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Pas de têtes, pas de races

Nombreux sont les exposants de chiens, en particulier de chasse, plus nombreux encore les chasseurs peu soucieux de connaître quels sont les caractères essentiels déterminant le type. En première ligne, il y a les caractères céphaliques. Lorsque Arkwright écrivit que la tête du pointer est le pointer lui-même, il ne fit qu'exprimer une vérité polyvalente pour toutes les races, et pas seulement les races de chiens.

Comme il est plus aisé de constater la régularité des aplombs et la bonne tenue d'un dessus, nombre d'exposants d'occasion s'imaginent volontiers posséder un as en un sujet de structure correcte, même lorsque le chef en laisse fortement à désirer, marquant les traces d'un sang étranger, preuves évidentes de l'impureté de son sang.

La moyenne des chasseurs se désintéressent plus encore de tels détails pourtant fort importants, puisque la psychologie propre d'une race se trouve perturbée par le croisement. Mais pour eux, dès l'instant que leur chien leur donne satisfaction sur le terrain, tout leur est égal, même une structure critiquable qui ne nuit ni aux allures, ni à la résistance. Ce n'est pas à ces bons confrères qu'il faut parler de sélection et de conservation des qualités originales de quelque race que ce soit.

Cette indifférence leur a joué pourtant plus d'un mauvais tour. Ce n'est que l'erreur consommée qu'ils s'aperçoivent des inconvénients de leur insouciance. Un exemple célèbre est donné par les résultats de l'alliance du setter anglais avec le pointer. Pour conférer à celui-là train égal, l'idée simpliste naquit d'introduire le sang pointer dans les veines du setter. Un beau jour, on vit un peu partout de ces derniers pourvus d'un chef nettement pointéroïde, avec une structure corporelle nouvelle incompatible avec les allures couleuvrines, le galop rampant, propres au setter pur. Le moral avait aussi perdu en souplesse, le sang pointer ayant développé un caractère plus personnel. Mais ces chiens modifiés au physique et au moral étaient bons en chasse, ce dont il n'y a pas à être surpris. Seulement leur comportement n'était pas celui du setter primitif ; ceux qui l'avaient connu et pratiqué firent bien la distinction, regrettant la quasi-disparition de celui au galop rampant et de caractère plus souple. L'expérience a prouvé combien dominant est le sang pointer, qui a imposé sa tête et donc son moral, bien souvent aussi le joli petit fouet peu frangé qu'il ne faut pas trop admirer, car celui-ci également est un souvenir du passage de l'étranger.

Tout ceci dit, non pour dénigrer le produit de cette alliance, mais seulement enregistrer les résultats d'une opération qui ne s'imposait pas et dont l'effet a été de compromettre certaines particularités tant anatomiques que psychologiques non dénuées d'intérêt.

L'opération a eu des effets plus lointains encore, puisqu'elle a marqué sur les races auxquelles le setter ainsi modifié a été ensuite allié. L'exemple méritant d'être cité, parce qu'il porte sur un nombreux cheptel, est celui de l'épagneul breton ; spécialement sa variété sous robe blanc-orange. Aux premiers temps du remaniement de la race, pour lui donner plus d'ampleur et aussi plus d'aptitudes pour la chasse en plaine, on sait qu'il y eut alliance plus ou moins voulue avec une lice setter anglaise, à une époque où le setter présentant chef pointéroïde était objet rare ou inexistant. Or, depuis quelques années, nous voyons dans le ring des chiens, surtout mâles, dans la formule cob à souhait présentant tête marquée avec impudence du sceau du pointer. Cela n'a pu venir que par le canal de setters pointérisés et sous le manteau de croisements frauduleux et parfaitement indésirables. Or, sait-on le résultat de cette fraude ? La voici. Un confrère collaborant à plusieurs revues et quelques dresseurs m'ont fait connaître que ces chiens chassant absolument en chiens anglais ont perdu l'âme springer qui doit sommeiller au cœur de l'épagneul breton devenu vrai chien d'arrêt. Diminués sont certains dans les instincts de broussailleurs qu'ils doivent posséder ; leurs aptitudes de retrievers pour les grands « runners » se trouvent aussi amoindries, nombre de ces gaillards dédaignant désormais l'étude des émanations basses pour ne se consacrer qu'à celles fournies par le nez porté haut. Remarquez que ce goût de l'émanation haute est digne de louange, mais il ne doit pas obnubiler l'aptitude ancestrale grâce à laquelle ces chiens étaient et sont largement encore des retrievers au sens absolu du terme. Le chien de la majorité des chasseurs du continent est, en effet, souhaité dans la formule à tout faire, et il s'agit pour lui de savoir apporter autre chose que morts ou mourants.

