Si les expositions canines sont un moyen de sélection (1),
les organisateurs et les exposants ne doivent pas perdre de vue qu'elles sont
aussi, et devraient être surtout, un moyen d'éducation.
Éducation du public, pour lui apprendre à mieux
connaître et apprécier le chien de race, à reconnaître un épagneul d'un setter,
un braque d'un pointer, un caniche d'un briard, à différencier un chien de pure
race, quel qu'il soit, d'un vulgaire bâtard et à établir, pour les races qui
l'intéressent, une échelle de valeurs. Éducation du cynophile, déjà averti
aussi, de l'utilisateur, de l'éleveur même, souvent enclin à accorder à ses
propres sujets des qualités que lui seul leur concède et à ne pas voir leurs
défauts.
Or, trop souvent, cette fonction éducative du public ne peut
être exercée, tant en raison des exigences matérielles que de la technique des
expositions.
Il n'est, certes, pas toujours possible de trouver un local
ou une esplanade assez vastes pour permettre aux visiteurs d'examiner les
chiens à loisir. La foule est dense dans les travées souvent étroites et,
surtout si les chiens sont enfermés dans des cages, il est difficile
quelquefois de les voir, presque toujours de les examiner. L'abondance des
sujets exposés, la multitude des races, devant lesquels défile le public, lui
laissent une impression confuse, dont il ne peut retirer grand profit. Si des
difficultés diverses et prohibitives ne les rendaient de plus en plus
pratiquement impossibles, les expositions en deux jours seraient bien
préférables du point de vue éducatif ; mais exposants et organisateurs ont
des raisons valables de les bannir.
La formule idéale serait certainement d'organiser plusieurs
séries d'expositions : chiens de garde, chiens de chasse, chiens
d'agrément. Trois expositions au lieu d'une ? s'exclameront les
organisateurs et ceux qui pensent que le nombre des expositions est déjà bien
trop élevé. Non ; mais bien des Sociétés canines pourraient en faire deux :
l'une réservée aux chiens de chasse, l'autre aux autres chiens. Ce serait un
effort trop grand ? Alors, une seule par an, à tour de rôle, une année
chiens de chasse, l'année suivante les autres races. Du point de vue de la
sélection, nous ne pensons pas qu'un tel système serait préjudiciable à
l'élevage ; il réduirait quelques classes de jeunes, ce qui serait
d'inconvénient mineur ; un lauréat de classe jeune déçoit bien souvent ses
espoirs, et ce n'est pas avec des sujets d'un an qu'on améliore un élevage. Si
le jeune tient ses promesses, il sera toujours temps de le prodiguer en public.
Du point de vue éducatif, le public se pressant moins
nombreux autour des travées mieux aérées pourrait, avec plus d'aise et de
loisir, examiner mieux en détail les chiens qui l'intéressent.
Mais les récris des trésoriers des Sociétés ont déjà condamné
la formule. En dépit des considérations matérielles, il n'est pas sûr qu'ils
aient raison. Et, puisqu'il faut prendre les choses telles qu'elles sont, dans
le cadre actuel des expositions, il y aurait un effort à faire du point de vue
éducatif.
Depuis quelques années, des classes inutiles, qui ajoutaient
à la confusion, ont été supprimées. Celles qui restent sont encore trop
nombreuses, car le système du classement et l'affichage des récompenses seules
faussent l'esprit du visiteur, qui n'y comprend plus rien.
Huit classes, pour la plupart des races, sans compter leur
dédoublement en classes mâles et classes femelles, c'est au moins deux fois
trop. Rappelons-les pour le public qui les ignore :
1. Classe ouverte : pour tous sujets ayant
le minimum d'âge exigé, suivant les groupes ;
2. Classe de jeunes : pour les sujets étant
entre deux limites d'âges indiquées, selon les races ;
3. Classe d'élevage national : pour sujets
de races étrangères (ce que beaucoup d'exposants ignorent et beaucoup
d'organisateurs ou de juges oublient ...) nés et élevés en France ;
4. Classe de travail : pour sujets ayant
obtenu la récompense exigée par les règlements de concours d'utilisation et
déjà engagés en classe ouverte ;
5. Classe de champions : pour sujets déjà
déclarés champions de beauté ;
6. Classe de paires : pour couples de
chiens de même race, déjà engagés en classe ouverte ou jeunes ;
7. Classe de lots d'élevage : pour lots
d'au moins trois sujets de même race, issus d'une ou plusieurs lices
appartenant à l'exposant au moment de la naissance, mais pouvant avoir été
cédés et engagés, d'autre part, dans une classe individuelle ;
8. Classe de groupe de chiens courants ou de meute :
pour au moins six chiens courants de même race, sans distinction de sexe,
appartenant au même propriétaire (comme si le fait d'appartenir à deux amis
chassant ensemble enlevait quelque qualité à l'homogénéité de la meute !).
