Bien que son appellation la range parmi les poissons d'eau
salée, cette truite, tout comme le saumon, passe une notable partie de son
existence en rivière et, de ce fait, semble pouvoir entrer dans mes
attributions de chroniqueur de pêche en eau douce ; c'est pourquoi j'en
parle aujourd'hui.
C'est là un fort beau poisson, qu'on peut rencontrer dans de
nombreux cours d'eau qui se jettent dans la mer du Nord, la Manche et
l'Atlantique ; elle est rare au sud de la Loire.
Cette truite rappelle beaucoup le saumon par ses formes
élancées, ses nageoires puissantes, sa queue épaisse et musculeuse.
Son dos est gris-fer, souvent un peu bleuâtre ; ses
flancs sont gris clair et son ventre argenté. De nombreuses petites taches
noires, en forme de X, se voient en dessus comme au dessous de la ligne
latérale. Sa taille est moins forte que celle du saumon ; néanmoins, les
sujets de dix à douze livres ne sont pas très rares.
Ce qui la distingue de notre truite commune est sa tête un
peu moins large, son museau plus pointu ; la couleur très claire des
nageoires ventrales et anale, ainsi que la bordure noire de sa nageoire
adipeuse, qui est rougeâtre chez nos truites de pays.
Sa chair est saumonée, mais souvent plus pâle que celle du « salmosalar » ;
elle n'en est pas, pour cela, moins savoureuse, ainsi que j'ai pu en juger.
En eau salée, elle vit comme le saumon et nos grandes
truites des lacs, se nourrissant exclusivement de proies vivantes.
Comme le premier, elle vient frayer en eau douce. M. le
commandant Latour nous apprend que la principale remontée des grosses truites
de mer a lieu en juin, à peu près à la même époque que celles des petits
saumons d'été, en Bretagne.
Mais il semble qu'elles pénètrent moins haut dans les
rivières et se contentent d'une eau moins pure et moins froide.
La durée de l'incubation des œufs est plus courte et,
dit-on, ne dépasse guère trente jours.
En mer, nous dit un auteur réputé, il est rare que les
pêcheurs à la ligne capturent ce poisson. Cependant, un correspondant qui
habite la côte du Morbihan m'a assuré que, sous certaines conditions, la chose
était parfaitement possible. Il est à peu près inutile de la pêcher durant le
jour. On ne peut réussir que pendant une marée montante de nuit, après un gros
temps et alors que la mer a repris sa tranquillité. C'est sur une plage de
sable assez pentée qu'il convient de se placer. On pêche avec un solide « pater-noster »
à trois gros hameçons nos 0, 1 ou 2, appâtés de crevettes
cuites, dites « bouquets », et posé à bonne distance du bord, au delà
des brisants ; une profondeur d'eau de 3 mètres environ est nécessaire. La
touche est presque toujours très violente, et souvent le poisson se prend seul,
sans ferrage. Comme ces truites voyagent volontiers en petits groupes, on peut
parfois en prendre plusieurs en peu de temps et quelquefois de fort belles. Le
renseignement valait d'être noté.
En rivière, et notamment dans les estuaires où on la trouve
à peu près à toute époque, la pêche à la crevette cuite est productive. On la
prend également aux vers de mer : arénicoles ou gravettes, aux petites
anguilles ou lamproies vivantes et même au simple ver de terre un peu gros.
Plus en amont, la pêche au lancer avec poissons morts ou appâts métalliques
peut donner, certains jours, d'assez bons résultats. Mais ce qui est encore
beaucoup plus passionnant et sportif est sa pêche à la mouche artificielle.
En rivière, contrairement à ce qui se passe en eau salée, on
réussit beaucoup mieux quand le temps est sombre, mauvais, que le vent souffle
à rebours du courant, agite l'eau et cache le pêcheur.
Dans ce cas, il faut employer une canne puissante, de 14 à
15 pieds, en bambou refendu, du même genre que les cannes à saumon. Elle permet
de lancer contre le vent ou tout au moins de biais une ligne en soie
imperméable assez lourde, terminée par un solide bas de ligne en fortes
florences choisies, portant une seule mouche fixée à son extrémité.
On pêche en « mouche noyée », mais souvent « up
stream », en remontant le courant si celui-ci n'est pas très rapide ;
en cas contraire, on pêche « en dérive », en descendant la rivière, « down
stream ».
Quant au choix des mouches, l'opinion des « spécialistes »
que j'ai pu consulter est de se servir de modèles assez petits, montés sur
hameçons des nos 6 à 8 et choisis habituellement dans les
teintes neutres : grises, rousses, jaunâtres, brunes, verdâtres, etc. ...,
parfois agrémentés de quelques plumes brillantes.
Cependant, ma modeste expérience m'a permis de constater que
des mouches montées sur hameçons n° 7 et imitant les mouches anglaises « Red
palmer », « Wickham faney », « Mallard and claret », « Jock-Scott »,
« Blue doctor », « Oronge grouse », ainsi que la fameuse « Alexandra »,
étaient à peu près aussi efficaces.
Comme pour le saumon, faire « travailler » la
mouche entre deux eaux et même un peu profond, par une sorte de « dandinette »
verticale ou oblique, donnera souvent de bons résultats.
En général, la touche de la belle truite de mer est rude ;
elle est plus vorace que le saumon et attaque pour manger. Le ferrage doit être
net, franc, mais sans raideur ni violence.
Suivant la taille du poisson accroché, le pêcheur agira en
conséquence. Il vaut mieux, toutefois, ne pas trop temporiser et amener la
prise au bord le plus tôt possible. La truite de mer se rate assez souvent et
sait fort bien se décrocher.
Le plus souvent une bonne et large épuisette télescopique
suffit ; de nos jours, la prise de pièces dépassant 3 kilos est devenue
peu commune, surtout dans les cours d'eau dont le débit n'est pas très
important.
R. PORTIER.
P.-S. — Il a été signalé, dans le numéro du
journal du 1er juillet dernier, la prohibition de la pêche à
l'asticot dans les cours d'eau de première catégorie dits « à salmonidés ».
D'après des renseignements de source autorisée, cette mesure, valable pour la
Loire et la Haute-Loire, ne serait pas générale en France et, notamment, pour
le Cantal.
Dans l'impossibilité où nous sommes de connaître les textes
des Arrêtés préfectoraux de tous les départements, nous recommandons aux
pêcheurs qui se déplacent de consulter, à leur arrivée dans un département
autre que celui de leur domicile, l'Arrêté préfectoral en vigueur dans ce
département, qui pourra leur être communiqué dans les mairies ou gendarmeries
auxquelles ils devront s'adresser, afin de ne pas risquer, éventuellement, une
contravention pour pêche illicite.
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