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Lâchers de gibier

Nous lisions ces jours-ci, dans une importante revue du Sud-ouest, l'entrefilet suivant :

« Un important lâcher de gibier a été effectué par la Société de chasse de Saint-H ...

» C'est ainsi que trois lièvres, douze faisans et quarante-huit lapins sauvages, et autant de lapins domestiques, s'apprêtent à grossir le cheptel local, pour le plus grand plaisir des chasseurs de cette région des Landes girondines, où, hélas ! pullulent de plus en plus les renards. »

Nous croyons qu'il y a eu deux fautes importantes dans ce lâcher, et nous voulons en informer les présidents des sociétés de chasseurs, afin qu'ils évitent, en pareil cas, de commettre les mêmes erreurs.

Tout d'abord cet article est paru dans une revue de juin, mais nous voulons penser que ces lâchers ont été faits à bonne époque, c'est-à-dire au plus tard dans les premiers mois de l'année. L'on nous dit qu'il a été lâché quarante-huit lapins sauvages (c'est parfait, si l'on a observé qu'il fallait au moins deux femelles pour un mâle), mais on ajoute qu'un même nombre de lapins domestiques a été également mis en liberté. Ceci nous laisse très perplexe sur le résultat à obtenir.

En effet, on déplore que, dans la région, les renards pullulent de plus en plus, et l'on aurait voulu leur faire plaisir qu'on n'aurait pu mieux faire que de mettre a leur portée quarante-huit lapins de choux. A-t-on réfléchi, en opérant ce lâcher, que les mœurs de ces deux espèces de lapins sont complètement différentes les unes des autres ?

Tout d'abord le lapin domestique n'a aucune défense et ignore tout de la tactique qu'emploie son confrère des bois pour échapper au renard. Sa fuite seule peut le sauver, suivie de la recherche d'un accul de terrier de très petite taille où maître Goupil ne peut l'atteindre. Mais comment voulez-vous que le lapin domestique, qui ne sait pas même ce qu'est un terrier, puisse s'y mettre à l'abri et qu'il emploie toutes les ruses de son confrère sauvage pour échapper à ses ennemis ?

Car il n'y a pas que le renard qui soit dangereux pour ce lapin domestique, mais tous les animaux nuisibles, sans en excepter le chien errant et le chat maraudeur, et contre lesquels il n'aura aucune défense.

À ce sujet, rappelons aux chasseurs les mesures prises contre ces deux commensaux de l'homme, qui souvent s'en méfie fort peu, alors qu'ils sont parfois plus dangereux que les bêtes sauvages.

Sous la pression d'un vœu qui fut formulé très souvent dans le monde chasseur, un décret fut pris le 19 février 1949 contre les chiens errants. Quant aux chats, lorsqu'ils se trouvent à 200 mètres des habitations, on peut considérer qu'ils sont alors devenus chats harets. (On donne ce nom au chat domestique qui, mis en goût par le gibier, abandonne sans retour le toit de son maître.) Il devient alors un animal nuisible et peut être détruit comme tel, puisqu'il figure sur la liste nominative de ces animaux, dans l'arrêté préfectoral permanent de chaque département sur la police de la chasse.

Or des tribunaux répondant au désir exprimé par toute la chasse française pour supprimer les chiens errants se sont déjà montrés très sévères pour ce genre de délit, en appliquant l'arrêté précité. C'est ainsi que le tribunal correctionnel de Béthune (Pas-de-Calais) a, le 21 juillet 1949, condamné le propriétaire d'un chien, pour vagabondage, à 12.000 francs d'amende. Il l'a, de plus, condamné aux frais et à 1.000 francs de dommages et intérêts envers la partie civile représentée par une société de chasseurs. En outre, il a condamné ce même propriétaire du chien aux frais que la partie civile a exposés pour cette action.

Il est certain que, lorsque l'on saura qu'une divagation de chien peut coûter un tel prix, ceux qui ont l'habitude de les laisser chasser toute la journée en plaine et au bois, au grand dam du gibier, prendront les mesures utiles pour éviter ces pénalités. La crainte du procès-verbal doit devenir le commencement de la sagesse.

Mais revenons au lâcher de gibier, dont il est question plus haut.

Un lâcher de lapins domestiques dans un bois est toujours une mauvaise opération.

En effet, la lapine domestique ignore la rabouillère et ira faire ses jeunes dans un nid qu'elle établira dans un fourré, où les jeunes seront à la merci de toutes les bêtes nuisibles.

On sait, en effet, que le lapin, au contraire du lièvre, naît sans poils et aveugle et que sa mère, qui l'a mis au monde dans un petit terrier appelé rabouillère, vient chaque nuit en déboucher l'entrée, nourrit ses jeunes et rebouche cette entrée jusqu'à la nuit suivante. Et il en est ainsi pendant un mois environ, après quoi, suffisamment développés, les jeunes sortent, emmenés en promenade par leur mère, aux environs de la rabouillère.

La conclusion de ceci, c'est que, si l'on veut faire des croisements de garenne avec des lapins domestiques, il vaut mieux ne lâcher que des mâles domestiques.

Ou encore il faut faire l'opération en enclos bien fermé, où l'on mettra un mâle sauvage pour deux femelles domestiques, jusqu'à ce que les jeunes soient assez grands. Ajoutons que le résultat de ces croisements est ordinairement une portée plus abondante. Si l'on compte de quatre à six jeunes chez les garennes purs, on obtient le plus souvent de six à dix jeunes pour les croisés.

En outre, le croisement donne un poids très supérieur au garenne pur. Dans le premier cas, on obtient des animaux allant jusqu'à 1.500 grammes, alors que le sauvage pèse en moyenne de 1.000 à 1.100 grammes.

Tout ce qui précède est à prendre en considération au moment où l'on veut repeupler.

Mais que dire d'une chasse où l'on repeuple en sachant que les renards sont de plus en plus abondants ?

Voilà l'erreur de beaucoup de chasseurs qui ne comprennent pas tout l'intérêt qu'il y a de détruire des nuisibles d'abord et de repeupler ensuite.

Certaines sociétés ont dépensé beaucoup d'argent pour leur repeuplement et s'étonnent du peu de résultats obtenus.

C'est tout simplement qu'elles ont oublié que, dans une chasse où les animaux nuisibles abondent, le fait de repeupler équivaut uniquement à nourrir les ennemis du gibier.

Que l'on tienne compte de ce qui précède et que l'on se rappelle qu'il vaut mieux tout d'abord faire les dépenses utiles pour la destruction des fauves et, dans les années suivantes seulement, faire les frais de repeuplement, quand la chasse (et les chasses voisines s'il se peut) auront bien purgé leur territoire de tous les animaux de rapine.

René DANNIN,

Expert en agriculture (chasse et gibier)
près les Tribunaux.

Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 522