Or, le même chien peut être engagé à la fois en plusieurs
classes, s'il remplit les conditions exigées. Il peut donc recevoir, par
exemple, un premier prix, un quatrième, et ... une mention. Un chien
engagé dans une seule classe peu nombreuse peut recevoir un premier prix et un
autre, plus beau, engagé dans une autre à plus forte compétition, ne recevoir
qu'un quatrième prix. Le néophyte venu pour faire son éducation renonce à
comprendre.
Sans doute, le règlement prévoit-il que les classes Travail,
Paires, Groupes et Lots d'élevage ne peuvent recevoir d'attribution de prix,
mais seulement l'attribution du carton de médaille au meilleur sujet, ou
meilleur lot ; mais, bien des juges l'oublient et attribuent des prix,
qui, affichés au-dessus du box, avec peut-être une simple « mention »
cueillie en autre classe, ajouteront encore à la confusion du visiteur non
averti.
C'est pourquoi, tant du point de vue sélectif que du point
de vue éducatif, la formule des « Présentations » est préférable à
celle des expositions-concours ; car, ne comportant pas de classements,
elle se borne à attribuer à chaque sujet le qualificatif qu'il mérite ;
elle lui donne donc sa valeur absolue, tandis que le concours lui confère une
valeur relative ; elle élimine aussi la confusion née de l'attribution de
prix différents en diverses classes. Si un chien est « très bon », il
l'est en quelque classe qu'il se présente et, quel que soit son qualificatif,
celui-ci vaut qu'il soit né en France ou en Angleterre, qu'il soit primé ou non
par ailleurs en concours de travail.
L'exposition a pour objet de juger les formes. Un chien de
travail (chasse, garde, berger) prouve ses aptitudes pratiques sur le terrain ;
s'il répond au standard de sa race, il est, en principe, apte à ses fonctions ;
mais, s'il mérite un qualificatif « bon » ou « passable »
en classe ouverte, il ne saurait, en classe de travail, être qualifié
autrement. Sans doute, le nouveau règlement exige-t-il qu'un chien de race
utilitaire ait remporté un prix en concours de travail pour recevoir le titre
de champion ; c'est chose juste, mais c'est là une autre question.
Il est exact aussi qu'un chien, présenté en classe de
jeunes, peut être jugé « bon » et, présenté aussi en classe ouverte
(en concours avec des adultes), soit jugé seulement « assez bon »,
comme incomplètement soudé. Raison de plus pour supprimer la classe « jeunes »,
pourquoi pas une classe « chiots » ?
Certes, la multiplication des classes procure une plus
abondante recette par les droits d'inscription. Cet argument ne suffit pas pour
s'opposer à la classe unique par sexe. La sélection serait plus claire,
l'éducation ne serait pas faussée. Seuls en seraient gênés ceux que les
collections de prix servent à des fins commerciales.
Mais, quelle que soit la formule adoptée, il serait en tous
cas nécessaire de faire obligation aux juges de commenter publiquement leurs
jugements. Certains le font ; après leur classement, ils l'expliquent ;
malheureusement, le brouhaha qui est le propre des expositions empêche le
public intéressé, massé autour du ring, de saisir ses commentaires. Les
exposants sont, en ce cas, seuls à en faire leur profit ; ce n'est déjà
pas mal. En certains pays, chaque juge dispose d'une dactylographe qui
transcrit les notes dictées ; une copie est affichée ; elle est, en
ce cas, bien lisible. Ce procédé pourrait, sans frais prohibitifs, être adopté
au moins dans les principales expositions de France, serait-ce au détriment
d'autres dépenses moins utiles. Il serait simple, toutefois, par une
modification des cadres des carnets de juges, de les munir d'un calque, de
prier le jury d'écrire en clair et lisiblement ses notes, et d'afficher leur
duplicata, au lieu de n'afficher que le classement. Les slips de ces derniers
comportent bien le qualificatif ; mais les qualificatifs identiques
n'expliquent pas le classement dans les expositions-concours et ne suffisent
pas pour éduquer celui qui veut s'instruire, car le juge conserve ses notes.
C'est le carton que l'on remet à l'exposant qui devrait
comporter un cadre pour l'inscription détaillée des notes par le juge, avec
obligation de l'afficher, même pour les sujets jugés par trop déficients,
au-dessus de la case du chien, sous peine d'une amende ou de disqualification.
Ce ne serait qu'une habitude à prendre, une discipline à
imposer. Mais, hélas ! en notre beau pays, on est rebelle aux contraintes
nouvelles, et la notion de discipline ne paraît pas liée à l'ère du progrès.
Jean CASTAING.
(1) Voir Le Chasseur Français d'août 1950.
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