutes les précautions sont prises pour ne pas surmener des
hommes qui doivent rester en possession de toutes leurs facultés. Sur les
grands itinéraires, les équipages sont doublés ou bien des relais sont
organisés en cours de route, et le nombre d'heures de vol effectué par chacun
dans le cours d'un mois est rigoureusement contrôlé.
Équipement ultra-moderne : les dernières
réalisations de la science.
— Malgré toute la confiance mise dans la valeur
professionnelle et la condition physique de leurs équipages, les transporteurs
aériens, aidés en cela aussi bien par les constructeurs que par les services
officiels de la navigation aérienne, se sont ingéniés à alléger dans toute la
mesure du possible la tâche des officiers navigants.
Ce sont à bord de l'appareil tous les équipements destinés à
assurer totalement ou partiellement une série d'opérations ou de contrôles, qui
incombent normalement à tel ou tel membre de l'équipage. Du pilote automatique
au radio-compas, en passant par tous les instruments de mesure ou de navigation,
les avertisseurs ou détecteurs les plus divers, tous les moyens sont mis en
œuvre pour reposer l'équipage, prévenir un oubli ou interdire une fausse
manoeuvre.
Ce sont également les services au sol dont le rôle ne cesse
de prendre de l'importance et qui recueillent tous les éléments d'informations
utiles aux commandants de bord, préparent les plans de vol, assurent la veille
permanente des appareils, les guident dans leur navigation et leur approche du
terrain, régissent la circulation autour des aérodromes et assurent les
atterrissages sans visibilité grâce au radar, dernière merveille de la
technique électronique.
L'avion n'est pas dangereux.
— Bien des développements seraient possibles sur le
thème de la sécurité aérienne, dont je n'ai voulu donner qu'un aperçu aussi
bien pour rendre justice au transport aérien et à ses artisans que pour
souligner un aspect trop souvent ignoré du public et malheureusement déformé
par une grande partie de la presse. Six colonnes poignantes et trois photos
sensationnelles à la « une » pour un accident d'avion, quinze lignes
en bas de page pour un autocar qui tombe dans un ravin, tel est trop souvent le
partage. Fort heureusement, la réalité est différente et l'avion a déjà fait la
preuve qu'il était moins dangereux que l'automobile. Ce simple fait — vérifié
par les statistiques les plus officielles — en dit plus long que bien des
discours, mais combien l'ignorent encore.
Maurice DESSAGNE.
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