Accueil  > Années 1950  > N°642 Août 1950  > Page 507 Tous droits réservés

Le Brésil et les diamants

On a souvent répété que le Français ignorait la géographie ... En tout cas, on ne saurait nier que, pour lui, le Brésil est l'Eldorado, le pays de l'or. Pour les jeunes désireux de tenter l'expérience, c'est an mirage, surtout quand ils pensent à faire la récolte des diamants.

Certes le Brésil, en ses régions du Matto-Grosso ou de l'Amazone, renferme le très précieux cristal, la gemme aux mille feux irisés ; mais, mille fois contre une, il ne s'agit aucunement de ces pierres destinées à orner le cou, le doigt ou les oreilles d'une femme à la mode. Ce que l'on trouve, ce sont des diamants noirs, destinés à des usages industriels, ou des pierres à première vue splendides par leurs grosseurs, mais que des stries, colorations, teintes, défauts rendront impropres à toute taille de joaillier.

Les prospecteurs de diamants sont surtout nombreux à la frontière du Matto-Grosso. Le seul moyen de transport depuis la côte est la rivière, mais il ne faut pas croire qu'il y a possibilité de trouver à jour fixe, comme dans l'ancienne France, des coches d'eau. C'est individuellement, et en pirogue, qu'il faut remonter le courant, grâce aux bras puissants du piroguier indigène. Heureusement, la rémunération est peu coûteuse et se limite à quelques centaines d'unités de la monnaie locale, avec le traditionnel scellement d'une bouteille d’alcool de canne à sucre.

Les indigènes, sans être des sauvages, en affectent les coutumes. Indigène ne signifie, du reste, pas grand' chose, car, le plus souvent, il s'agit de métis des quatre coins du monde, d'épaves de pays lointains fixées en ces lieux, une ou deux générations avant. Le costume est réduit à un pagne orné d'une arlequinade de tissus. Mais l'indigène porte les cheveux longs, épars sur les épaules, et répandant une terrible odeur de suif, de graisse rance, de sueur fermentée, le tout joint à celle de chien mouillé et malpropre !

La pirogue est généralement fort rudimentaire et se limite, en architecture navale, à un tronc d'arbre, un résineux, mal dégrossi et creusé à coups de hache.

Inversement, on ne doit pas négliger que les vues sur les rives des rios sont des splendeurs autant par la luxuriance du paysage que par les sites des rives.

Quand la nuit tombe, on approche des rives, et l'on fait halte dans une cabane d'indigènes, dont l'hospitalité de principe est grande ... la nourriture est quelque peu rudimentaire : une bouillie fraîche ou desséchée en galette de farine de manioc avec de la viande fumée et desséchée.

Le lendemain, il reste à recommencer le voyage, avec des étapes nocturnes identiques. Ces « hôteliers » ( !) sont, en général, d'anciens prospecteurs de diamants ayant rassemblé une petite fortune et qui gèrent ainsi des gîtes d'étape — jusqu'au jour où on les retrouve assassinés et un concurrent à leur place. Pendant que l'homme monte sur sa pirogue et va jusqu'au relais voisin, sa femme garde la maison et soigne les enfants. Personne ne sait ni lire ni écrire, mais c'est sans importance, car il n'y a aucune rédaction à établir et aucun ouvrage à parcourir.

Le plus gros soucis de ces « gîteurs-hôteliers » est l'armement, car, avec la proximité des bagnes, le passage des aventuriers, la présence de bandits, la place est peu sûre. Bien heureux quand on ne risque pas des tortures d'un nouveau venu pour fournir des renseignements sur des sites productifs !

Car le grave, dans le métier de prospecteur, est le découragement, qui saisit d'autant plus rapidement l'homme que celui-ci a fait des rêves fous d'enrichissement rapide. C'est alors le cafard brutal et l'abandon du travail sérieux pour le simple assassinat d'un prospecteur imprudent, mais enrichi. Dans ces régions, le brigandage est la règle souveraine.

Sur le lieu de prospection, le spectacle ne varie jamais : l'homme est accroupi, recueille le sable apporté par le fleuve dans un crible à très fines mailles et l'agite avec une spatule. Les boues enlevées, le produit restant est renversé sur un tas de sables et graviers représentant les résidus des jours passés et de toute la gangue criblée sans rien découvrir.

Parfois, au lieu de sonder le sable fluvial, le prospecteur s'attaque à un filon de la montagne voisine, et le cycle reste très analogue, consistant à briser les pierres de plus en plus petit, puis à laver et rechercher le précieux diamant ...

Il faut beaucoup de patience à ces hommes, car ils passent souvent des mois et des mois sans rien trouver ! Il faut aussi une santé extrêmement robuste, car la vie sous la case est aussi pénible que le travail sous la pleine ardeur du soleil. La nourriture est aussi très pauvre : manioc et viande fumée.

Cependant, tous les prospecteurs ne travaillent pas selon ces modes d'artisan. Il y a des centres diamantifères.

Leurs origines sont toujours légendaires, et le mythe change rarement : c'est toujours un prospecteur à la recherche d'un placer important qui, passant par hasard, a vu briller un diamant — toujours énorme — à ses pieds et n'a eu qu'à le ramasser.

Mais cela a suffi pour qu'un aventurier riche achète tout le pays et en loue à mi-fruit la prospection.

Le comble est que, dans la mentalité de ces hommes, ceux-ci se considèrent comme des bienfaiteurs permettant à d'autres gens aussi sans aveu que sans fortune de tenter leur chance.

Le « caïd » vit surtout en forban du village, avec sa taverne où il vend très cher de mauvais alcools abrutissant les malheureux travailleurs, mais servant à entretenir chez eux la foi en une fortune aussi improbable que lointaine.

Vêtements, outils, aliments sont fournis dès l'arrivée et à crédit. Si le malheureux possède femme jolie ou filles jeunes, ce sont elles qui auront à solder l'addition chez le « bienfaiteur » du village en se mettant à sa disposition, pour satisfaire les désirs des célibataires.

Le tableau n'est pas beau, malgré un paysage édénique et un ciel de rêve.

Cependant, parfois un de ces travailleurs forcés découvre un diamant. Malheur à lui s'il parle, et encore malheur s'il se tait ! Dans les deux cas, il risque la mort deux fois sur trois, car il risque d'être trouvé assassiné par ses confrères de travail pour s'attribuer sans peine le bénéfice de la trouvaille, ou bien parce qu'il sera toujours soupçonné d'avoir voulu voler l'exploiteur principal et dissimuler d'autres pierres.

Il lui reste la fuite, dès trouvaille faite, en abandonnant femmes et enfants, mais ce sont alors les dangers de la forêt et le risque d'être dévoré vivant par les fauves.

Voilà ce qu'est la vérité sur les placers de diamants, et c'est très loin des histoires que les voyageurs prétendent avoir vu !

Beaucoup de gens que leurs fonctions ont conduits en Guyane et en ces lieux en arrivent à prétendre que le bagne lui-même est un paradis à côté des centres diamantifères.

A. et C. COTTIN.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 507