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Causerie vétérinaire

Mal de mer et mal d'auto

À côté de la maladie de la peur, qui a fait l'objet de la précédente causerie, on doit ranger le mal de mer et le mal d'auto, qu'on constate parfois chez les animaux. Pendant la dernière guerre, de nombreux chevaux américains ont été frappés du premier mal au cours du transport par mer ; le chien, aussi, y est très sensible. Cette sensibilité est fonction du développement du système cérébro-spinal, par suite de son existence constante auprès de l'homme, ses facultés psychiques étant bien supérieures à celles du cheval ou du bœuf.

Le mal de mer a été attribué à plusieurs causes, notamment à un trouble de la circulation générale, et de celle du cerveau particulièrement, trouble qui survient lorsque les animaux sont placés dans un milieu tel que les conditions d'équilibre du corps deviennent instables ; lorsque le corps est soumis à des mouvements alternatifs d'ascension et de descente, comme ceux qui sont causés par les vagues ou l'escarpolette. Dans ces conditions, le sang n'arrive plus aussi régulièrement au cerveau que dans le cas où l'animal repose sur un milieu stable ; il en résulte des alternatives d'afflux et de retard dans l'arrivée de ce liquide à divers organes, d'où un trouble de leur activité, trouble qui se transmet aux viscères par les nerfs qui les rendent solidaires avec le cerveau.

On attribue parfois le mal de mer au réflexe provoqué par le déplacement des viscères, ou aux oscillations du liquide logé au centre du cerveau et de la moelle (liquide céphalo-rachidien) ou du liquide contenu dans les canaux semi-circulaires faisant partie de l'oreille interne. La respiration, la circulation sont modifiées, mais ce sont les symptômes gastriques qui sont les plus prononcés chez le chien, en raison du rôle rempli par l'estomac : salivation, nausées, vomissements, tendance à la syncope sont chez lui les principaux signes du mal de mer.

Pour le traitement, on emploiera les médicaments anti-nausiques, qui s'adressent à l'estomac, ou ceux qui agissent sur la substance du cerveau et sur ses propriétés (hyosciamine, belladone) et dont il sera question au sujet du mal d'auto.

Le mal d'auto est fréquemment constaté chez le chien, ainsi qu'en font foi les nombreuses demandes de renseignements qui me sont adressées à ce sujet. Tel chien de chasse qui manifeste par ses gestes une vive joie dès qu'il voit décrocher la gibecière et sortir le fusil du râtelier éprouve un véritable malaise à la vue de l'auto dans laquelle on veut le forcer à monter : il se souvient des troubles qu'il a éprouvés à sa dernière sortie. D'autres, notamment les chiens d'appartement, ne paraissent pas avoir gardé le souvenir de leur récent mal d'auto.

Certains chiens sont incommodés peu de temps après le départ, d'autres ne le sont que si le voyage se prolonge plus ou moins longtemps. Chose curieuse, tel chien est malade dans une conduite intérieure, alors qu'il reste insensible au mal s'il est dans une voiture automobile découverte. Un autre sera indisposé s'il est couché dans la voiture, son malaise disparaissant dès qu'il peut s'approcher de la glace ; inversement, un deuxième sera malade si, placé près de la portière, il regarde constamment défiler arbres, objets divers, comme en un kaléidoscope, par la glace de l'auto. C'est dire assez que le mal d'auto peut être provoqué par diverses causes agissant sur des organes différents.

C'est ainsi que les mouvements propres, les oscillations, même très limitées, de la voiture occasionnent les troubles nerveux et circulatoires que nous avons signalés au sujet du mal de mer.

Dans d'autres cas, il s'agit de l'action irritante qu'exercent les gaz s'échappant du moteur ou de l'odeur de l'essence impressionnant désagréablement une muqueuse nasale extrasensible.

Le défilé constant d'objets en bordure de la route et vus par le chien placé près de la glace peut produire chez lui les troubles que nous ressentons nous-mêmes lorsque nous fixons avec persistance le paysage par la fenêtre d'un compartiment de train rapide.

Qui ne connaît, dans son entourage, des personnes qui ne peuvent supporter de voyager dans un véhicule quelconque, étant assises de façon à tourner le dos au sens de la marche, alors que d'autres, au contraire, adoptent volontairement cette position ?

Enfin, l'état de réplétion de l'estomac du chien à la suite d'un repas trop copieux absorbé peu de temps avant le départ prédispose également au mal d'auto. Celui-ci peut disparaître presque aussitôt que les causes précédentes cessent d'agir.

Les symptômes généraux peuvent se résumer ainsi : sensation de malaise, d'inquiétude, se traduisant par une agitation insolite et un besoin de changer constamment de place ; puis survient une phase de dépression nerveuse avec salivation, nausées suivies de vomissements ; ralentissement et affaiblissement des battements du cœur provoquant parfois des syncopes chez les sujets très sensibles.

On évitera le mal d'auto en recourant aux moyens préventifs suivants :

    1° Laisser le chien à jeun ou le faire manger plusieurs heures avant le départ ;

    2° Placer le chien dans une voiture découverte ou près d'une glace ouverte ;

    3° Introduire le chien qui s'agite beaucoup dès le départ dans un sac quelconque ou en toile cachou, muni d'une tresse formant coulisse et serrée autour du cou, la tête seule restant libre. Placer ensuite le chien de telle façon qu'il ne puisse voir défiler le paysage.

Si les moyens précédents échouent, on aura recours à certains alcaloïdes, — atropine, hyosciamine — donnés à doses fractionnées et administrés pendant toute la durée du voyage. Ces médicaments ne sont délivrés que sur ordonnance du vétérinaire. Pour l'indication des doses, il devra être tenu compte de l'âge, du poids, de la sensibilité particulière du sujet et aussi de l'intensité des symptômes présentés lors de la précédente attaque.

On renforcera l'action des alcaloïdes en leur associant des sédatifs, des calmants du système nerveux, tels que le bromure de camphre, le sirop de chloral ou le gardénal, donnés en cours de route à doses fractionnées.

Certaines spécialités utilisées chez l'homme contre le mal de mer pourront être employées contre le mal d'auto, étant bien entendu que les doses indiquées pour l'homme dans les formulaires de la médecine humaine conviennent à peu près au chien moyen, plutôt fort. Ici encore, on devra tenir compte de l'âge, de la taille ou du poids de l'animal.

Il convient, enfin, de se souvenir que l'emploi des alcaloïdes précités, en tarissant toutes les sécrétions, notamment celle de la muqueuse nasale, peut nuire à l'olfaction, au flair du chien de chasse. Chez les chiens de luxe, cette fonction ne jouant qu'un rôle secondaire, la médication peut être administrée sans inconvénient.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 532