Or, le pointer et les chiens fortement influencés par son sang, que j'admire pour la puissance de leur nez, sont conçus surtout pour la pratique de l'émanation directe. Mettre nez en terre est interdit aux pointers en leur pays, et cela est parfaitement logique. Il faut dire qu'ils n'y sont généralement pas portés, ni ceux qui en ont adopté avec la tête le goût de l'émanation directe à peu près exclusif. Mes correspondants sont donc dans le vrai en observant la disparition chez un grand nombre d'épagneuls bretons à tête pointérisée de ces aptitudes originales, faisant de lui un être un peu à part dans le monde du chien d'arrêt.

Le respect de la vérité me contraint à dire combien je déplore la présence sur les bancs, au cours de la dernière saison d'expositions, de ces chiens généralement bien faits, puissants en ossature et corsage, dont le chef pointéroïde épanoui et refoulé s'accommode de la formule cobby. En vertu de leur importance, de leur prestance, de la rectitude et de la robustesse de leurs rayons, certains ont fait illusion. C'est là un danger. Le standard exige formellement les crânes « aux formes arrondies », dont nous sommes ici fort loin.

En outre, les têtes doivent montrer divergence en avant des lignes cranio-faciales et pas seulement parallélisme, ni, à plus forte raison, convergence en avant. Le profil de tête au moins légèrement busqué ne peut se présenter rectiligne, petit péché, ni surtout camus en quelque mesure, qui en est un gros. Et pourtant cela est. Les variations psychologiques notées par divers professionnels ne permettent pas de laisser sans sanction une variation anatomique aussi importante que celle qui affecte la structure de cet organe important entre tous qu'est la tête. C'est pourquoi il y a lieu de la sanctionner même si, jusqu'à présent, elle n'a pas été traitée avec la sévérité qu'elle comporte. Vous plaçant du seul point de vue de la pureté du type, ne vous insurgeriez-vous pas contre la prétention de quiconque vous affirmerait arabe un cheval pourvu du profil germanique ? La question ne se pose pas. La tête est le quid proprium de la race. Un animal dépourvu du type céphalique de sa race n'est pas de race pure. C'est en examinant un chef sujet à critique que l'on découvre le croisement auquel il est attribuable. Lorsqu'il se manifeste profondément modificateur d'un moral dont la conservation s'impose, il doit être rejeté. Sans doute la tolérance, dont il a pu bénéficier durant un temps en vertu d'un certain défaut d'attention, a, lorsque combattue, l'inconvénient de causer des déceptions aux amateurs non spécialement avertis, et c'est le plus grand nombre. Mais, de même qu'à force de combattre les sujets de taille minuscule, ils ont pratiquement disparu, il importe maintenant de songer à acquérir une homogénéité meilleure. Pour y parvenir, pas d'autre moyen que veiller à la correction des têtes. Ceci ne veut pas dire négliger la structure, car une sélection qui ne porte pas sur le type et la structure à la fois n'est qu'une caricature de sélection.

Sans doute, pour peu qu'une race ait été croisée, elle devient, peu ou prou, de culture et mettra du temps à reconquérir un aspect physique assez uniforme. Le pointer, race de culture, ayant subi divers croisements, présente des familles où règne pourtant l'homogénéité physique, et ce sont celles les plus proches du substrat ibérique. Le néobraque allemand, dont la réalisation date déjà de nombreux lustres, soit d'une époque antérieure au début du siècle, a éliminé l'aspect du pointer auquel il a été pourtant largement allié. Les éleveurs ont su lui conserver une tête et une silhouette qui sont celles dépourvues de tissus abondants de l'ancêtre allemand. La preuve est donc faite par cet exemple et bien d'autres de la possibilité d'éliminer les traces voyantes d'une retrempe par ailleurs bienfaisante. Le grand art consiste à n'en conserver que le nécessaire en évitant au cheptel amélioré l'état de variation désordonnée, qui ne prévient jamais en sa faveur. L'admirable éleveur que fut Korthals a su, lui aussi, après usage d'éléments fort différents, réaliser l'homogénéité d'une race, type naturel probable, qu'il avait trouvée sans direction, ni doctrine, par conséquent en état d'anarchie.

Qui veut la fin veut les moyens ; un mal observé, il s'agit de le combattre, quelles que soient les réactions à prévoir des sensibilités atteintes. Toute réaction doit être menée avec la discrétion convenable et en veillant à ne pas froisser intérêts et opinions, seule méthode pour la faire accepter. Il est toutefois impossible de ne pas mécontenter quelques âmes sincères. C'est sans doute grand dommage, mais le culte de la vérité comporte, comme on le sait, des sacrifices parfois pénibles. Il faut se résigner à froisser Platon lui-même au bénéfice de la vérité.

R. de KERMADEC.

Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 528