— Les habitants de ce joli bourg de l'Avesnois, niché
au creux de la forêt, qu'est Trelon, se souviennent encore de ce basset
tricolore qui, de sa démarche chaloupée, parcourait chaque jour les rues du
pays.
Voyou — c'est ainsi qu'on le nommait très justement
— s'il était à peu près impossible de le tenir enfermé, était un partisan
du moindre effort. C'est ainsi qu'en chasse, en compagnie d'autres chiens, il
ne quittait les talons de mon regretté père que lorsque ses congénères étaient
sur une piste sérieuse. Lors de ses promenades dans le bourg ou aux environs,
il usait de toute sa malice endiablée pour se faire ramener sans fatigue au
logis. Il reconnaissait le klaxon des voitures amies, ainsi que l'attelage de
son maître ; il s'asseyait alors au milieu de la route et, lorsque le
véhicule ralentissait, il sautait dedans et n'en redescendait que lorsqu'il
était arrivé à destination.
Un jour, repérant une voiture à bras chargée de pommes
arrêtée momentanément, il monta délibérément dedans et s'y coucha. La brave
marchande, voulant reprendre sa vente, essaya bien de se débarrasser du chien
en inclinant la voiture, mais en vain ; il glissait en bas, mais
bondissait de nouveau aussitôt pour reprendre sa place, si bien qu'elle n'eut
d'autre ressource que de le ramener en face de la maison. C'est ce que voulait
le malin cabot ; arrivé là, il descendit et s'en fut d'un air satisfait.
Un après-midi d'ouverture, les chiens d'arrêt étant claqués,
mon père l'avait pris en renfort. Tout à coup, dans le lointain, j'entends Voyou
chasser un lièvre qui cherchait à gagner le bois. Je cours à sa rencontre et
puis tire l'animal d'assez loin, lui brisant une patte. Celui-ci, bien entendu,
continue sa route tant bien que mal, malgré sa blessure. Pour encourager le
chien dans sa poursuite, je lui crie : « Allez, Voyou ou ...
allez Voyou ou ... », etc. Puis, j'entends un coup de fusil et,
quelques instants après, deux chasseurs du pays voisin — le drame se
passait en bordure des deux territoires — viennent à moi, visiblement
courroucés, le lièvre en main. Ils me restituaient très loyalement un gibier
sur lequel ils avaient les mêmes droits que moi, mais demandaient des
explications sur mes cris, qu'ils supposaient être des invectives à leur égard.
Tout d'abord, je ne compris pas, ce qui n'arrangeait pas les
choses ; puis, je me rappelai mes encouragements hurlés à Voyou. Je
leur présentai mon chien, ce qui eut pour résultat de les faire bien rire de
leur méprise.
C'était encore l'heureux temps où, bien que le gibier ne
soit plus abondant, on ne se disputait pas entre vrais chasseurs.
M. LETORET,
abonné.
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