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Causerie juridique

Sociétés départementales des chasseurs

Droit de poursuite des délits de chasse.

C'est un principe général de notre droit pénal que toute personne qui, par l'effet d'une infraction pénale, subit un préjudice en sa personne ou sur ses biens a le droit de demander à la juridiction pénale de condamner l'auteur de l'infraction, ou la personne civilement responsable, en des dommages intérêts à titre de réparation du préjudice subi par elle. À cet effet, la personne lésée peut soit déférer elle-même à la juridiction pénale compétente l'auteur de l'infraction, soit joindre sa demande à celle exercée par le ministère public contre ce dernier. Dans l'un et l'autre cas, on dit que la personne lésée se porte partie civile.

Pour obtenir des dommages intérêts, la partie civile doit prouver à la fois l'existence de l'infraction reprochée et l'existence d'un préjudice subi par elle par l'effet de l'infraction.

Ces principes sont incontestablement applicables en matière de délits de chasse. C'est ainsi qu'un propriétaire, qui a conservé le droit de chasser sur sa propriété, est toujours recevable à demander aux tribunaux correctionnels de condamner celui qui, sans son autorisation, a chassé sur ses terres à lui payer des dommages intérêts pour le préjudice que lui cause le fait de chasse accompli sans son autorisation. Si le propriétaire a transféré à un tiers ou à une association de chasseurs, au moyen d'un bail de chasse, son droit de chasse, le locataire de la chasse ou l'association des chasseurs peuvent également se porter parties civiles au lieu et place du propriétaire ou en même temps que lui.

La question s'est posée de savoir si les Sociétés départementales de chasseurs créées par application de la loi du 28 juin 1941 sont également recevables à se porter parties civiles et à demander l'allocation de dommages intérêts en cas de délits de chasse commis dans leur département. Avant la loi du 28 juin 1941, on refusait ordinairement ce droit à la Fédération départementale des Sociétés de chasseurs, en raison de ce que ce groupement ne subissait pas de préjudice direct et personnel distinct de celui subi par ses membres. La Cour de Cassation s'était prononcée plusieurs fois en ce sens, notamment par arrêts des 13 avril 1923 et 15 juin 1923, rapportés au Recueil Dalloz de 1924, 1re partie, pages 76 et 153, et du 20 février 1937, rapporté au Recueil Sirey de 1938, 1re partie, page 279.

Ces arrêts étaient l'application pure et simple des principes énoncés ci-dessus : dès lors qu'il était reconnu que la partie civile ne justifiait pas avoir subi, par l'effet du délit de chasse, un préjudice direct et personnel, c'est à bon droit que lui était refusée l'allocation de tous dommages intérêts.

Depuis la loi du 28 juin 1941, c'est une solution toute différente qui tend à prévaloir, non pas qu'on admette que la Société départementale puisse obtenir l'allocation de dommages intérêts sans avoir à justifier qu'elle ait subi un préjudice distinct des intérêts collectifs des chasseurs, mais parce que l'on considère qu'en fait les Sociétés départementales, dont l'objet, défini par la loi du 28 juin 1941, est la répression du braconnage et la protection du gibier, et qui représentent dans le département les intérêts de la chasse, ne pourraient remplir leur mission si le droit ne leur était pas reconnu d'agir en justice en réparation du préjudice causé aux intérêts collectifs des chasseurs. En substance, l'innovation consiste en ce que, par l'effet de la loi du 28 juin 1941, les sociétés départementales ont reçu mission de défendre les intérêts collectifs des chasseurs, en sorte qu'elles sont habilitées à intervenir comme parties civiles chaque fois qu'elles sont en mesure de prouver l'existence d'une atteinte portée à ces intérêts collectifs. Cette thèse nouvelle a été consacrée par un arrêt de la Cour d'appel de Montpellier du 22 décembre 1949, par un jugement du tribunal correctionnel de Châteauroux du 8 février 1950, rapportés dans La Semaine Juridique des 18 et 25 mai 1950, avec note, ainsi que par un jugement de la 17e chambre du tribunal de la Seine du 14 janvier 1950 rapporté au Recueil chronologique de Sirey de 1950, page 19.

Les conséquences pratiques de cette nouvelle jurisprudence sont très importantes ; bornons-nous, pour le moment, sauf à y revenir dans une causerie postérieure, à en signaler deux :

1° le désintéressement de la partie directement lésée par le délit de chasse, la transaction intervenue entre le délinquant et cette partie ou le désistement de cette dernière ne mettent pas obstacle à ce qu'une poursuite soit exercée au nom de la société départementale des chasseurs ;

2° en cas de délits commis par le détenteur du droit de chasse (par exemple pour chasse en temps prohibé ou avec engins prohibés), le détenteur du droit de chasse peut être poursuivi à la requête de la Société départementale, par cela seul que cette Société peut prouver qu'un préjudice a été causé par le délit aux intérêts collectifs dont elle a la charge.

Paul COLIN,

Docteur en droit,
Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.

Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 516