On a souvent répété que le Français ignorait la géographie ...
En tout cas, on ne saurait nier que, pour lui, le Brésil est l'Eldorado, le
pays de l'or. Pour les jeunes désireux de tenter l'expérience, c'est an mirage,
surtout quand ils pensent à faire la récolte des diamants.
Certes le Brésil, en ses régions du Matto-Grosso ou de
l'Amazone, renferme le très précieux cristal, la gemme aux mille feux irisés ;
mais, mille fois contre une, il ne s'agit aucunement de ces pierres destinées à
orner le cou, le doigt ou les oreilles d'une femme à la mode. Ce que l'on
trouve, ce sont des diamants noirs, destinés à des usages industriels, ou des
pierres à première vue splendides par leurs grosseurs, mais que des stries,
colorations, teintes, défauts rendront impropres à toute taille de joaillier.
Les prospecteurs de diamants sont surtout nombreux à la
frontière du Matto-Grosso. Le seul moyen de transport depuis la côte est la
rivière, mais il ne faut pas croire qu'il y a possibilité de trouver à jour
fixe, comme dans l'ancienne France, des coches d'eau. C'est individuellement,
et en pirogue, qu'il faut remonter le courant, grâce aux bras puissants du
piroguier indigène. Heureusement, la rémunération est peu coûteuse et se limite
à quelques centaines d'unités de la monnaie locale, avec le traditionnel
scellement d'une bouteille d’alcool de canne à sucre.
Les indigènes, sans être des sauvages, en affectent les coutumes.
Indigène ne signifie, du reste, pas grand' chose, car, le plus souvent, il
s'agit de métis des quatre coins du monde, d'épaves de pays lointains fixées en
ces lieux, une ou deux générations avant. Le costume est réduit à un pagne orné
d'une arlequinade de tissus. Mais l'indigène porte les cheveux longs, épars sur
les épaules, et répandant une terrible odeur de suif, de graisse rance, de
sueur fermentée, le tout joint à celle de chien mouillé et malpropre !
La pirogue est généralement fort rudimentaire et se limite,
en architecture navale, à un tronc d'arbre, un résineux, mal dégrossi et creusé
à coups de hache.
Inversement, on ne doit pas négliger que les vues sur les
rives des rios sont des splendeurs autant par la luxuriance du paysage que par
les sites des rives.
Quand la nuit tombe, on approche des rives, et l'on fait halte
dans une cabane d'indigènes, dont l'hospitalité de principe est grande ...
la nourriture est quelque peu rudimentaire : une bouillie fraîche ou
desséchée en galette de farine de manioc avec de la viande fumée et desséchée.
Le lendemain, il reste à recommencer le voyage, avec des
étapes nocturnes identiques. Ces « hôteliers » ( !) sont, en
général, d'anciens prospecteurs de diamants ayant rassemblé une petite fortune
et qui gèrent ainsi des gîtes d'étape — jusqu'au jour où on les retrouve
assassinés et un concurrent à leur place. Pendant que l'homme monte sur sa
pirogue et va jusqu'au relais voisin, sa femme garde la maison et soigne les
enfants. Personne ne sait ni lire ni écrire, mais c'est sans importance, car il
n'y a aucune rédaction à établir et aucun ouvrage à parcourir.
Le plus gros soucis de ces « gîteurs-hôteliers »
est l'armement, car, avec la proximité des bagnes, le passage des aventuriers,
la présence de bandits, la place est peu sûre. Bien heureux quand on ne risque
pas des tortures d'un nouveau venu pour fournir des renseignements sur des
sites productifs !
Car le grave, dans le métier de prospecteur, est le
découragement, qui saisit d'autant plus rapidement l'homme que celui-ci a fait
des rêves fous d'enrichissement rapide. C'est alors le cafard brutal et
l'abandon du travail sérieux pour le simple assassinat d'un prospecteur
imprudent, mais enrichi. Dans ces régions, le brigandage est la règle
souveraine.
Sur le lieu de prospection, le spectacle ne varie jamais :
l'homme est accroupi, recueille le sable apporté par le fleuve dans un crible à
très fines mailles et l'agite avec une spatule. Les boues enlevées, le produit
restant est renversé sur un tas de sables et graviers représentant les résidus
des jours passés et de toute la gangue criblée sans rien découvrir.
Parfois, au lieu de sonder le sable fluvial, le prospecteur
s'attaque à un filon de la montagne voisine, et le cycle reste très analogue,
consistant à briser les pierres de plus en plus petit, puis à laver et
rechercher le précieux diamant ...
Il faut beaucoup de patience à ces hommes, car ils passent
souvent des mois et des mois sans rien trouver ! Il faut aussi une santé
extrêmement robuste, car la vie sous la case est aussi pénible que le travail
sous la pleine ardeur du soleil. La nourriture est aussi très pauvre : manioc
et viande fumée.
Cependant, tous les prospecteurs ne travaillent pas selon
ces modes d'artisan. Il y a des centres diamantifères.
Leurs origines sont toujours légendaires, et le mythe change
rarement : c'est toujours un prospecteur à la recherche d'un placer
important qui, passant par hasard, a vu briller un diamant — toujours
énorme — à ses pieds et n'a eu qu'à le ramasser.
Mais cela a suffi pour qu'un aventurier riche achète tout le
pays et en loue à mi-fruit la prospection.
Le comble est que, dans la mentalité de ces hommes, ceux-ci
se considèrent comme des bienfaiteurs permettant à d'autres gens aussi sans aveu
que sans fortune de tenter leur chance.
Le « caïd » vit surtout en forban du village, avec
sa taverne où il vend très cher de mauvais alcools abrutissant les malheureux
travailleurs, mais servant à entretenir chez eux la foi en une fortune aussi
improbable que lointaine.
Vêtements, outils, aliments sont fournis dès l'arrivée et à
crédit. Si le malheureux possède femme jolie ou filles jeunes, ce sont elles
qui auront à solder l'addition chez le « bienfaiteur » du village en
se mettant à sa disposition, pour satisfaire les désirs des célibataires.
Le tableau n'est pas beau, malgré un paysage édénique et un
ciel de rêve.
Cependant, parfois un de ces travailleurs forcés découvre un
diamant. Malheur à lui s'il parle, et encore malheur s'il se tait ! Dans
les deux cas, il risque la mort deux fois sur trois, car il risque d'être
trouvé assassiné par ses confrères de travail pour s'attribuer sans peine le
bénéfice de la trouvaille, ou bien parce qu'il sera toujours soupçonné d'avoir
voulu voler l'exploiteur principal et dissimuler d'autres pierres.
Il lui reste la fuite, dès trouvaille faite, en abandonnant
femmes et enfants, mais ce sont alors les dangers de la forêt et le risque
d'être dévoré vivant par les fauves.
Voilà ce qu'est la vérité sur les placers de diamants, et
c'est très loin des histoires que les voyageurs prétendent avoir vu !
Beaucoup de gens que leurs fonctions ont conduits en Guyane
et en ces lieux en arrivent à prétendre que le bagne lui-même est un paradis à
côté des centres diamantifères.
A. et C. COTTIN.
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